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Autonomie : Il sait que rien n'est pas encore gagné

Le président du conseil exécutif a conscience que l'Assemblée nationale et le Sénat peuvent raboter ou saborder le texte issu du dernier dîner de Beauvau
Autonomie : Il sait que rien n'est encore gagné


Le président du Conseil exécutif a conscience que l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent raboter ou saborder le texte issu du dernier dîner de Beauvau ; que les députés et les sénateurs seront sous la pression d’un lobby jacobin ; que ce lobby sera peut-être écouté du fait que son message de « risque de contagion » est crédibilisé par les revendications autonomistes que viennent d’exprimer des élus bretons, alsaciens et guyanais ; qu’il va falloir convaincre une majorité de Corses ; qu’il ne pourra pas compter sur grand monde en dehors de son camp comme le montrent les réactions et appréciations des uns et des autres.



Dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, durant la session ordinaire des 29 février et 1er mars, la majorité siméoniste a été sévèrement critiquée par le groupe Corse in Fronte. En effet, le groupe d’élus du parti de Paul-Félix Benedetti a dénoncé la mise à la corbeille par Gérald Darmanin de la délibération Autonomia du 5 juillet et l’acceptation tacite de ce fait accompli par la plupart des élus présents, lors du dîner de Beauvau du 26 février. « On arrive au fait de nier une délibération ultra majoritaire » a même tonné Paul Quastana lors de sa prise de parole. Gilles Simeoni n’a pas fait la sourde oreille. Le 6 mars, à l’occasion d’une conférence des présidents portant sur la position à défendre lors du dîner au ministère de l’Intérieur programmé le 11 mars et devant être le dernier acte du processus Beauvau, il a proposé un « projet d’écriture constitutionnelle » différant de celui proposé par Gérald Darmanin et reprenant en grande partie les fondamentaux nationalistes figurant dans la délibération Autonomia. Ce projet de texte ainsi mis sur la table mentionnait notamment la notion de « valeur législative produite » (référence à la revendication d’un pouvoir législatif) et la prise en compte des « intérêts propres » d’une « Corse dotée d’un statut d’autonomie » et non des « intérêts propres » d’une « Collectivité de Corse » (référence aux droits historiques du peuple corse). Par ailleurs, ce projet de texte énonçait aussi des compétences devant être, selon la majorité siméoniste, totalement transférées à la Collectivité de Corse (notamment la protection du patrimoine foncier, l’action économique, linguistique et culturelle, la fiscalité financière ), et que ce transfert devrait faire l’objet d’un engagement de l’État avant les discussions portant sur la loi organique devant mettre en musique l’autonomie. Le 11 mars, munis de ce viatique, le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, la présidente de l'Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, les présidents des groupes Avanzemu et Core in Fronte à l'Assemblée de Corse, Jean-Christophe Angelini et Paul-Félix Benedetti, les co-présidents du groupe Un Soffiu Novu à l'Assemblée de Corse, Jean-Martin Mondoloni et Valérie Bozzi, le sénateur de la Corse-du-Sud, Jean-Jacques Panunzi, et le député de la première circonscription de Corse-du-Sud, Laurent Marcangeli, ont pris place à la table du ministre de Gérald Darmanin. Ce dernier ayant fait un pas vers les contre-propositions défendues par Gilles Simeoni, un accord majoritaire s'est dégagé après cinq heures de discussions autour d’un texte ayant pour phrase-clé : « La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ». Seuls Jean-Martin Mondoloni et Jean-Jacques Panunzi ont fait entendre une voix dissonantes en rejetant non pas l’intégralité du texte mais la mention d’un pouvoir législatif y figurant. Tout le monde ou presque serait donc content de la teneur du texte adopté. Seuls Jean-Martin Mondoloni et Jean-Jacques Panunzi seraient quelque peu mauvais coucheurs. Cela n’est pas si simple.


