Retour sur la Nouvelle histoire de la Résistance en Corse de Sylvain Gregori
Michèle Acquaviva-Pache a relaté d’excellente façon dans un précédent numéro l’ouvrage de l’historien Sylvain Gregori sur la résistance en Corse.
Retour sur la Nouvelle histoire de la Résistance en Corse de Sylvain Gregori
Michèle Acquaviva-Pache a relaté d’excellente façon dans un précédent numéro l’ouvrage de l’historien Sylvain Gregori sur la résistance en Corse. Il n’est nul besoin de répéter ce qui a été écrit. Mais je voudrais revenir sur quelques aspects de la démarche entreprise par Gregori.
Un décryptage consciencieux de l’histoire insulaire
Longtemps, notre longtemps, l’histoire de notre île a été manipulée, tripatouillée à de seules fins idéologiques. Chaque camp cherchait dans les décombres de notre passé ce qui pouvait contribuer à sa thèse et non à la vérité. Ainsi lorsqu’on compulse l’historiographie du XIXe siècle, on passe d’une haine de l’Empire à une déification de Napoléon, d’un rejet de Pascal Paoli à son retour en grâce, à l’exhumation de Sampiero Corso qui aurait été le vaillant pionnier d’une Corse française à son quasi-oubli. Notre mémoire est paradoxalement oublieuse de ses fondamentaux. Or la nouvelle génération d’historiens est mille fois plus scrupuleuse. Je ne veux parler des adorateurs du fait national qui fantasment sur l’éternel peuple corse et pour qui le sommet de notre histoire se situe entre 1755 et 1769, ces quinze années après lesquelles la Corse n’aurait cessé de s’effondrer. Je veux parler de ceux qui cherchent dans les faits des traits saillants, une sorte de permanence qui dessinerait le chemin de notre propre histoire et qui expliquerait peut-être l’obscure clarté qui émane de notre île. Sylvain Gregori a ainsi abordé l’épisode de la Résistance corse, épisode bref mais qui, sous son regard anthropologique et historique, en dit long sur ce que nous sommes.
Légende contre réalité
Comme l’a expliqué Sylvain Gregori à Michèle Acquaviva-Pache, jusqu’à maintenant la Corse vichyssoise était une terre inconnue. La légende glorieuse masquait la réalité qui l’était moins. Car la Corse avait été le département qui, compte tenu de sa population, avait réuni le plus de légionnaires pétainistes. Travaillée par le sabianisme, elle était restée ancrée, comme d’ailleurs la majeure partie de la France, dans un conservatisme immobile voulu par le régime collaborationniste. La résistance végète donc jusqu’en novembre 1942, date de l’invasion italienne. Elle apparaît comme une terre endormie. Le parti communiste, seule véritable force politique, est encore balbutiant même s’il réunit des militants d’une valeur incontestable. Alors pourquoi une brusque montée en puissance en novembre 1942 ? Indubitablement et Gregori le démontre parfaitement par italianophobie. Quatre ans auparavant, inquiets des prétentions italiennes sur les « terre irredente » réclamées par le régime mussolinien, les Corses ont juré à Bastia de vivre et de mourir Français. Le souvenir du sang versé durant la Grande Guerre est encore frais et quoique prétendent les autonomistes d’alors, le petit peuple de Corse est xénophobe notamment vis-à-vis de l’émigration d’alors, celle qui vient d’Italie. Le deuxième facteur est la prise de conscience de la jeunesse qui s’implique massivement dans les activités de résistance. C’est que dans les périodes les plus difficiles, la population et plus particulièrement sa partie jeune a besoin d’héroïsme et de rêve. Le communisme leur offre cela. Enfin, les conditions de vie se sont particulièrement aggravées parce qu’en plus des difficultés existantes, il faut nourrir 80 000 soldats italiens ce qui, au passage, permettra à une minorité de s’engraisser.
La permanence du fait corse
Tout aussi intéressant est la façon dont la direction communiste du Front national a réussi à s’emparer des fondamentaux corses : la vendetta, le banditisme, les héros magnifiés, les maquisards. Car il faut le répéter le terme de maquis a été introduit dans le français lors de la conquête de 1769 puis à partir de 1943 a été repris sur le continent donnant le terme de maquisard et en Corse celui de machjaghjolu, remis au goût du jour par le FLNC. La résistance s’est servie de ces thèmes qui parlaient aux Corses en les mêlant à ceux du communisme : la fraternité, la solidarité sociale, l’idée planétaire. Et c’est bien grâce à l’aide du général Giraud et contre le général de Gaulle, que la résistance a pu être armée et s’est soulevée permettant ainsi qu’un bout du territoire métropolitain soit débarrassé de l’occupant. Gregori montre bien l’alignement des planètes en ce mois de septembre 1943 : la destitution de Mussolini en juin, l’avancée des Alliés en Italie puis la signature du traité de paix. Mais il fallait oser et Gregori suggère que c’est l’isolement de la Corse, dans tous les sens du terme, qui a permis à la direction communiste insulaire de s’affranchir en partie des ordres du parti continental. Gregori déconstruit formidablement cette période qu’en définitive nous connaissions peu sinon par les commémorations. Et miracle, elle n’en paraît que plus glorieuse et plus belle.
GXC
Sylvain Gregori, Nouvelle histoire de la résistance en Corse. Juillet 1940-Septembre 1943, Ajaccio,
Alain Piazzola, 2023, 32 €