La Corse prison et ouverture pour les héros d'Hosanna in excelsis
Deuxième volume de Nos terres promises la saga écrite par Gabriel Xavier Culioli et Jean-Marc Michelangeli
La Corse prison et ouverture pour les héros d’Hosanna in excelsis
Ce deuxième volume commence en 1926 après que Santa, l’épouse de Noël Luciani, est revenue de Vauxtin, abandonnant son amant, pour rejoindre Marseille. La culture corse apparaît alors comme un concentré de malheurs que Santa a voulu fuir, mais qu’elle accepte de retrouver parce que c’est sa culture, ses racines, son destin.
N’est-ce pas d’ailleurs le fil rouge de cette saga que cette impossibilité pour ces Corses de rompre la chaîne de servitude qui les rattache à leur île ?
Noël, Orso, Santa, Catherine se débattent tous à leur manière dans cet univers obsidional concentré autour de leur île même si désormais ils habitent Marseille. Ils l’aiment et parfois la détestent sans jamais parvenir à la haïr au point de rompre les amarres.
Les auteurs de Nos terres promises ont cependant créé des contrepoints à cette fidélité douloureuse. Ce sont celles et ceux qui s’imposent comme des personnages volontaires, parfois optimistes parfois sombres, mais toujours animés par une vitalité impressionnante : Cristina, la jeune Belge apatride, dont Orso tombe amoureux et qui accompagne Santa d’une amitié sans fard. Salomon, le juif sioniste révèle à Orso la richesse du combat universel contre l’antisémitisme et le nazisme, mais lui apporte sa part de générosité altruiste qui lui manquait. Charles, l’enfant bâtard rejeté par la Corse, permet à Noël de conserver sa part de bonté fraternelle et l’inscrit plus profondément dans l’esprit de justice propre à la franc-maçonnerie.
L’histoire en toile de fond
Ce deuxième volume est l’apprentissage d'un bonheur nouveau et pourtant éphémère. Il nous mène jusqu’à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Et nous vivons cette étrange période qui court de 1926, quand le souvenir de la guerre est peu à peu remplacé par l’exaltation de la paix revenue jusqu’au retour du cauchemar belliciste porté par le nazisme triomphant. Au cours de ce quart de siècle, nous croisons le chemin des gangsters Spirito et Carbone en pleine ascension et l’éclosion de leurs frères ennemis, les Guerini. Salomon présente à Orso l’immense journaliste Albert Londres. Les auteurs de la saga proposent une résolution audacieuse de l’énigme de sa mort dans l’incendie d’un navire en 1932 aux abords d’Aden. Pour eux, Spirito et Carbone, alliés à une Triade chinoise et à la mafia italo-américaine, auraient fait disparaître le reporter qui s’apprêtait à dévoiler des secrets touchant à un gigantesque trafic d’opium et d’héroïne. Aller plus loin serait dévoiler un des ressorts de la trame romanesque. Mais au cœur de cette tourmente qui débouche sur le scandale Stavisky et qui manque de mettre fin à la République, se trouvent les deux gangsters qui ont étendu leurs tentacules à travers plusieurs continents et annoncent ainsi la French connection. Grâce à leur argent, à leurs talents démoniaques et l’appel à la sacro-sainte solidarité corse, ils parviennent à débaucher Simon Sabiani, le communiste héros de la Grande Guerre qui, au fil des pages, se transforme en un complice de la mafia puis en un authentique fasciste, admirateur de Hitler.
Les personnages d’Hosanna in excelsis sont imprégnés de l’histoire immédiate au sein de laquelle ils évoluent. Ils arrivent même à en devenir une incarnation douloureuse, torturée par les examens de conscience. La grande histoire se mélange à la petite pour les entraîner dans un tsunami qui les oblige à retrouver leurs valeurs les plus anciennes, les plus primitives de la culture corse. Noël, malgré ses peurs surgies de sa petite enfance, cherche à préserver l’amour de sa terre. Les pages les plus drôles décrivent d’ailleurs l’arrivée de la petite famille Luciani dans le village berceau de Pietrabianca. Les enfants du couple, Antoine et Bérénice, qui jusque-là n’ont connu que le « luxe » marseillais, sont soudain confrontés à un monde ancien, paysan, sale, primitif où les femmes urinent debout, les personnes défèquent dans la nature et les cochons errent en toute liberté au milieu des humains. Pourtant les auteurs semblent vouloir rattraper cette funeste impression et Petrabianca est aussi le nid des Luciani où Noël et Santa vont retrouver des sentiments réciproques. C’est également sur la terre de Corse, durant la campagne militaire contre les bandits que Orso va comprendre combien il est charnellement attaché à ses congénères.
