Présumés coupable ? Non, présumés innocents !
Toute personne accusée d'un acte délictieux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité.......
Présumés coupables ? Non, présumés innocents !
Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Première affaire : deux personnes mises en examen pour « atteinte et tentative d'atteinte à la sincérité du scrutin » lors des élections municipales de Bastia de 2020 comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bastia le 19 mars 2024. Les personnes concernées sont un adjoint (délégué à la cohésion sociale, aux liens intergénérationnels et au logement social) et une adjointe (déléguée à la santé et au handicap) au maire de Bastia. Elles sont soupçonnées d’avoir contribué à établir des procurations selon des conditions frauduleuses. Deuxième affaire : durant le présent mois, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a comparu devant la Cour de Justice de la République pour « prise illégale d'intérêts ». Il lui était reproché d’avoir abusé de sa position pour faire diligenter des enquêtes administratives contre des magistrats du Parquet National Financier avec lesquels il avait eu maille à partir lorsque, en qualité d’avocat, il assurait la défense de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Troisième affaire : février 2023, quatre personnes mises en examen et placées sous contrôle judiciaire à l’issue d’une enquête portant sur des soupçons de fraude électorale lors des élections municipales de Bastia de 2020 (affaire Victoria). Les quatre personnes concernées étaient à l’époque : la tête d’une liste, son directeur de campagne et un de ses colistiers alors président de la Communauté d'Agglomération de Bastia, le directeur de cabinet de ce dernier. Il leur est reproché « l’obtention de suffrage à l'aide de don ou de promesse, complicité de ce délit ou soustraction de bien dans un dépôt public ».
Mais alors, quid de la présomption d’innocence ?
Trois affaires et des similitudes. Toutes les personnes susmentionnées étant en attente de comparaître ou d’un jugement mis en délibéré (au jour où sont écrites les présentes lignes), relèvent de la présomption d’innocence. Toutes clament leur innocence ou leur bonne foi. Enfin et par ailleurs, leur entourage politique ou professionnel leur manifeste sa confiance. Ainsi, le maire de Bastia maintient les délégations de ses deux adjoints. Ainsi, le Président de la République a toujours soutenu Éric Dupond-Moretti. Ainsi, au niveau gouvernemental, il a été dit et redit que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne devra démissionner que s’il est condamné. Ainsi, les quatre personnes mises en examen dans le cadre de l’affaire Victoria sont soutenues par leur entourage et deux d’entre elles occupent respectivement un emploi de haut niveau dans une collectivité publique. Tout cela ne plaît cependant pas à tout le monde. « Il est légitime et indispensable que le maire retire leurs délégations aux deux adjoints […] La présomption d’innocence n’empêche pas le principe de précaution » a communiqué un conseiller municipal d’opposition bastiais. En coulisses, au sein de la majorité présidentielle, certains considèrent que le maintien en place d’Éric Dupond-Moretti brouille le discours du Président de la République qui prône « l'exemplarité » dans la vie publique. « Éric Dupond-Moretti doit réagir de manière républicaine et proposer sa démission »
ont communiqué les sénateurs socialistes quand la mise en examen du ministre a été connue. Mais alors, quid de la présomption d’innocence mentionnée plus haut ? La Première ministre Élisabeth Borne a mis ce principe sur la table et rappelé qu’il convenait de le respecter : « Je voudrais dire qu’en tant que garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a toute ma confiance, qu’il fait un excellent travail […] Il y a dans notre État de droit, un principe auquel je tiens, c'est la présomption d'innocence ».
Un principe connu et reconnu
La prise de position de la Première ministre est, selon le Droit, à la fois pertinente et inattaquable car la présomption d’innocence est un principe connu et reconnu. Il est le suivant : toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu'elle n'a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente. Juridiquement, du fait de ce principe, il incombera à l’accusation prouver la culpabilité d’une personne qui comparaîtra devant un tribunal. Dans le cadre de la vie sociale, ce principe implique que toute personne ayant été mise en examen et étant en attente de comparaître, doit être considérée, par toutes et tous, comme étant innocente. Le principe de la présomption d’innocence est d’ailleurs garanti par des textes aux niveaux international et national. Il a fait son apparition dès la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». En 1948, il a été inclus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». Au début des années 1950, dans la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il a été écrit : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». En 1981, dans une décision du Conseil constitutionnel, il a été reconnu le principe de la présomption d’innocence. En 1993, dans une loi portant réforme de la procédure pénale, il a été inscrit : « Chacun a droit au respect de sa présomption d’innocence ». Enfin, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 a ajouté au Code de procédure pénale : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».