Laurent satisfait, Gilles content mais…


Laurent Marcangeli n’a pas caché sa satisfaction. Il a déclaré : « Je ne vais pas bouder mon plaisir. On sort d'une réunion conclusive, et ce n'était pas écrit. Beaucoup de gens mettaient en cause la possibilité d'y parvenir. » Le député a de bonnes raisons d‘être satisfait et même très satisfait. Si tout va bien, il volera la vedette à Gilles Simeoni en rapportant le projet d’écriture constitutionnelle devant l’Assemblée Nationale et en se positionnant de facto comme le principal défenseur de la Corse et des intérêts de la Corse face à la représentation nationale. En outre, disposant du soutien de Valérie Bozzi et d’une grande partie des conseillers de Corse Un Soffiu Novu, il pourra ainsi définitivement asseoir son leadership sur la droite corse en cornérisant Jean-Martin Mondoloni et Jean-Jacques Panunzi avec lesquels il est loin d’entretenir des relations idylliques. A priori, la majorité siméoniste aurait matière à être au moins autant satisfaite que Laurent Marcangeli. En effet, Gilles Simeoni et ses amis peuvent enfin envisager que devienne réalité le grand dessein qui a été porté par leur famille politique depuis un demi-siècle : l’accession de la Corse à un statut d’autonomie. De plus, pour Gilles Simeoni, cette accession représenterait un événement affectif important car l’autonomie, il est tombé dedans quand il était petit. En effet, toute son existence a été marquée par l’action de son père Edmond visant à l’obtention de cette évolution institutionnelle. Il a d’ailleurs tenu à exprimer du contentement en déclarant aux médias avant de quitter l’hôtel de Beauvau : « Le pas décisif qu'il fallait franchir ce soir est franchi ». Cependant, il a tempéré en précisant : « Ce soir, nous sommes en demi-finale. Il reste à gagner la demi-finale et la finale. » Cette réserve n’avait probablement rien de tactique. En effet, le président du Conseil exécutif sait bien que rien n’est gagné car : il a conscience que l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent, pour x raisons politiciennes, raboter ou saborder le texte issu du dernier dîner de Beauvau ; que les députés et les sénateurs seront sous la pression d’un lobby jacobin qui, ces derniers jours, a commencé à se faire entendre ; que ce lobby sera peut-être écouté, y compris à l’Elysée, du fait que son message de « risque de contagion » est crédibilisé par les revendications autonomistes que viennent d’exprimer des élus de premier plan bretons, alsaciens et guyanais ; qu’il va falloir convaincre une majorité de Corses ; qu’il ne pourra pas compter sur grand monde en dehors de son camp comme le montrent les réactions et appréciations des uns et des autres. Gilles Simeoni partage sans doute cette appréciation de Valérie Bozzi : « Il faudra convaincre l'Assemblée de Corse. Il ne devrait pas y avoir de surprise, le vote devrait être favorable. Mais ensuite, il y a le Sénat, l'Assemblée nationale, le Parlement, et puis enfin les Corses, qui devront être consultés ».


Paul-Fé sur ses gardes, Jean-Chris, chat matois, Jean-Jacques, non, c’est non, Jean-Martin, grincheux


Paul-Félix Benedetti a lui aussi exprimé du contentement. Il a en effet déclaré : « Le texte reprend pour une grande partie tout ce que nous avons demandé : la Corse comme communauté, avec des droits historiques, des droits culturels, avec un lien très fort à la terre ; un statut d'autonomie écrit noir sur blanc, avec les deux pans, le droit législatif et le droit d'adaptation réglementaire ». Mais le leader de Core in Fronte a aussi mis un gros bémol en ajoutant qu’il attendrait, avant de se prononcer définitivement, de connaître le contenu de la loi organique et que restait ouvert « un vaste chantier » demandant de la vigilance et pouvant « amener à pas grand-chose » et à la rupture. Il a d’ailleurs ainsi précisé sa pensée : « C'est cette loi organique qui déterminera le champ des compétences dévolues par l'autonomie à la Collectivité de Corse. Ce qui laisse planer un grand nombre d'incertitudes. » C’est clair, Paul-Fé sur ses gardes. Jean-Christophe Angelini affiche pour sa part de l’optimisme. C’est d’ailleurs ce qui ressort de son appréciation de l’évolution des choses : « On peut y voir un signe négatif, mais on peut également arguer du fait que ça ne limite en rien les compétences qui sont appelées à être transférées demain. La loi organique peut même en énumérer encore d'avantage que la révision constitutionnelle n'aurait pu le faire ». Traduire ainsi : il ne mettra pas des bâtons dans les roues afin de ménager l’électorat modéré capté avec Avanzemu et d’engranger de la liberté d’action et des compétences dont il espère bien un jour être le bénéficiaire et le gestionnaire ; il ne poussera pas beaucoup à la roue car il lui faut compter avec des militants Partitu di a Nazione Corsa qui considèrent qu’autodétermination sonne mieux à leurs oreilles qu’inscription de la Corse dans la Constitution. Jean-Chris, chat matois. Faut-il classer Jean-Jacques Panunzi et Jean-Martin Mondoloni dans la catégorie des adeptes du non, c’est non ? La réponse est oui concernant le premier. Le sénateur de la Corse du Sud a affirmé : « Cela ne peut pas être la Collectivité de Corse qui fait la loi. Elle doit rester au Parlement. Nous devons plutôt être sur un pouvoir d'adaptation, ce qui est logique, puisque nous l'avons obtenu avec la loi de 2002, et que nous n'avons pas pu l'exercer. Nous pourrons désormais l'exercer si nous constitutionnalisons cette loi. Mais d'autres veulent aller beaucoup plus loin, et je ne partage pas cette opinion ». Il répètera sans doute cela devant ses collègues du Sénat, un peu par conviction, beaucoup pour porter, contre les macronistes, le fer du glaive de son camp (Les Républicains). Jean-Martin Mondoloni s’est certes jusqu’à ces derniers jours aligné sur cette position. Mais il semble bien, à en croire la déclaration suivante, qu’il envisage de passer du positionnement d’opposant résolu à la posture de simple grincheux : « Je pense, depuis le début, que l'octroi du pouvoir législatif est un problème. Je ne vais pas changer d'avis. Mais je ne vais pas non plus endosser le costume de bourreau du processus ».


