Le double corps du roi -président
Je vous ai compris !!!
Le double corps du roi-président
Il y a soixante-cinq ans, les gaullistes taillaient une constitution à la dimension du général de Gaulle. Ce républicain d’inspiration maurassienne désirait un outil qui lui permette de régner sur un peuple qu’il qualifiait de « veau » tout en le magnifiant comme acteur de la grande histoire de France.
Le roi est mort, vive le roi
Pour permettre une continuité dans la gestion du royaume, il avait été établi le double corps du roi. Le premier était mortel et naturel, le second surnaturel et immortel. Parce qu’il était naturellement un homme mortel, le roi souffrait, doutait, se trompait parfois : il n’était ni infaillible ni intouchable, et en aucune manière l’ombre de Dieu sur Terre comme le souverain pouvait l’être en régime théocratique. Mais dans ce corps mortel du roi venait se loger le corps immortel du royaume que le roi transmettait à son successeur. Avouons que cette conception transpire de la Constitution de la Ve République. L’immense carcasse du Général, son ton emphatique d’une autre époque y trouvait son content. On l’appréciait ou on le détestait. Mais nul ne pouvait ignorer qu’il avait incarné la France dans ses heures les plus sombres. Force est de constater que de présidences en présidences, le corps immortel du monarque républicain s’est réduit jusqu’à atteindre un état ectoplasmique.
Un président à l’image de l’époque
La France est un curieux pays qui avance en regardant sans cesse vers l’arrière. Elle ne possède pas cette capacité à oublier un peu de son passé pour se concentrer sur l’avenir. La plasticité et le côté liquide aujourd’hui nécessaire dans un monde en mouvement incessant lui sont inconnus. C’est à la fois une force, car cela protège une identité historique. C’est une insigne faiblesse, car cela devient une incapacité à s’adapter vite et bien au monde extérieur. La difficulté tient à cette sensation de déclinisme qui atteint désormais toutes les couches de la population et qui a créé des résistances parfois violentes comme en témoigne la révolte des Gilets jaunes. Et comment ne pas comprendre ces couches de la population qui se sentent abandonnées de tous au fin fond de leur campagne tandis qu’on pérore à Paris et qu’on se chamaille au Parlement ? Qui peut nier que tout est en train de changer ? Mais alors le corps charnel du roi n’est plus un bouclier contre l’adversité et son corps spirituel ne représente plus rien. Le « en même temps » d’Emmanuel Macron est devenue une martingale usée qui n’empêche plus de constater la nudité de notre monarchie républicaine.
Une Constitution rigide
La Constitution n’a pas été modifiée depuis quinze ans. Et pourtant, il s’en est passé des évènements depuis ce laps de temps à commencer par la guerre à nos portes, cette guerre que nous pensions tous impossible grâce aux garantes de l’Europe et de l’arme nucléaire. Eh bien elle est là qui gratte à notre entrée avec en surplus la crise climatique, la crise migratoire, la crise économique. Assez, n’en jetez plus ! La Constitution de la Ve République devient alors un crève-cœur, le rappel de ce que fut la France au début des années soixante et ce qu’elle est maintenant. Mais c’est un tort de la croire en déclin. Simplement tout a changé autour de nous et même à l’intérieur. L’ascension même laborieuse des pays en voie de développement, le poids croissant des États-Unis et de la Chine, l’effondrement de l’URSS avec ses conséquences au premier rang desquelles la guerre des Balkans ont fait qu’il serait fou de croire que tout pouvait rester en l’état. Dans de telles conditions, il eut préférable que la Constitution, ces tables de la loi de moins en moins pérenne, se transforme voir laisse la place à un nouveau texte plus adapté. Mais il semblerait que ça soit impossible. Le président Macron l’a répété : il n’a ni l’envie ni les moyens d’emprunter cette route. Il est d’accord pour des changements mineurs, des ravaudages en quelque sorte qui toucheront à la marge le processus référendaire ou la Corse. Mais rien d’essentiel ! Dans de telles conditions, il y a toutes les chances que le corps matériel du roi entre dans une phase de putréfaction avancée et que le corps spirituel finisse par rejoindre les limbes célestes. Car en France, quand le roi montre des signes de faiblesse, le gibet n’est jamais loin et l’extrême-droite voit le soleil se lever.
Des jours difficiles à venir
Car désormais, il va falloir trouver la route qui permet d’accomplir la révolution nécessaire au combat contre le changement climatique sans assassiner la classe moyenne et écraser les plus pauvres. Sans faire payer les plus riches, sans une meilleure répartition des richesses la tâche est impossible sauf à vouloir allumer les feux de la colère populaire. À vrai dire, le président Macron risque fort de connaître une fin de règne agitée et de transmettre à son successeur un évanescent corps du roi. Un peu comme la passation de pouvoir entre Louis XV mort dans la putréfaction et ce brave Louis XVI trop tendre pour une France sans pitié.
GXC