• Le doyen de la presse Européenne

Espagne : amnistie ou retour aux urnes ?

L'amnistie des indépendantistes catalans représente un passage quasi obligé pour la gauche espagnole
Espagne : amnistie ou retour aux urnes

L’amnistie des indépendantistes catalans représente un passage quasi obligé pour la gauche espagnole. Pedro Sanchez est déterminé à l’emprunter.


Aux Cortes Generales, le parlement bicaméral du royaume d'Espagne, le chef de file du Parti Populaire (droite) qui était candidat au poste de Premier ministre, n’a pas réussi à réunir sur son nom une majorité de députés. Pedro Sanchez, Premier ministre sortant, souhaite y parvenir en agrégeant aux votes des députés de son parti (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol), ceux des députés de Sumar (plateforme de partis de la gauche radicale) et de six autres formations dont les deux grands partis indépendantistes catalans : Junts par Catalunya, Esquerra Republicana de Catalunya.
Cependant ces deux partis conditionnent leur soutien à la satisfaction de deux exigences : amnistie portant sur tous les faits liés de près ou de loin à la tentative d’octobre 2017 de parvenir à une indépendance de la Catalogne (organisation unilatérale d’un referendum d’autodétermination, proclamation unilatérale d’indépendance) ; droit reconnu d’organisation d’un référendum d'autodétermination avant 2027.
Pour l’heure, rien n’est fait. Si cela perdure, dans quelques semaines, et ce, pour sortir d’une impasse politique qui dure depuis les élections générales du 23 juillet 2023, les électeurs espagnols seront appelés à retourner aux urnes. Un accord est toutefois possible pour peu que chaque partie veuille bien lâcher du lest selon le schéma suivant : l’amnistie n’étant pas négociable, Pedro Sanchez parvient à la faire accepter par son parti et ses alliés ; en contrepartie, dans le cadre d’une clause de revoyure, les indépendantistes catalans acceptent de renvoyer à plus tard la question de l’autodétermination.
Tous ont d’ailleurs intérêt à s’entendre. Junts par Catalunya et Esquerra Republicana de Catalunya parce qu’ils ont trois opportunités à saisir : un terme définitif mis aux poursuites judiciaires ; l’effacement des condamnations ; l’obtention de concessions pour la Catalogne, notamment fiscales et linguistiques, dans le cadre d’un élargissement du périmètre de l’autonomie des régions que Pedro Sanchez est disposé à concéder. Le Premier ministre espagnol et la gauche parce que si de nouvelles élections ont lieu dans les prochaines semaines, leur victoire est loin est loin d’être certaine. L’amnistie des indépendantistes catalans représente donc un passage quasi obligé pour la gauche espagnole. Pedro Sanchez est d’ailleurs déterminé à l’emprunter.

Le débat bat son plein

Dernièrement, devant les responsables de son parti, Pedro Sanchez a affirmé que si le Parlement le reconduit au poste de Premier ministre, il demandera l’amnistie selon une volonté de réconciliation nationale : « Notre histoire nous montre que c’est à travers les accords et la générosité que notre pays et notre démocratie se font plus forts […] Nous ferons que beaucoup de Catalans se sentent identifiés à notre projet commun. » Pedro Sanchez peine cependant à convaincre. Y compris à gauche, beaucoup d’espagnols sont outrés de l’étendue des crimes (rébellion, sédition, troubles contre l'ordre public) et délits (prévarication, fausse déclaration, détournement de fonds publics, désobéissance, divulgation de secrets) ayant un lien avec la démarche indépendantiste qu’une loi d’amnistie effacerait. Ils considèrent aussi qu’une loi d’amnistie affaiblirait la démocratie et contreviendrait à la Constitution car elle atteindrait à la séparation des pouvoirs (la Constitution espagnole attribue au seul pouvoir judiciaire la compétence de juger). Ceci fait que le débat bat son plein. Des constitutionnalistes font valoir qu’en 1977, une loi d'amnistie a été votée pour faciliter un passage consensuel entre le franquisme et la démocratie.
D’autres constitutionnalistes et des magistrats, ainsi que bien entendu la droite et l’extrême-droite qui par ailleurs sont traditionnellement espagnolistes, objectent que cette loi a été votée un an avant l'approbation de l'actuelle Constitution. Quelques voix proposent un compromis : la grâce. Les indépendantistes catalans le rejettent pour les raisons suivantes : la grâce étant consécutive à une condamnation, les personnes en bénéficiant restent considérées coupables et n’échappent pas à la responsabilité civile, alors que l'amnistie en éteignant les poursuites et effaçant les faits, dissipe toute culpabilité présumée ou avérée ; contrairement à l’amnistie, la grâce ne rend pas sa virginité au casier judiciaire ce qui, au vu de certaines condamnations, interdit la candidature à des élections.
Pour les nationalistes catalans, obtenir l'amnistie est donc un enjeu très important car, outre à des dirigeants condamnés ou poursuivis, elle bénéficierait à plus de 3000 militants, sympathisants et fonctionnaires ayant participé à l’organisation du référendum d’autodétermination d’octobre 2017. L'amnistie représenterait donc une victoire majeure et un grand bol d’air pour les indépendantistes catalans. Ils le savent. Mais les espagnolistes le savent aussi. Ce qui ne facilite pas la tâche de Pedro Sanchez...

Alexandra Sereni
Partager :