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Diaspora : la déchirure ?

Le lien entre la Diaspora et nous autres a longtemps été très fort.

Diaspora : la déchirure ?

Le lien entre la Diaspora et nous autres a longtemps été très fort. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.


Roger Brunet, géographe, professeur des universités et directeur de recherche émérite du CNRS, a précisé qu’une diaspora (terme ayant pour origine le mot grec « speirein » signifiant semer) pouvait se constituer à partir de la « dispersion contrainte » des membres d’un peuple, et ce, même à défaut d’un « pays propre ». Il suffit selon Roger Brunet que la mémoire collective de ces individus s’inscrive dans une histoire commune et les relie au souvenir d’un même territoire. De ce fait, les Juifs et les Arméniens qui ne vivent pas en Israël ou en Arménie, sont considérés depuis des siècles pour les premiers et les années 1960 pour les seconds, comme membres d’une diaspora. Ceci découle de leur histoire. Depuis la seconde destruction du Temple (70 après J.-C) et la création de l’État d’Israël en 1947, étant dispersés aux quatre coins du monde, les Juifs ont chaque année célébré le Yom Kippour et Hanouka et ont aspiré à l’Alyah (l’an prochain à Jérusalem). Vivant aux quatre coins du monde, les enfants et petits-enfants des Arméniens qui avaient quitté leur terre natale pour échapper aux persécutions et au génocide perpétrés par la Turquie en 1915, sont restés fidèles à l'Église apostolique arménienne (église chrétienne orientale s'étant déclarés indépendante en 374 après J.-C) et n’ont pas oublié Erevan, et ce, jusqu’à la proclamation de l’État arménien en 1991 .
La naissance d’une diaspora peut aussi résulter de départs d’un « pays propre » dictés par des conditions matérielles difficiles et se constituer à partir d’une intégration / communautarisation (les individus s’intègrent aux sociétés des pays d’accueil mais conservent des traits culturels et spirituels de leurs pays d’origine et y séjournent plus ou moins régulièrement et longuement, et ont des liens affectifs, linguistiques, culturels et solidaires entre eux). Ainsi sont aujourd’hui identifiables les diasporas irlandaise, italienne, espagnole, portugaise ou polonaise. Les Corses qui sont établis aux quatre coins du monde représentent eux aussi une diaspora. Ils n’ont pas de « pays propre » ; leurs ascendants ou eux-mêmes ont quitté leur île à cause de conditions matérielles difficiles ; ils peuvent se référer à un territoire, une origine ethnique, une mémoire collective, des liens familiaux, des symboles affectifs et matériels (sépultures, maisons familiales…) ; ils séjournent plus ou moins régulièrement et longuement dans l’île ; enfin, ils entretiennent souvent des relations de convivialité ou de solidarité entre eux, et ce, depuis toujours comme l’ont montré dans le passé ou le montrent encore actuellement l’existence d’amicales ou celles de bulletins ou journaux.

Désintérêt voire même désamour


Durant les années 1970 et 1980, toutes les composantes du nationalisme ont courtisé la diaspora. Elles l’ont appelée à « u ritornu ». Elles l’ont sollicitée dans le cadre des combats « contre la répression » et des actions de « soli-darité avec les prisonniers politiques et leurs familles ». Elles lui ont demandé de mobiliser ses réseaux et ses compétences au service du développement de la Corse. Puis les choses ont quelque peu changé. Au début des années 1990, les organisations nationalistes ont contribué à restreindre l’influence politique de la diaspora en suscitant des dizaines de milliers de radiations de ses membres (désormais dénommés « corses de l’extérieur» et non plus « corsi di l’esiliu ») sur les listes électorales au nom du « on vote où l’on réside ».
Après la « victoire historique » de décembre 2015, la création d’une agence du retour qui avait souvent été présentée comme un des projets phares du nationalisme, n’a jamais été réalisée. Aujourd’hui, y compris dans plusieurs collectivités territoriales ou établissements publics administrés par des nationalistes, le recrutement de « corses de l’extérieur » ne représente pas une priorité quand il est nécessaire de recruter ailleurs qu’en Corse. Le pire des exemples a été donné par la Collectivité de Corse qui a procédé au recrutement d’un directeur général des services non-corse.
En 2021, les réticences à l’encontre de la proposition de mettre en place un tarif aérien Diaspora (qui aurait été le pendant du tarif aérien Résident), ont confirmé un désintérêt à l’encontre de la diaspora et même trahi l’existence d’un désamour. Initiée et présidée par Edmond Simeoni, la création de l’association Corsica Diaspora a un temps fait naître l’espoir d’un retournement de tendance.
Mais cela n’aura été qu’un feu de paille : ce que suggère l’absence d’écoute et de soutien de la Collectivité de Corse, et plus particu-lièrement de la conseillère exécutive en charge de la culture, concernant le « Villlage corse » de Paris (Espace Cyrnea) porté à bout de bras par un militant qui donne tout à la Corse et au nationalisme depuis 1975 (voir plus loin l’article de Gabriel Culioli) ; ce que suggère qu’au nom du « on vote où l’on travaille et où l’on réside », certains Corse de l’île considèrent qu’il est anormal que des « Corses de l’extérieur » soient encore inscrits sur les listes électorales (mais ne trouvent rien à redire concernant la multiplication du nombre de « nouveaux électeurs » issus des « nouveaux arrivants »). Ce qui signifie, y compris de la part de certains nationalistes, vouloir exclure de son île une partie du peuple corse historique. Une question vient de ce fait à l’esprit : entre une partie des Corses de l’île et la diaspora, la déchirure ?

