La plus vieille librairie d'Ajaccio ferme ses portes
Une place sans les palmiers et sans librairie
La plus vieille librairie d'Ajaccio ferme ses portes
La librairie des Palmiers, la plus ancienne de la ville impériale, ferme ses portes le 23 décembre. De guerre lasse, sa propriétaire la cède à un restaurateur pour la transformer en crêperie. Il ne restera donc plus aux Ajacciens intra-muros que la librairie La Marge pour se cultiver. Ajaccio, comme la plupart des villes moyennes de province, s’appauvrit au bénéfice d’une banlieue dans laquelle la culture s’est réfugiée dans les grandes surfaces.
Une place sans les palmiers et sans librairie
Ajaccio a autrefois connu son heure de gloire quand elle abritait une dizaine de librairies dispersées dans les divers quartiers. Puis elles ont disparu les unes après les autres comme avait disparu la boutique Bassoul où on pouvait acheter ses pigments, ses papiers, ses toiles. Décennie après décennie, Ajaccio mute vers une sorte de néant. Bonne nouvelle : après cinq années de travaux, le cinéma Laetitia a rouvert ses portes. Il n’empêche : la disparition de la librairie des Palmiers a créé un électrochoc. Cette place où les palmiers n’existent plus que sous forme de moignons va paraître bien vite. Mais les quatre employés ont décidé de se battre. Pour l’heure, elles ont pris contact avec la mairie, la CdC et, en dépit d’une absence d’information, caresse le projet de préserver l’outil de travail sous forme d’un scoop. À bien y regarder, la pandémie de Covid a été fatale à la librairie comme à bien d’autres commerces. Maintenant il faut rembourser le PGE qui s’élève à 350 000 euros. Or la marge bénéficiaire d’un libraire, une fois que tous les frais ont été payés se monte à 1 %. C’est dur si le métier est périlleux. Seule source bénéficiaire : la papeterie.
Les raisons d’une vente
La propriétaire n’en peut plus. La clientèle ne suffit plus. Une partie des Ajacciens profitent des courses en périphérie de la ville pour acheter les livres à Cultura, à Leclerc ou à la FNAC. De surcroît, la politique de la mairie en matière de stationnement fait qu’à l’exception des riverains, ceux qui doivent atteindre le centre ajaccien grâce à la voiture, font plus qu’hésiter. Mettre cinq ou dix euros pour le parking c’est augmenter d’autant le prix d’un livre. Ajoutons que l’internet est un rude concurrent. Mais avec la disparition de cette librairie, c’est aussi beaucoup de la culture qui quitte Ajaccio. Une pétition en ligne a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures. Cela sera-t-il suffisant pour trouver une solution qui reste à définir ? D’autant qu’il faut aller vite, les lettres de licenciement ont été envoyées et quand sortira ce numéro du Journal de la Corse, les entretiens préalables au licenciement auront eu lieu.
Prévoir des actions
Pour l’heure, il est difficile d’organiser une défense efficace. Tant qu’on ne saura rien du prix de vente, des éventuelles facilités pour rembourser le PGE, tant que les employés n’auront pas défini une feuille de route crédible, il sera difficile d’avancer. Une idée a déjà été lancée : que les auteurs et les éditeurs qui le veulent bien écrivent une tribune libre adressée à la presse. Ensuite, il sera du ressort des autorités municipales et régionales d’aviser tout en sachant qu’il n’est pas du ressort du public de « nationaliser » une entreprise privée. Ce malheur ajaccien met en exergue le relatif bonheur culturel bastiais où trois librairies se battent pour exister. L’une d’entre elles vient justement de se créer à l’initiative d’employés d’une autre librairie qui, elle, a fermé. Mais on remarquera que Bastia possède son théâtre et son opéra alors qu’à Ajaccio il était remplacé par la Poste. Bastia, vraisemblablement, inspiré par une présence italienne toute proche, reste une ville de culture quand Ajaccio peine à le redevenir même s’il est vrai que de gros efforts ont été accomplis ces dernières années.
La force de la culture
Il est difficile d’imaginer une civilisation, une culture qui ne soit pas portée par l’écrit. C’est de moins en moins vrai et on en voit les conséquences parmi la jeunesse, littéralement happée par les écrans et année après année, en déshérence culturelle. Le livre n’est pas seulement un outil de connaissance. C’est un monde, celui de l’imaginaire, mais aussi celui du partage du savoir, du rêve. Une librairie qui ferme, c’est une porte qui se ferme sur l’altérité et une autre qui s’ouvre le néant. Lire c’est se forger une opinion par soi-même et ne pas être l’esclave d’une information à la fois pléthorique et néanmoins toujours dirigée. Une librairie c’est le palais de la liberté. Il va falloir faire tout son possible pour que celle de la place des Palmiers continue d’offrir ses trésors à celles et à ceux qui consentent encore à rester des esprits libres.
GXC