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Beauvau suite et fin

Vers l 'autonomie à la française

Beauvau suite et fin : vers l’autonomie à la française


S’exprimant en septembre dernier à la tribune de l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, le Président de la République s’est dit favorable à l'inscription de la Corse dans la Constitution et ouvert à « une autonomie à la Corse dans la République ». Aujourd’hui, il se dessine l’instauration d’une autonomie à la française.



L’an passé, le 5 juillet, l’Assemblée de Corse a adopté la délibération Autonomia. Le texte a été voté à une large majorité (46 votes nationalistes pour, 16 votes de droite contre, 1 abstention nationaliste). Il y est demandé que soit soumis au Parlement un projet de révision constitutionnelle ouvrant sur une autonomie de La Corse à partir de l’inscription dans la Constitution, d’un Titre concernant l’île. La délibération a été adoptée « avant le 14 juillet » comme l’avait demandé, le 24 février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, à la suite de la réunion du troisième Comité stratégique sur l’avenir institutionnel de la Corse ; réunion au cours de laquelle le Président de la République était venu en voisin pour saluer les participants et surtout préciser que s’il n’opposait « pas de tabous » ou de « solutions prédéterminées », il entendait ne pas renoncer aux « deux lignes rouges » (maintien de la Corse dans la République, refus de créer deux catégories de citoyens) qu’il avait tracées au début du processus Beauvau. Le 14 juillet, le Président de la République ne s’étant ni adressé directement aux Françaises et aux Français (allocution), ni à des journalistes (conférence de presse ou interview), aucune réponse n’a été apportée à la motion du 5 juillet.
Le 28 septembre, à l’occasion de sa venue en Corse, s’exprimant à la tribune de l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, le Président de la République s’est dit favorable à l'inscription de la Corse dans la Constitution et ouvert à une évolution vers « une autonomie à la Corse dans la République ». En revanche, il n’a pas dit mot concernant la délibération du 5 juillet et, enjambant le vote majoritaire ayant permis l’adoption de celle-ci, il a fait part de son souhait que se dégage des groupes politiques de l’Assemblée de Corse, un « accord » avec le gouvernement permettant la rédaction d’un texte destiné à être soumis aux parlementaires avant l’été 2024. « Je souhaite donc que le travail avec le gouvernement puisse mener à un texte constitutionnel et organique ainsi soumis à votre accord d'ici six mois » a-t-il affirmé. Malgré que chef de l’État ait fait l’impasse sur la délibération du 5 juillet et le fait majoritaire, la majorité siméoniste a alors affiché son optimisme. « Nous, nous allons continuer notre combat dans la force, à travailler ardemment et faire la démonstration de l’intérêt de la délibération du 5 juillet […] Nous avons toujours dit que nous entrions dans une négociation politique. Le chef de l’Etat a fixé six mois, nous allons montrer ce qu’il manque peut-être dans sa déclaration» a commenté un des plus influents conseillers de Corse Fà Populu Inseme. Jean-Christophe Angelini (Partitu di a Nazione Corsa), intervenant au nom du groupe politique Avanzemu, n’a pas cassé l’ambiance : « Une autonomie sans pouvoir législatif, ça n'est pas une autonomie, c'est très clair. C'est d'ailleurs le sens de la délibération largement majoritaire du 5 juillet dernier.
Mais, en même temps, il n'a pas été dit que nous ne pourrions pas légiférer ». En revanche, au nom du groupe Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti a glissé un premier avertissement : « Si c'est pour nous vendre le projet d'évolution de l'adaptation réglementaire proposé par le groupe de droite à l'Assemblée de Corse, le compte n'y est pas […] Le seul consensus à prendre en compte est celui de la délibération du 5 juillet dernier adoptée par 73 % des élus ».
En revanche également, Petr'Antò Tomasi, alors encore porte-parole de Corsica Libera, a affirmé (comme l’avait indiqué l’abstention de Josepha Giacometti-Piredda lors du vote de la délibération du 5 juillet) que son parti ne croyait pas à une issue favorable : « Il est aujourd'hui évident que le projet du Président de la République française, avant même que celui-ci passe par les fourches caudines du Sénat, exclut déjà tout ce qui est fondamental pour les Corses ».


