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L'affaire Jean Leccia : un "cold case" corse

Saura-t-on jamais la vérité sur l'assassinat de Jean Leccia

L’affaire Jean Leccia : un « cold case » corse



Saura-t-on jamais la vérité sur l’assassinat de Jean Leccia, tombé sous les balles de tueurs le 23 mars 2014. Ce haut fonctionnaire, directeur général des services du conseil général de la Haute-Corse et directeur de cabinet du président Giacobbi, venait tout juste de quitter son village de San Gavinu di Fium'Orbu quand sa voiture a été prise pour cible à 23 h 15. Désormais, l’instruction semble à bout de souffle et le procureur de Marseille Bessone pourrait définitivement refermer le dossier.


« Un naufrage judiciaire »


L’expression de « naufrage judiciaire » a été utilisée par le canal habituel des affaires criminelles du quotidien Le Monde, Jacques Follorou. Il est vrai que la fin des investigations avait déjà été décidée en octobre 2023 par Thomas Hirth le juge chargé de l’instruction. La partie civile, composée par les différents membres de la famille du défunt, a annoncé continuer le combat pour connaître la vérité. D’après les services enquêteurs qu’ils soient policiers ou gendarmes, toutes les pistes possibles ont été fouillées sans aucun résultat. Les parties civiles ont mis en exergue le conflit entre policiers et gendarmes ce qui en soit n’a rien de scandaleux. Mais les filles de Jean Leccia parlent dans Corse-Matin d’un manque de moyens, de l’absence de réponse des magistrats instructeurs, d’une scène de crime non protégée, d’une « poussette » exercée par un gendarme. Un des enquêteurs, contacté nie ces accusations : « On peut comprendre la colère de la famille. Mais tout vraiment tout a été exploré : la piste du contentieux au sein du Conseil général, du grand banditisme qui est très prégnant dans cette microrégion, du conflit local avec l’intervention d’habitants de Ghisonaccia. En vain. Rien n’est venu corroborer la culpabilité de personnes désignées par la rumeur ou qui entraient dans le champ des possibles. Que voulez-vous ? La justice a besoin de preuves. Je ne peux même pas dire qu’il y a eu une omertà. Mais dans le Fium'Orbo tout est tellement mélangé que c’est la confusion qui a été notre principal ennemi. »

Une atmosphère mafieuse


Jamais en Corse, l’atmosphère n’avait été aussi pourrie que sous la mandature de Paul Giacobbi. Son élection à la tête du Conseil général avait été obtenue le 27 mars 1998 grâce au basculement d’une voix traditionnellement neutre vers la gauche, celle Serge Grisoni, élu du canton de Castifao-Morasaglia. « La préfecture de la région corse, sollicitée par le ministère de l’Intérieur sur le revirement de dernière minute de Serge Grisoni, a transmis plusieurs notes évoquant les interventions « d’émissaires de la Brise de mer » auprès de cet élu. Des éléments repris en 2000 par le procureur général de Bastia, Bernard Legras, dans son rapport sur le crime organisé en Corse, ajoutent : « Il est un fait que le président du conseil général de Haute-Corse [Paul Giacobbi] a désormais parmi ses proches un intermédiaire [Mimi Viola] de la Brise de mer. » Enfin, en 2001, une synthèse de la police judiciaire bastiaise relate l’existence d’une négociation avec M. Grisoni sur fond de dettes de jeu effacées. Des supputations jamais démontrées devant un tribunal. » écrit Jacques Follorou dans Mafia corse sans jamais avoir été démenti. Les rapports de police évoquent la proximité avec deux membres réputés pour appartenir au noyau dur de la Brise-de-Mer. Ça serait Mimi Viola, ami de la famille Giacobbi qui aurait proposé l’embauche de Dominique Domarchi, maire de Sant’Andréa-di-Cotone (Haute-Corse) depuis 1983, village où loge Francis Mariani, membre fondateur de la Brise de Mer. Toutes ces personnes vont périr assassinées lors de la décennie suivante sans que là encore la justice ait pu déterminer les raisons de ces morts violentes et leurs auteurs.