Nazione n’a pas fait dans la nuance.


Au fond, seul un deuxième jugement bien tranché s’ajoute à celui de Laurent Marcangeli bien trempé dans la satisfaction. C’est celui, trempé dans le rejet, adopté par le nouveau parti indépendantiste Nazione dont l’élue à l’Assemblée de Corse, Josepha Giacometti Piredda, n’a d’ailleurs pas, bien qu’ayant été invitée, participé aux dîners de Beauvau. Celle-ci a d’ailleurs clairement déclaré sur Via Stella : « L'accord validé constitue une faute stratégique ». Lors d’une récente conférence de presse, le porte-parole du parti Nazione a lui aussi été très clair : « Il y a maintenant deux ans, la mobilisation populaire, massive et déterminée, du peuple corse suite à l’agression mortelle de l’un des siens, Yvan Colonna, avait contraint le ministre de l’intérieur français a annoncer l’ouverture d’un processus à vocation historique devant conduire à l’autonomie » de la Corse […] L’ accord de Beauvau, validé par les représentants de Femu a Corsica, du PNC, de Core in Fronte et d’une partie de la droite, est venu clôturer ce cycle de deux années de débats et de discussions. Après plusieurs décennies de lutte nationale, près d’une décennie de succès électoraux, et deux années de discussions que seule une situation de nature insurrectionnelle a rendu possible, cet « accord » imposé par Paris revient à renoncer explicitement à l’essence de notre combat, à savoir la reconnaissance des droits du peuple corse sur sa terre […] Contrairement aux explications alambiquées livrées par certains responsables autonomistes au sortir du dernier dîner de Beauvau, l’Accord Darmanin est un obstacle à la reconnaissance des droits nationaux du peuple corse et à l’ensemble de ses déclinaisons : protection de la terre, priorité à l’emploi, droits linguistiques… […] L’Accord de Beauvau prétend doter la Corse d’un statut d’autonomie dans la République. La réalité juridique du texte contredit pourtant les effets d’annonce politiques. Le pouvoir normatif octroyé à l’Assemblée de Corse n’est que la manifestation d’une autonomie au rabais très en-deçà des standards européens des territoires réellement autonomes. Cette autonomie n’est ni de plein droit, ni « de plein exercice […] L’Accord de Beauvau n’est finalement que la dernière amélioration en date du statut particulier de la Corse organisé selon les principes d’une décentralisation à la française […] L’Accord de Beauvau est un verrou et une entrave pour la reconnaissance du peuple corse et de son droit à décider librement de son avenir […] En tant qu’indépendantiste nous aurions pu accompagner une autonomie réelle fondée sur la prise en compte des droits imprescriptibles du peuple corse. Nous ne saurions apporter notre approbation à un accord politique, passé dans un salon ministériel au mépris de l’Assemblée de Corse, qui nie notre existence en qualité de peuple et tourne le dos aux fondamentaux de la revendication nationale. »


Pierre Corsi
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