<< Les étoiles ne meurent jamais >> , film
Gabriel de Gravona de l'oubli à la lumière
« Les étoiles ne meurent jamais », film
Gabriel de Gravone de l’oubli à la lumière.
Jean Pierre Mattei, créateur de l’association, « La Corse et le cinéma », fondateur de la cinémathèque de l’île, vient de réaliser « Les étoiles ne meurent jamais » qui replace en pleine lumière une star du cinéma muet, Gabriel de Gravone… une star corse dont l’itinéraire vient d’être diffusé sur Via Stella.
Jean Pierre Mattei, notre « Monsieur cinéma » à nous, est l’auteur de plusieurs livres et réalisations, qui nous font revivre le 7 è art insulaire, ses cinéastes, ses acteurs, ses producteurs, ses affichistes. Avec son documentaire sur Gabriel de Gravone il nous fait redécouvrir un comédien injustement oublié. Autre qualité du film son approche originalepuisqu’elle consiste en une interview imaginaire de l’acteur.
Gabriel de Gravone, né à Ajaccio en 1887, mort à Marseille en 1972, avait un père receveur des postes ce qui conduit sa famille à habiter à Bastia puis à retourner en Corse du Sud. Elève au petit séminaire pour préparer le bac la future star de cinéma forme très vite une petite troupe d’acteurs amateurs qui se produit au café Napoléon. Fou de théâtre il part à Paris où un de ses oncles peut l’accueillir. Rapidement il dégote un cours d’art dramatique gratuit et commence à se faire un carnet d’adresses. Admis au Conservatoire le jeune homme suit le cours de Sarah Bernhardt. En 1907 il signe un contrat avec le Théâtre Royal de Bruxelles où il se fait nombre de relations. De retour à Paris, il est engagé à La Comédie Marigny, puis il s’initie au cinéma qui est alors muet. Après une interruption de carrière due à la guerre il va tourner dans « Les Misérables », « L’appel du sang », « L’Arlésienne », « La roue », « Rouletabille », « Michel Strogoff » pour ne citer que quelques films importants auxquels il participe.
Avec « Paris – Cabourg » il passe derrière la caméra mais c’est un four ! En créant un syndicat professionnel pour lutter contre la mainmise du cinéma américain sur les écrans français il actionne un signal d’alarme qui n’a pas suffisamment de portée. Mêlé en outremalgré lui à ce qui est appelé « le scandale de la banquière » incriminant Emma Eckert pour manœuvres frauduleuses, il déserte scènes et plateaux et se reconvertit dans les assurances vie, ensuite dans la vente de chauffage et enfin comme antiquaire.
Dans le film de Jean Pierre Mattei le comédien et professeur d’art dramatique, Raymond Acquaviva, incarne Gabriel de Gravone. Son jeu est sobre, efficace, convaincant avec de petites touches de malice par instant. Ce Bonifacien d’origine plus connu à Paris que dans l’île, apporte un ton de vérité.
« Les étoiles ne meurent jamais » repose sur une abondante documentation : témoignages de famille, articles de presse, photos, affiches de films, cartes postales du temps d’avant… celui de Gabriel de Gravone. Le documentaire restitue le parfum d’une époque évanouie, parfum qu’on hume avec bonheur.
Michèle Acquaviva-Pache
• Si vous avez manqué la première diffusion des « Etoiles ne meurent jamais » vous pouvez vous rattraper sur le replay de Via Stella.Encadré
Intervenants dans le film : Laurent Manoni, expert en cinéma. Valécien Bonnot-Gallucci, doctorant en histoire de l’art et cinéma. Producteur, Nicolas Mucchielli de Symphonia Films. A l’image et au montage, Jean Marc Siaudeau. Musique, Didier Benetti.
ENTRETIEN AVEC JEAN PIERRE MATTEI
Comment avez-vous eu l’idée d’un film sur Gabriel de Gravone ?
Avec « La Corse et le Cinéma » puis avec la création de la cinémathèque de Corse à Porto Vecchio on s’est lancé dans l’inventaire de ce que les Corses ont apporté au grand écran. On a mis en avant des figures significatives dont le souvenir s’était éteint, ce qui était le cas des stars du temps du muet tel Gabriel de Gravone. Il avait, entre autres, joué dans « La roue » d’Abel Gance et tourné avec la plupart des cinéastes renommés de l’époque d’avant le parlant.