Le choix du dialogue



Dès le 28 septembre dernier, il est donc apparu que la délibération du 5 juillet était mise à l’écart par la partie parisienne. Ceci, on l’a vu plus haut, a été révélé par le fait qu’elle n’a pas été mentionnée dans le discours du Président de la République. Ceci a été implicitement confirmé par le fait que le chef de l’État a détricoté certaines notions figurant dans le texte : le peuple corse a été ravalé au rang de « communauté insulaire historique, linguistique et culturelle » ; à la coofficialité, ont été opposés que « la langue corse puisse être mieux enseignée et placée au cœur de la vie de chaque Corse » et la création d’un indéfini « service public de l’enseignement en faveur du bilinguisme » ; au pouvoir législatif, il a été substitué que la Corse pourrait édicter « des normes sur des matières ou des compétences transférées ». En agissant ainsi et en exprimant la volonté que se dégage « un accord » entre les groupes politiques de l’Assemblée de Corse, le Président de le République a aussi montré ne pas tenir compte du fait majoritaire. La droite a d’ailleurs très bien compris le message et n’a pas manqué d’exprimer de l’approbation ou de la satisfaction. « On est peu ou prou, à quelques nuances près, autour de la proposition que nous avions formulée » s’est félicité Jean-Martin Mondoloni qui co-préside le groupe politique Un Soffiu Novu. « Il a repris ce que nous disons depuis le début. Ce qui importe, c'est le bien-être des Corses et pas une quelconque lubie législative » s’est réjoui François-Xavier Ceccoli, président de la fédération Les Républicains de Haute-Corse. « Monsieur Simeoni doit être gêné par rapport à ses alliés historiques. Il n’y a pas le contenu qu’ils attendaient. Macron a quand même écouté les autres forces de l'Assemblée de Corse que sont les gens de droite » a commenté François Filoni, le principal représentant insulaire du Rassemblement National. Laurent Marcangeli s’est quant à lui démarqué des réactions presque triomphalistes de son camp en se positionnant en médiateur et en conciliateur : « Il nous appartient de rendre ce discours palpable par une production qui ne pourra s’effectuer que par la voie du consensus. » Le député de la première circonscription de la Corse-du-Sud a ainsi, en évitant de souligner le revers infligé aux nationalistes, préparé le terrain pour les discussions voulues par le chef de l’État. De son côté, le président du Conseil exécutif a lui aussi tenu un discours allant dans le sens du dialogue : « Il y a une référence claire à un statut d'autonomie. Il y a la volonté de consacrer un titre ou un article spécifique à la Corse avec une mention, dans ce titre, de la reconnaissance d'une communauté historique, culturelle et linguistique. Il y a également la perspective d'un pouvoir normatif, ce qui peut apparaître comme une pré reconnaissance d’un pouvoir législatif. Nous allons pouvoir discuter de tout sans tabous et, bien sûr, continuer à plaider en faveur des éléments qui avaient été votés à une très large majorité par l’Assemblée de Corse. » Auparavant, Jean-Félix Acquaviva, député Femu a Corsica de la seconde circonscription de Haute-Corse, avait lui aussi mis en exergue ce qui était positif : « Le Président de la République a ouvert le jeu […] Aujourd’hui, on peut s’atteler à réaliser la deuxième phase du processus. Des mots importants ont été prononcés, même si ce ne sont pas ceux de la délibération du 5 juillet. »


