Le malaise du logement en Corse, une crise générale qui se profile
Quiconque parcourt le réseau routier de la Corse ne peut qu’être impressionné par le nombre de chantiers qui éclosent un peu partout et plus particulièrement sur la côte.
Le malaise du logement en Corse
Quiconque parcourt le réseau routier de la Corse ne peut qu’être impressionné par le nombre de chantiers qui éclosent un peu partout et plus particulièrement sur la côte. C’est d’ailleurs le cas dans toutes les régions européennes proches de la mer. Le phénomène est d’ailleurs paradoxal puisque l’accroissement du parc immobilier a pour corollaire une difficulté à se loger. Le point sur la situation en Corse.
Une crise générale qui se profile
En 2023, le nombre total d’entreprises en difficulté a fortement progressé : 57 000 au total contre 42 000 en 202. Et parmi ces sociétés victimes de « défaillance », les entreprises du bâtiment — et notamment de la promotion immobilière — sont particulièrement représentées. En 2023, elles comptaient ainsi pour 25 % du total des entreprises en grande difficulté, contre 22 % en 2022. Or, selon l’INSEE, le monde du bâtiment n’est censé représenter qu’environ 15 % du total des entreprises (hors secteur agricole et financier) en France… En 2023, l’activité immobilière, plombée par la hausse des taux d’intérêt et les nouvelles normes écologiques, s’est effondrée de 50 % par rapport à une année normale. Il est vrai que l’activité avait fortement augmenté avec le COVID. La classe moyenne aisée avait alors cherché des logements à la campagne afin de mieux vivre un nouveau confinement. En Corse pourtant, malgré un ralentissement, l’immobilier se porte mieux que sur le continent. Mais les classes moyennes et plus encore les classes défavorisées peinent à se loger dans des conditions décentes.
La Corse tout en contradictions
L’équation corse fonctionne avec plusieurs paramètres bien connus. En premier lieu, la moitié des ménages seniors insulaires ont un niveau de vie annuel inférieur à 22 365 euros, le plus faible derrière les Hauts-de-France (21 910 euros). Le niveau de vie médian de 21 500 euros est ainsi en deçà de celui de France de province (23 220 euros). Or pour emprunter, il faut disposer d’un revenu égal à 1 % du montant désiré par mois et par personne. Par exemple si un couple veut emprunter 300 000 euros il devra disposer de 6 000 euros mensuels. Mission impossible pour la plupart des Corses. Ajoutons à cela que la location est très chère et que le nombre de locations annuelles est en forte baisse à cause du phénomène estival et Airbnb. Enfin les nouvelles normes de mise à niveau des logements anciens sont souvent beaucoup trop lourdes pour les petits propriétaires qui renoncent et parfois vendent leurs biens à de riches acheteurs. Ceux-là les retapent puis les mettent sur le marché à des prix qui interdisent leur accès aux moins bien nantis. Enfin la tension du marché est accentuée par l’arrivée en Corse d’environ 3 500 nouveaux venus chaque année. Mais les revenus médians cachent mal une forte disparité de moyens. Car en Corse, il existe une couche sociale très aisée et très minoritaire qui est renforcée par un apport extérieur de continentaux le plus souvent retraités, mais parfois en activité qui achètent à la fois pour le confort de l’existence et à des fins spéculatives.
Les atouts vénéneux de la Corse
Dans son ouvrage A Maffia No, Léo Battesti fait œuvre de repentance et au vu de l’immobilier actuel en déduit que la violence clandestine n’a rien arrêté. Notre repentant a bien tort. Il n’y a qu’à consulter les chiffres des permis de construire. Ils sont relativement stables jusque dans les années 2010 qui voit la violence clandestine décroître. En 2014, le FLNC annonce déposer les armes permettant l’année suivante la victoire nationaliste. L’immobilier bondit soudainement jusqu’à atteindre son paroxysme ces dernières années. Le constat est implacable : l’action des associations légales n’a en rien joué sur l’immobilier tandis que hélas la violence a contenu son avancée jusqu’à ce que la paix revenue permette à la loi capitaliste du profit de jouer pleinement son rôle. De plus, le sentiment de sécurité causé par l’absence d’une délinquance de quartier, la douceur du climat, a joué en faveur d’un engouement extraordinaire pour une île qui ne parvient plus à loger ses enfants. Aujourd’hui certaines villas s’achètent à 20 000 euros du mètre carré, des appartements à Porticcio à 13 000 euros. Toutes zones confondues, le prix moyen du mètre carré des appartements s’élevait jusqu’à 6 100 euros, celui des maisons à 6 600 euros. Il existe 120 305 appartements en Corse. Le nombre d’appartements est en hausse de 6 % sur 5 ans, soit 7 129 nouveaux appartements. Il y a 130 028 maisons individuelles en Corse. Le nombre de maisons individuelles a progressé de 11 % en 5 ans, soit 13 058 nouvelles constructions.