Une longue histoire de solidarité
Les auteurs montrent une empathie évidente pour le combat contre l’antisémitisme et on apprend en lisant les pages qui y sont consacrées l’âpreté des combats menés par ceux qui ont refusé cette infamie littéralement dopée par l’idéologie nazie. Santa et Cristina participent à l’aide aux réfugiés républicains espagnols, revendiquent le droit de vote pour les femmes et participent à la parenthèse enchantée du Front populaire. Ce deuxième opus cependant ne cherche pas plus que le premier, Barbara furtuna, à masquer les travers de la communauté corse, les déchirures d’opinion. Elle est décrite dans toute sa crudité. Orso par exemple est un policier qui utilise tous les moyens même immoraux pour parvenir à ses fins qui, elles sont morales. Noël cherche à appliquer dans la vie quotidienne les idéaux maçonniques malgré les évènements qui chahutent ses espérances pacifistes : montée du fascisme et du communisme, la guerre qui menace lorsqu’éclate l’insurrection franquiste en Espagne.
Hosanna in excelsis est une polyphonie qui raconte la montée des espérances, des bonheurs d’où ce titre qu'on pourrait traduire par « Au plus haut des cieux » tandis que les nuées sombres commencent déjà à engloutir des espérances qu'ils pensaient éternelles.
Les personnages féminins en pointe
L’une des réussites de cette saga est la présence magnétique des personnages féminins. Comment ne pas s’attacher à Santa, cette jeune Corse qui, au fil de ses choix, va toujours jusqu’au bout de sa démarche. Il est difficile de faire partager ses sentiments alors même qu’on s’interdit de dévoiler certains secrets de la trame romanesque. Mais Santa est l’un des piliers de cette œuvre. Elle n’est pas figée dans sa nature corse. Au contraire : parfois elle s’en éloigne jusqu’à nous faire croire qu’elle s’en sépare. Puis, à l’occasion d’un nouveau drame, elle y revient et montre une fidélité de lionne envers sa culture. Et curieusement, elle trouve en Cristina, son amie, son âme sœur, venue de Belgique un accord majeur. Cristina ne possède plus de racines. Elles lui ont été arrachées par les Allemands en 1914 quand sa famille a péri au cours d’un massacre (elle aussi). Elle connaît aussi l’immense malheur de ne plus pouvoir être mère. Et c’est Orso, l’homme qu’elle a éperdument aimé qui en est le responsable indirect. Pourtant, elle ne lui en veut pas et trouve dans le malheur une liberté qui n’est pas sans rappeler celle que Charles acquiert avec le décès tragique de Marie-Antoinette sa mère. Ce volume de Nos terres promises est marqué par ces présences féminines. Rebecca, la femme de Salomon, apporte à ce sioniste convaincu une stabilité indispensable. Catherine, la sœur aînée de Noël, trouve dans la foi communiste que lui a inculquée son époux, une raison de vivre et de combattre. Mais de toutes ces femmes fortes, un ange émerge et devient indispensable au récit. Il s’agit de Louise que Noël a rencontrée dans un cours de dessin alors que Santa était partie pour le nord de la France. Louise est dans ces pages profondément atypique. On ne sait pas de quelle région elle est originaire. Elle est homosexuelle ce qui pourrait paraître comme un coin d’œil à l’idéologie wokiste. Pas du tout : cette caractéristique est ici indiquée de la façon la plus naturelle qui soit. Elle rend chaste la relation de la jeune femme avec Noël et elle offre la possibilité d’une amitié sans ambiguïté. Noël peut aimer Louise parce qu’elle n’est pas désirable. Et Louise aime Noël pour la même raison. Elle est son ange gardien en même temps que son regard universel sur le monde. Elle témoigne à travers ses voyages d’un amour universel qui irrigue Noël et l’enrichit. Elle est une très belle lumière qui traverse ces pages.
Vivement le troisième opus
Hosanna in excelsis nous a guidés vers la ligne de crête que nos héros ont réussi à atteindre. Ils savent à la fin de cet opus qu’à nouveau, ils vont être confrontés au malheur, aux drames, à la guerre. Néanmoins, ce chant en trois actes n’est jamais désespéré. Les auteurs, avec une finesse scénaristique d’une grande délicatesse, nous parlent de cette condition de l’homme qui exige du courage, un refus du renoncement. Ils nous parlent de cette part d’enfance qui murmure en chacun d'entre nous qu'alors qu'il est minuit dans le siècle, une aube nouvelle va renaître. Hosanna in excelsis est une vraie réussite qui permet à ceux qui ne sont pas au fait de la culture corse de mieux la connaître et aux Corses de la redécouvrir. Mais c’est surtout un chant en hommage à la résilience et à l’humanité. Vivement le troisième opus…
Jacques Vendroux