De la recherche du compromis au taureau par les cornes



Dès après le 28 septembre dernier, même s’ils ont continué à se référer à la délibération du 5 juillet et au fait majoritaire, le président du Conseil exécutif et ses amis ont pris en compte la mise à l’écart du texte et la volonté de la partie parisienne que soit trouvé un consensus ou, à défaut, au moins un accord avec une partie de la droite.
De son côté, Laurent Marcangeli a invité Un Soffiu Novu, et plus particulièrement Jean-Martin Mondoloni, à faire un pas vers les nationalistes. La pierre d’achoppement entre les nationalistes et la droite ayant été, le 5 juillet, le pouvoir législatif, il s’agissait essentiellement de trouver un compromis à partir de la proposition, faite par le Président de la République, que la Corse puisse édicter « des normes sur des matières ou des compétences transférées ». A ce jour, rencontres informelles et réunions de travail n’ont pas permis d’aboutir à un compromis. Cette absence d’avancée concrète a été, au début de ce mois, une des causes - l’autre ayant été l’intrusion de militants de Core in Fronte dans la maison du garde des Sceaux, à Centuri - de l’annulation de la venue dans l’île de Gérard Darmanin. L’intéressé l’a d’ailleurs confirmé dans une interview qu’il a accordée à Corse Matin (interview dont sont tirés tous les propos du ministre reproduits ci-après et plus loin) : « Je regrette, alors que le Président de la République s’est engagé en prononçant un discours très clair devant l’assemblée territoriale, alors que je me suis déplacé plusieurs fois en Corse et qu’un long travail, extrêmement sérieux, a été mené, de ne rien avoir de concret entre les mains pour, enfin, pouvoir demander au Président de la République de présenter un projet de loi constitutionnelle. »
L’absence d’avancée concrète a probablement aussi déterminé l’organisation du dîner du 7 février dernier qui aurait dû rester secret ; qui a réuni, sans doute pour tenter de peaufiner un compromis, Gérald Darmanin, son conseiller Grégory Canal en charge du dossier Corse, Laurent Marcangeli et Jean-Christophe Angelini ; auquel était aussi convié Gilles Simeoni qui a décliné l’invitation et sans doute ainsi rendu l’agape moins utile et productive. Enfin, l’absence d’avancée concrète a assurément incité Gérald Darmanin à mettre fin au devoir sur table. Ce qu’il a d’ailleurs revendiqué : « Le Président de la République a donné six mois à l’issue desquels une copie, permettant de modifier la Constitution puis de prendre des déclinaisons de loi organique, doit être rendue. Pour réformer la Constitution, une écriture constitutionnelle est requise, je ne l’ai pas. J’ai donc décidé de prendre le taureau par les cornes [...] J’inviterai, le 26 février prochain, à Paris, Gilles Simeoni ainsi que les principaux responsables des familles politiques corses.
D’une part, pour leur soumettre une rédaction qui sera amendable. D’autre part, pour vérifier si le travail de consensus, requête formulée par Emmanuel Macron, a été effectué […] La discussion ne peut durer éternellement. Il est temps de ramasser les copies » Gérald Darmanin vérifiera mais aura aussi à cœur de cadrer : « Nous examinerons la proposition que je fais, nous la rectifierons si besoin. S’il y a consensus, je reviendrai en Corse à la mi-mars pour une nouvelle réunion du Comité stratégique. Nous en aurons alors terminé et nous serons dans les délais fixés par le chef de l’État ». C’est clair, les élus de la Corse n’ont plus la main, ni sur le contenu du projet Autonomie, ni sur l’agenda et si un accord n’est pas trouvé, et que tout capote, Gérald Darmanin leur fera porter la responsabilité de l’échec : « Nous avons mobilisé les services de l’État, orchestré des dizaines de réunions, le Président s’est déplacé en Corse et je suis le seul ministre de la République à avoir prononcé le mot autonomie. Il faut à présent savoir conclure. S’il y a échec, ce ne sera pas le nôtre. »