Un faible taux de logements sociaux
Inaccessible pour la majeure partie d’une population qui par ailleurs est pénalisée par un taux très réduit d’habitations sociales. Alors que le gouvernement exige des communes qu’elles respectent les quotas imposés par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), en France seules quatre communes sur dix, soumises à la loi depuis plus de 20 ans, parviennent à s’y conformer. En Corse une seule Avec la même proposition que l’on retrouve sur le continent, quatre communes sont concernées par la loi qui exige un seuil de population minimal. Parmi les quatre concernées, seule Bastia satisfait à ses obligations avec 31,20 %, tandis que les trois autres — Ajaccio, Furiani, et Biguglia — demeurent en deçà des obligations légales, bien que des progrès notables aient été enregistrés au cours de la dernière année. Les trois autres ne respectent pas la loi. Sur l’ensemble des logements de la Corse 5 % sont des logements sociaux HLM loués vides. Cela représente 12 125 logements. Le nombre de logements sociaux loués au titre de la résidence principale est en hausse sur 5 ans de 3 %, soit 404 logements de plus.
Peu de logements vacants en Corse, mais beaucoup de logements secondaires
L’INSEE notait qu’en Corse, 8 350 logements étaient vacants en 2020. Ils représentaient 3,2 % de la totalité des logements contre 8,2 % en France. Notre île est la région où la vacance est la plus faible et la seule à rester stable sur une décennie. Moins nombreux en milieu urbain, les logements vacants sont peu fréquents sur Ajaccio et Bastia. Rares dans les territoires touristiques, ils peuvent être en revanche davantage présents dans les zones rurales. Mais cela cache une autre réalité : le nombre de logements secondaires. 40 % des logements sont secondaires en Corse. Une partie il est vrai est constituée de maisons familiales. Il existe 252 642 logements dans la région de la Corse. Le nombre des logements a progressé de 9 % au cours des 5 dernières années. Il y a 5 ans, le nombre de logements était de 232 772. 38 % des logements de la Corse sont occupés comme résidence secondaire. Soit un total de 94 875 résidences secondaires. Le nombre de résidences secondaires a augmenté en 5 ans de 11 %, soit 9 728 logements occupés à titre secondaire de plus.
Des conséquences économiques, mais aussi psychiques
Les conséquences sont d’abord économiques. Les jeunes Corses ne trouvent plus à se loger. Les nationalistes ont proposé un statut de résident qui, malheureusement, ne fera que repousser le problème. La vérité est qu’aujourd’hui les plus défavorisés, Corses et non Corses, sont repoussés vers des ghettos immobiliers et que, doucement, se crée chez nous le phénomène des « quartiers » avec tout ce que ça va impliquer en termes d’enfermement et de délinquance. Les plus pauvres vont se retrouver dans des zones intérieures qui vont ressembler à des réserves indiennes, conformes à ce qu’avait prédit l’Hudson Institute dans les années soixante-dix. Un tel processus infantilise les jeunes Corses qui, par nécessité et parfois par goût, restent dans le nid familial, vivotant souvent d’expédients ou de minima sociaux dont les revenus servent d’argent de poche. Il a par ailleurs été prouvé que le cocooning favorisait l’usage des drogues et l’expansion des trafics.
Des remèdes improbables
À ce jour, seuls les nationalistes ont tenté d’apporter des solutions au mal qui ne cessent de grandir. Car le phénomène de résidentialisation a connu une accélération phénoménale avec l’irruption d’internet et des sites Airbnb, Booking.com, Abritel, le Bon Coin… et il est en train de prendre des proportions inouïes. Il pénalise en premier lieu les professionnels qui eux paient des taxes, l’URSAFF etc. Mais il atteint également les Corses et les plus pauvres pour qui les conditions deviennent invivables. La petite bourgeoisie et la moyenne bourgeoisie sont les plus en danger, car bien souvent ses membres ne disposent pas de l’argent nécessaire pour acheter pas plus que des aides sociales réservées aux plus pauvres. Le député Acquaviva avait déposé un projet de loi proposant un droit de préemption pour la Collectivité. Encore faut-il en avoir les moyens financiers ce qui est loin d’être le cas. Elle propose un alourdissement de l’imposition sur les résidences secondaires ce qui à l’évidence va pénaliser les maisons familiales sans réellement inquiéter les plus riches. La troisième mesure consistait à surtaxer de façon dissuasive les plus-values que les investisseurs réalisent lors de la revente de leur investissement résidentiel. Le gouvernement s’y est opposé. L’équation est loin d’être résolue d’autant que les vendeurs sont des Corses tout comme les promoteurs et les constructeurs.
GXC