• Le doyen de la presse Européenne

Aux origines du nationalisme corse contemporain, récit d'une genèse ( 1959-1976 )

Un ouvrage écrit par Pierre Dottelonde qui mérite le détour

Aux origines du nationalisme corse contemporain, récit d’une genèse (1959-1976)


Voilà un ouvrage écrit par Pierre Dottelonde qui mérite le détour. Très curieusement, il est le second ouvrage analytique qui décrit les fondations de l’actuel mouvement nationaliste. Car il y eut en 1978 l’édition de Corse : la poudrière écrit par Jean-Paul Delors et Stéphane Muracciole (éd. Alain Moreau) aujourd’hui introuvable. Il faut aussi signaler le dernier volume du Mémorial des Corses. Mais aucun n’avait le caractère analytique et précis de l’ouvrage dont il est question ici.


La genèse de la genèse


L’ouvrage fourmille de détails qui pourtant ne noient pas le lecteur sous les chiffres et les dates. L’auteur commet parfois petites erreurs comme celle de la fondation du club Méditerranée en Corse qu’il confond avec le club Polynésie créé en 1954 par Henri Helle puis racheté plus tard par le Club Méditerranée qu’a fondé durant l’été 1950 Gérard Blitz. Mais qu’importe, ça n’est là que broutilles. L’auteur raconte le réveil d’une belle endormie qui végétait depuis la fin de la guerre et qui commence à se réveiller avec la fin de la guerre d’Algérie. L’éveil se fait particulièrement sur le continent tout simplement parce que la plus grande partie de la jeunesse étudiante s’y trouve. Paradoxalement nous dit Dottelonde, c’est la réaction à l’abandon de l’Algérie qui forme le creuset de la contestation. Et c’est là que se retrouvent les futurs cadres de la Corse des années soixante-dix. La montée de la contestation extérieure qui conteste un pouvoir intérieur clanique y est fort bien décrite avec cette nouvelle contradiction qui voit après l’arrivée des Pieds-Noirs l’économie insulaire soudain dopée alors même que ces nouveaux venus sont qualifiés par les responsables régionalistes puis autonomistes de « colonisateurs » quand bien même ils sont dans leur immense majorité non-possédants et Corses d’origine ou d’alliance.

La montée de l’autonomisme


La montée revendicatrice est articulée en Corse par une jeunesse sur qui pèse le carcan clanique. Dottelonde décrit un phénomène de radicalisation qui ne touche pas le peu d’ouvriers corses, mais bien une couche sociale qui n’en peut plus du conservatisme des dirigeants politiques qui voient dans la modernité un péril pour leur pouvoir. Ce sont les jeunes paysans, les jeunes entrepreneurs qui montent au créneau et d’abord de manière feutrée puis de plus en plus ouvertement revendiquent leur part de soleil. Dottelonde nous découvre un cheminement souterrain de la contestation qui souvent sans grand bruit faisait le lit des explosions à venir. Remarquable analyse de la recherche linguistique d’abord avec les anciens du Muntese puis avec Scola corsa ce que Dottelonde désigne comme les prémices du riacquistu. Car si la Corse a en grande partie manqué le rendez-vous avec mai 1968, elle met les bouchées doubles les années suivantes.

A Chjama di u Castellare


L’année 1973 marque un tournant dans l’histoire mondiale puisqu’elle est celle du premier choc pétrolier. Le 7 janvier 1973, des militants au premier rang desquels Charles Santoni, Gisèle Poli, Jacques Gregori, Jean-Pierre Santini… lance un appel rédigé en français et en Corse qui est une véritable bombe puisqu’elle pose la première pierre de l’indépendantisme même si elle ne s’en réclame pas. Puis les épisodes s’enchaînent : révolte remarquable et exemplaires contre le déversement des boues rouges par une société italienne, révolte initiée en 1972. Des figures émergent comme celle d’Edmond Simeoni, mais aussi des organisations clandestines — Ghjustizia paolina, FPCL — curieusement marquées par un tiers-mondisme affirmé alors que l’idéologie hésite entre un rejet de l’état qui a perdu ses colonies et la volonté d’apparaître comme l’une des dernières colonies françaises. L’année 1973 et celle de l’apprentissage de l’union de la lutte légale et de la clandestinité avec notamment le plasticage d’un bateau de la société pollueuse par des militants du FPCL. De très belles pages sont écrites dessus par Pierre Dottelonde. La victoire de Giscard d’Estaing ouvre indubitablement une brèche dans la rigidité centralisatrice de la France.

La longue marche du nationalisme corse


On connaît la suite : Aleria en août 1975 et la création du FLNC en mai 1976. En fin de lecture, on repose ce livre qui possède une grande qualité : celle d’être écrit de façon logique et de posséder une écriture aisée à lire. Toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à ce qu’est la Corse aujourd’hui devraient acquérir cet ouvrage pour comprendre son évolution depuis la naissance jusqu’à la prise du pouvoir en 2016 et aujourd’hui son passage à vide. Il est heureux qu’un demi-siècle et plus après les premiers frémissements du régionalisme corse, deux générations plus tard, un historien ait décidé de laisser ce précieux document. À lire absolument alors que la génération des pionniers est en train de s’éteindre.

GXC


Aux origines du nationalisme corse contemporain, récit d’une genèse (1959-1976),
Pierre Dottelonde
Editions Piazzola, 270 pages, 15 €
Partager :