La droite peut jubiler


Ce qui est clair aussi, c’est que dans l’esprit du ministre de l’Intérieur, la délibération du 5 juillet est désormais définitivement destinée aux oubliettes. Ce qui est évident, c’est qu’alors que le Président de la République se disait ouvert à « une autonomie à la Corse dans la République », il se dessine l’instauration d’une autonomie à la française. Ce qui crève les yeux, c’est que la stratégie de Gilles Simeoni a conduit à l’échec. La droite peut jubiler et aurait tort de ne pas le faire car, bien qu’étant minoritaire, elle est passe de tout obtenir. En effet, Jean-Martin Mondoloni n’aura plus à combattre la délibération du 5 juillet. Laurent Marcangeli obtiendra probablement la création de la métropole d’Aiacciu. Jean-Jacques Panunzi a bon espoir que le mode d’élection des conseillers de Corse soit modifié selon une territorialisation dont il est le militant depuis plusieurs années. « Il faut que l’on parle aussi du mode de scrutin. Je suis plutôt favorable à un scrutin mixte avec une proportionnelle qui représente les idées, combinée à une élection territoriale » a indiqué Gérald Darmanin. Chez les nationalistes, la frustration et la colère dominent. Seul Jean-Christophe Angelini fait bonne figure ou plus précisément fait dans le pragmatisme sans oublier d’allonger un coup de pied de l’âne au président du Conseil exécutif: « Il faut construire. Nous ne sommes pas comptables de l'échec de Gilles Simeoni, Soit on reste bloqués sur l'échec et on fait capoter la révision constitutionnelle, soit on travaille. Il faut que la Corse tente une fois pour toute de converger ». Gilles Simeoni est dans une situation délicate. Il y a un mois, à l’occasion de l’assemblée générale de Femu a Corsi, il avait martelé la nécessité de coller au plus près à la délibération du 5 juillet, la présentant d’ailleurs comme étant la synthèse de soixante ans de combats. Accepter la copie de Gérald Darmanin représenterait un reniement et accepter une déculottée politique. Mais a-t-il vraiment le choix ? Il est probable que non car rejeter la copie Darmanin le mettrait en situation de conflit avec l’État et de délicatesse avec l’importante composante modérée de ses soutiens. Core Fronte rejettera probablement la copie darmanine. 13 décembre 2023La question corse ne saurait donc faire l'objet d'une quelconque transaction politicienne à minima. C’est ce que suggère cette prise de position de décembre dernier : « Nous l'avons déjà dit, l'unanimité, voulue par Emmanuel Macron, ce n'est pas la démocratie.
La délibération du 5 juillet, avec un Titre pour la Corse, et un véritable statut d’Autonomie, doit être démocratiquement respectée par l'Etat français et politiquement assumée par tous ses signataires. » Le non est encore plus probable du fait de la création du parti Nazione qui a assumé une grande fermeté : « Face au ministre de l’Intérieur français dépêché pour calmer la rue, la majorité aujourd’hui à la tête des institutions de la Corse a préféré neutraliser le rapport de force alors établi. En lieu et place de négociations jetant les bases d’une solution politique globale, un protocole excluant ce qui constitue l’essentiel de soixante années de combat contemporain a été entériné […]
Les discussions en cours sont malheureusement condamnées à aboutir à une décentralisation améliorée que d’aucuns, à grand renfort de communication, tenteront de travestir en une « autonomie de plein droit et de plein exercice » Et ce n’est pas l’analyse d’U Ribombu Internaziunale, media proche de Nazione, qui devrait inciter Core in Fronte à baisser la garde : « L’interview exclusive donnée par Gerald Darmanin au quotidien Corse Matin est on ne peut plus claire. Pour lui, il est temps de conclure et de siffler ainsi la fin de la récréation.
Ce faisant, il ne fait que conforter toutes les analyses que nous avons déjà livrées sur le « processus » en cours qui consiste, avant tout, à circonscrire toute pseudo discussion dans un cadre excluant toutes les revendications fondamentales pour lesquelles des générations entières de Corses se sont battues […] Au delà d’une forme faussement respectueuse où pointent à chaque instant l’ironie et le mépris, le ministre Darmanin dispense à Gilles Simeoni et à son exécutif une leçon sur à peu près tout: la forme, la manière, les moyens. Il prodigue ses conseils comme un maître à des élèves de seconde section de maternelle, énonçant clairement que c’est lui qui va proposer un texte [...] Il dessine à sa guise, et avec l’appui objectif de tous ceux qui s’y prêtent d’ores et déjà, les contours d’une majorité territoriale et d’un consensus qui n’a plus rien de nationaliste, pour imposer in fine une autonomie au rabais ».


Pierre Corsi
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