Un principe trop souvent bafoué
La présomption d’innocence est donc clairement reconnue dans les textes. Il est même prévu des implications concrètes : toute personne non encore condamnée mais présentée dans la presse comme coupable, peut obtenir une rectification publique ; il est interdit de diffuser, sans son accord, les images d’un prévenu menotté ; en cas de doute sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé, le tribunal correctionnel ou de police ou la cour d'assises doivent relaxer ou acquitter ; toute personne poursuivie a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; il est interdit de condamner un suspect au seul motif de son silence. Cependant, en réalité, le principe de la présomption d’innocence est trop souvent bafoué. Dans le débat public et dans les médias, des personnes sont jetées en pâture à l’opinion même avant d’avoir été entendues par un magistrat. Des personnes sont livrées à la vindicte et à l’opprobre par dénonciation ou mise en accusation sur les réseaux sociaux. « Il n’existe guère aujourd’hui de principe de procédure pénale autant contesté et délégitimé que celui de la présomption d’innocence » déplore la juriste Pauline Le Monnier de Gouville (docteur en droit ; maître de conférences, Université Paris Panthéon-Assas ; directrice des études de l’Institut d’Études Judiciaires Pierre Raynaud ; responsable scientifique de la revue La Gazette du Palais ; membre du Comité scientifique de la revue Les Cahiers de la Justice, éd. Dalloz ; membre du Comité scientifique de la revue Lexbase Pénal, éd. Lexbase) qui relaie ainsi la parole de nombreux professionnels du Droit. Le Président de la République s’inquiète de « l’esprit de lapidation régnant sur les réseaux sociaux ».
Tirer une substantifique moelle
Alors faut-il encore encore légiférer pour davantage encore légitimer la présomption d’innocence et être en capacité de mieux la faire appliquer ou l’action doit-elle plutôt être portée sur les terrains de l’éducation du public et du rappel constant de valeurs telles que le respect des personnes ? A moins qu’il suffise de se référer aux mots de Robert Badinter et d’en tirer une substantifique moelle. Les premiers ont été prononcés, il y a presque quarante ans : « Il faut que nos concitoyens sachent bien que l’inculpation, ça n’est pas la condamnation. Que l’inculpation en France, cela veut dire qu’il se trouve dans le dossier des charges contre un justiciable. Mais seulement des charges. Il est encore présumé innocent » (1985, Antenne 2, L’heure de vérité) ; Les seconds ont un peu moins de trois ans : « Dans ma vie professionnelle, j'ai pu mesurer combien la nécessité de se défendre, de se justifier contre des accusations ressenties comme infamantes, était un tourment cruel pour l'inculpé innocent […] Il voit la souffrance de sa femme, de ses enfants, devant le torrent médiatique [...] Cette peine-là, celle de ses proches, cause à l'intéressé une douleur plus aiguë encore que la poursuite […] J'ai conservé à cet égard le souvenir des propos que tenait Pierre Bérégovoy sur la souffrance qu'il lisait sur les traits de son épouse. Elle n'a sans doute pas été étrangère à son tragique suicide, alors qu'il n'encourait en réalité aucune poursuite pénale ». (2021, Le Monde, Procédure pénale : à bout de souffle).
Pierre Corsi
Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Première affaire : deux personnes mises en examen pour « atteinte et tentative d'atteinte à la sincérité du scrutin » lors des élections municipales de Bastia de 2020 comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bastia le 19 mars 2024. Les personnes concernées sont un adjoint (délégué à la cohésion sociale, aux liens intergénérationnels et au logement social) et une adjointe (déléguée à la santé et au handicap) au maire de Bastia. Elles sont soupçonnées d’avoir contribué à établir des procurations selon des conditions frauduleuses. Deuxième affaire : durant le présent mois, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a comparu devant la Cour de Justice de la République pour « prise illégale d'intérêts ». Il lui était reproché d’avoir abusé de sa position pour faire diligenter des enquêtes administratives contre des magistrats du Parquet National Financier avec lesquels il avait eu maille à partir lorsque, en qualité d’avocat, il assurait la défense de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Troisième affaire : février 2023, quatre personnes mises en examen et placées sous contrôle judiciaire à l’issue d’une enquête portant sur des soupçons de fraude électorale lors des élections municipales de Bastia de 2020 (affaire Victoria). Les quatre personnes concernées étaient à l’époque : la tête d’une liste, son directeur de campagne et un de ses colistiers alors président de la Communauté d'Agglomération de Bastia, le directeur de cabinet de ce dernier. Il leur est reproché « l’obtention de suffrage à l'aide de don ou de promesse, complicité de ce délit ou soustraction de bien dans un dépôt public ».
Mais alors, quid de la présomption d’innocence ?
Trois affaires et des similitudes. Toutes les personnes susmentionnées étant en attente de comparaître ou d’un jugement mis en délibéré (au jour où sont écrites les présentes lignes), relèvent de la présomption d’innocence. Toutes clament leur innocence ou leur bonne foi. Enfin et par ailleurs, leur entourage politique ou professionnel leur manifeste sa confiance. Ainsi, le maire de Bastia maintient les délégations de ses deux adjoints. Ainsi, le Président de la République a toujours soutenu Éric Dupond-Moretti. Ainsi, au niveau gouvernemental, il a été dit et redit que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne devra démissionner que s’il est condamné. Ainsi, les quatre personnes mises en examen dans le cadre de l’affaire Victoria sont soutenues par leur entourage et deux d’entre elles occupent respectivement un emploi de haut niveau dans une collectivité publique. Tout cela ne plaît cependant pas à tout le monde. « Il est légitime et indispensable que le maire retire leurs délégations aux deux adjoints […] La présomption d’innocence n’empêche pas le principe de précaution » a communiqué un conseiller municipal d’opposition bastiais. En coulisses, au sein de la majorité présidentielle, certains considèrent que le maintien en place d’Éric Dupond-Moretti brouille le discours du Président de la République qui prône « l'exemplarité » dans la vie publique. « Éric Dupond-Moretti doit réagir de manière républicaine et proposer sa démission »
ont communiqué les sénateurs socialistes quand la mise en examen du ministre a été connue. Mais alors, quid de la présomption d’innocence mentionnée plus haut ? La Première ministre Élisabeth Borne a mis ce principe sur la table et rappelé qu’il convenait de le respecter : « Je voudrais dire qu’en tant que garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a toute ma confiance, qu’il fait un excellent travail […] Il y a dans notre État de droit, un principe auquel je tiens, c'est la présomption d'innocence ».