Gabriel de Gravone est un pseudonyme. Pourquoi l’acteur l’a-t-il choisi ?
Son nom de naissance était Antoine Paul André Faggianelli. Pour la scène et le cinéma il a opté pour prénom, Gabriel, qui faisait référence au théâtre ajaccien. Quant au patronyme de de Gravone ce choix fait écho à une propriété de son père dans la vallée de la Gravona. Faireun film sur ce comédien c’était faire revivre un moment de l’histoire du cinéma peu connue et peu développée. Gabriel de Gravone c’était le Delon d’alors avec ses cigarettes et ses cravates à son nom !
Avez-vous facilement retrouvé sa trace ?
J’ai dû rassembler le puzzle de sa vie. J’ai su qu’il avait commencé à écrire ses mémoires en 1970. Ces textes il les avait laissés à sa fille, tragiquement morte peu après. J’ai contacté son mari qui m’a déposé les archives de son beau-père. J’ai également appris que la troisième épouse de l’acteur vivait dans un EPAD de Marseille et j’ai eu un entretien téléphonique avec elle. Il y a quelques années j’ai eu la chance de joindre son petit-neveu, François Villat, qui vit à Ajaccio et qui m’a donné accès à toute l’histoire familiale.
Le concept d’une interview imaginaire s’est-il imposé immédiatement à vous ?
Au début je voulais réaliser des entretiens avec des personnes qui avaient côtoyé l’acteur et avaient été proches de lui. Mais elles avaient toutes disparu. 1926 signait d’ailleurs lafin de sa carrière cinématographique. A cette date il avait tout envoyé balader, selon ses termes. Une réaction provoquée par une série de déconvenues que je juge dans le droit fil de l’esprit corse… Une interview imaginaire incarnée avec un comédien s’est donc finalement imposée.
Avez-vous pensé de suite à Raymond Acquaviva pour être à l’écran Gabriel de Gravone ?
Pour incarner Gabriel de Gravone il fallait que je m’adresse à un comédien qui ait une stature car tout le film, ou presque, repose sur lui. Ce comédien devait avoir été, un temps, sociétaire de la Comédie Française. Raymond Acquaviva répondait à ces critères car il a une belle carrière au théâtre. Il est aussi un professeur d’art dramatique renommé. Dix ans durant son itinéraire l’a conduit à l’institution du Palais Royal. Je lui ai envoyé le scénario et vingt-quatre heures après il m’a répondu qu’il acceptait avec joie ma proposition.
Pourquoi Gabriel de Gravone n’a-t-il pas affronté le défi du parlant ?
C’est un grand mystère… Mais j’ai ma théorie. Son film, Paris – Cabourg », son syndicat pour contrecarrer le cinéma américain n’avaient pas bien marché et les soupçons qui ont pesé sur lui au moment de l’affaire de la banquière dont Francis Girod a fait un film avec Romy Schneider, tout cela était de trop ! Il tira donc un trait sur sa carrière cinématographique et son métier d’acteur.
Quid de sa reconversion ?
Il plaça avec tant de succès des assurances vie que ses patrons lui offrirent une Bugatti. Même réussite dans la vente de chauffages thermiques. Grâce à son charme il séduisait tous ses clients. Il finit par ouvrir un magasin d’antiquités à Marseille.
Vous avez tourné votre film à L’Excelsior d’Abbazia. Pour quelles raisons ?
L’Excelsior a un côté rétro et ses propriétaires nous ont gentiment ouvert les portes. C’est un lieu magique, une vraie pièce de musée qui continue à recevoir du public. Raymond Acquaviva était enthousiaste. Ce cadre le ravissait.
Des musiques du film sont signées Didier Benetti. Comment avez-vous découvert ce compositeur ?
J’ai demandé à Bertrand Cervera, directeur du festival « Sorru in Musica » de programmer des ciné-concerts en puisant dans les films muets pour lesquels seraient composées des musiques originales. B Cervera a fait appel à Didier Benetti et c’est ainsi que j’ai fait sa connaissance.
Propos recueillis par M. A-P