Tout serait de sa faute...


Pour se dédouaner ou se justifier, les détracteurs de la diaspora invoquent qu’elle manifeste de moins en moins une volonté de « ritornu » ou d’implication dans les affaires de l’île, qu’elle adhère un peu trop aux modes de vie « furesteri », que des intérêts professionnels ou économiques ainsi que des liens familiaux noués loin de la terre de ses ancêtres la détournent de l’île. Bref, tout serait de sa faute ! Par contre, ils ne tiennent pas compte de l’absence de réelles démarches de nous autres Corses de l’île, visant à signifier à nos compatriotes de l’extérieur qu’il sera toujours bien vu qu’ils « rentrent chez eux » ou s’impliquent dans la construction du futur de la Corse.
Par contre aussi, ils « oublient » bien des choses. Au début des années 1970, la diaspora a soutenu les créations et les événements du Riacquistu. Certains de ses membres y ont même fortement contribué. Ainsi, à Paris, Pasquale Marchetti, par ailleurs co-auteur de Main basse sur une île, a été l’auteur de la Méthode Assimil d’initiation à la langue corse ; Rinatu Coti et Dumenicu Antone Geronimi ont lancé la revue culturelle et linguistique Rigiru ; Ghjacumu Fusina a écrit quelques uns de ses plus beaux textes…Après les événements d’Aleria, la diaspora a répondu présent. Des comités de soutien créés dans plusieurs villes de France, ont organisé des meetings et réunions d’information, ainsi que participé à la collecte de fonds pour venir en aide aux prisonniers politiques et à leurs familles. Après les premières arrestations opérées dans les rangs du FLNC, la diaspora n’a pas failli dans la solidarité avec les militants emprisonnés et leurs familles, même si l’action armée et la revendication indépen-dantiste rendaient plus délicate une implication.
Enfin, après l’affaire Bastelica-Fesch, la diaspora a affirmé sa solidarité avec les dizaines de militants ayant été emprisonnés. Les « Corses de l’extérieur » ont donc toujours apporté une pierre aux initiatives et aux luttes du peuple corse. Certes, des esprits chagrins ne manquent pas de soulever que beaucoup de ces Corses les plus mobilisés ou les plus impliqués étaient davantage des « corsi esiliati » (corses ayant quitté la Corse depuis quelques années) que des « corses de l’extérieur » (établis de l’autre côté de l’eau), et qu’ils ne relevaient donc pas de la dénomonation « diaspora ». Ces esprits chagrins affirment aussi que certains membres de la diaspora ont préféré prendre le parti du jacobinisme. Mais ils omettent de reconnaître que ces Corses n’ont jamais renié leurs origines. Ainsi, lorqu’il prit la plume, étant pourtant adversaire du nationalisme, Alexandre Sanguinetti donna pour titre à son ouvrage : Lettre ouverte à mes compatriotes corses.

Exemple criant


Enfin, il est aussi une déplaisante propension à ne guère valoriser nos compatriotes de la diaspora qui se sont distingués un peu partout dans le monde. En ce sens, il semble qu’il n’existe sur notre l’île, ni une place, ni une avenue, ni une rue, ni une impasse François-Xavier Ortoli. Pourtant ce Corse décédé en novembre 2007, n’était pas n’importe qui. Né à Aiacciu en 1925, il a toujours fait honneur à ses origines. Ses parents s’étant établis « aux colonies », comme cela se disait alors, il a brillé comme lycéen et étudiant à Hanoï. Son combat contre les Japonais durant la deuxième guerre mondiale, lui a valu de se voir décerner les décorations militaires les plus prestigieuses (croix de guerre, médaille militaire, médaille de la Résistance). En 1947, il a été admis à l’ENA, ce qui lui a ouvert les portes de l'Inspection des Finances. De 1958 à 1962, il a occupé des fonctions importantes au sein des institutions européennes.
De 1962 à 1966, il est devenu directeur de cabinet du Premier ministre Georges Pompidou. Entre 1966 et 1972, il a successivement occupé les fonctions de Commissaire au Plan, ministre de l'Équipement et du Logement, ministre de l'Éducation nationale, ministre de l'Économie et des Finances et ministre du Développement industriel et de la Recherche scientifique.
A la fin des années 1960, à Lille, il a été élu député et aussi conseiller général. De 1973 à 1977, il a été le premier français appelé à présider la Commission européenne, précédant à ce poste Jacques Delors. De 1977 à 1984, il a été un des principaux artisans du système monétaire européen. En 1984, le président de la République François Mitterrand l’a nommé président directeur général de Total, fonction qu'il a occupée jusqu'en 1990. Enfin, il est devenu président du Conseil national du patronat français international. Excusez du peu...

Pierre Corsi
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