Un principe connu et reconnu
La prise de position de la Première ministre est, selon le Droit, à la fois pertinente et inattaquable car la présomption d’innocence est un principe connu et reconnu. Il est le suivant : toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu'elle n'a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente. Juridiquement, du fait de ce principe, il incombera à l’accusation prouver la culpabilité d’une personne qui comparaîtra devant un tribunal. Dans le cadre de la vie sociale, ce principe implique que toute personne ayant été mise en examen et étant en attente de comparaître, doit être considérée, par toutes et tous, comme étant innocente. Le principe de la présomption d’innocence est d’ailleurs garanti par des textes aux niveaux international et national. Il a fait son apparition dès la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». En 1948, il a été inclus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». Au début des années 1950, dans la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il a été écrit : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». En 1981, dans une décision du Conseil constitutionnel, il a été reconnu le principe de la présomption d’innocence. En 1993, dans une loi portant réforme de la procédure pénale, il a été inscrit : « Chacun a droit au respect de sa présomption d’innocence ». Enfin, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 a ajouté au Code de procédure pénale : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».
Un principe trop souvent bafoué
La présomption d’innocence est donc clairement reconnue dans les textes. Il est même prévu des implications concrètes : toute personne non encore condamnée mais présentée dans la presse comme coupable, peut obtenir une rectification publique ; il est interdit de diffuser, sans son accord, les images d’un prévenu menotté ; en cas de doute sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé, le tribunal correctionnel ou de police ou la cour d'assises doivent relaxer ou acquitter ; toute personne poursuivie a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; il est interdit de condamner un suspect au seul motif de son silence. Cependant, en réalité, le principe de la présomption d’innocence est trop souvent bafoué. Dans le débat public et dans les médias, des personnes sont jetées en pâture à l’opinion même avant d’avoir été entendues par un magistrat. Des personnes sont livrées à la vindicte et à l’opprobre par dénonciation ou mise en accusation sur les réseaux sociaux. « Il n’existe guère aujourd’hui de principe de procédure pénale autant contesté et délégitimé que celui de la présomption d’innocence » déplore la juriste Pauline Le Monnier de Gouville (docteur en droit ; maître de conférences, Université Paris Panthéon-Assas ; directrice des études de l’Institut d’Études Judiciaires Pierre Raynaud ; responsable scientifique de la revue La Gazette du Palais ; membre du Comité scientifique de la revue Les Cahiers de la Justice, éd. Dalloz ; membre du Comité scientifique de la revue Lexbase Pénal, éd. Lexbase) qui relaie ainsi la parole de nombreux professionnels du Droit. Le Président de la République s’inquiète de « l’esprit de lapidation régnant sur les réseaux sociaux ».
Tirer une substantifique moelle
Alors faut-il encore encore légiférer pour davantage encore légitimer la présomption d’innocence et être en capacité de mieux la faire appliquer ou l’action doit-elle plutôt être portée sur les terrains de l’éducation du public et du rappel constant de valeurs telles que le respect des personnes ? A moins qu’il suffise de se référer aux mots de Robert Badinter et d’en tirer une substantifique moelle. Les premiers ont été prononcés, il y a presque quarante ans : « Il faut que nos concitoyens sachent bien que l’inculpation, ça n’est pas la condamnation. Que l’inculpation en France, cela veut dire qu’il se trouve dans le dossier des charges contre un justiciable. Mais seulement des charges. Il est encore présumé innocent » (1985, Antenne 2, L’heure de vérité) ; Les seconds ont un peu moins de trois ans : « Dans ma vie professionnelle, j'ai pu mesurer combien la nécessité de se défendre, de se justifier contre des accusations ressenties comme infamantes, était un tourment cruel pour l'inculpé innocent […] Il voit la souffrance de sa femme, de ses enfants, devant le torrent médiatique [...] Cette peine-là, celle de ses proches, cause à l'intéressé une douleur plus aiguë encore que la poursuite […] J'ai conservé à cet égard le souvenir des propos que tenait Pierre Bérégovoy sur la souffrance qu'il lisait sur les traits de son épouse. Elle n'a sans doute pas été étrangère à son tragique suicide, alors qu'il n'encourait en réalité aucune poursuite pénale ». (2021, Le Monde, Procédure pénale : à bout de souffle).
Pierre Corsi