Enrobés, dérobés


C’est une vieille expression qui traîne en Corse pour se moquer des marchés publics : « Enrobés, dérobés ». Dans le cas de Jean Leccia, cette piste a été suivie. Moins d’une semaine avant sa mort, le 17 mars 2014, Jean Leccia a indiqué, en sa qualité de directeur général de services, à la Société routière de Haute-Corse (SRHC) et à Corse Travaux « la non-reconduction annuelle du marché de fourniture, fabrication, transport et mise en œuvre d’enrobés sur le réseau départemental » alloué, en 2012, pour quatre ans ». Autant dire dans un marché aussi étroit que celui de la Corse, la faillite quasi inévitable de ces sociétés qui possédaient une grande partie des marchés d’enrobés en Haute-Corse. Or une autre société, la Betag appartenant à Patrick Brandizi, semble avoir désormais la préférence du Conseil général alors présidé par Joseph Castelli dont le fils possède des liens amicaux avec Patrick Brandizi tout comme les fils de Dominique Domarchi assassiné trois ans plus tôt. Comme le souligne fort justement le journaliste Jacques Follorou dans Mafia corse : « Connaissance et amitié ne riment pas nécessairement avec complicité, et la Corse n’a pas inventé le clientélisme ni la corruption. Mais parfois, ces liens peuvent aider à comprendre comment fonctionne un réseau d’influence. Devenu en septembre 2014 sénateur (PRG) de Haute-Corse, Joseph Castelli a vu ses relations avec Patrick Brandizi dénoncées par la justice qui a poursuivi l’élu pour blanchiment de fraude fiscale, recel d’abus de biens sociaux et corruption passive. Si cette enquête n’a pas de lien direct avec celle ouverte sur l’assassinat de Jean Leccia, elle fait néanmoins partie des sept informations judiciaires déclenchées sur la base d’éléments trouvés en marge des investigations réalisées pour remonter aux causes de sa mort.

Des suites concomitantes sans plus.


Les premiers doutes sont apparus à propos des conditions dans lesquelles Joseph Castelli, devenu sénateur, avait fait construire sa vaste et confortable villa à Penta-di-Casinca. » Le 30 mars 2021, le tribunal correctionnel de Bastia a reconnu coupable l’ancien sénateur de trafic d’influence passif et de faux en écriture, et condamné à quatre ans de prison, dont trois ans ferme, avec mandat de dépôt. Cette peine a été assortie d’une amende de 100 000 euros, et de la confiscation de sa villa à hauteur de 300 000 euros, confirmées lors du jugement en appel. Dans ce dossier, Joseph Castelli avait été brièvement incarcéré en 2021. Charles Rugani, Patrick Brandizi et Paul Di Luna, les entrepreneurs mis en cause à ses côtés pour corruption active et abus des biens ou du crédit d’une société par un gérant à des fins personnelles, avaient respectivement été condamnés à deux ans de prison, dont six mois de sursis et 80 000 euros d’amende ; deux ans de prison, dont six mois de sursis et 250 000 euros d’amende ; et un an de prison et 15 000 euros d’amende. Le 22 mars 2023, la cour d’appel de Bastia condamnait l’ancien sénateur à quatre ans de prison dont deux avec sursis pour « corruption passive ». Le tribunal a donc relaxé Joseph Castelli du « trafic d’influence ». L’entrepreneur Patrick Brandizi a été condamné, comme en première instance, à une peine de deux ans de prison, dont six mois avec sursis. Cette condamnation est accompagnée d’une interdiction de gérer une entreprise pendant cinq ans.

Les autres pistes en forme d’impasse


C’est donc dans une atmosphère particulièrement poisseuse et qui, étrangement à l’époque n’a pas soulevé la question mafieuse sinon par le Premier ministre Manuel Valls, que les enquêteurs ont exploré les différentes pistes. Celle du différent politique n’a donné aucun résultat pas plus que celle de la société de Ghisonaccia à qui Jean Leccia avait supprimé des subventions. C’était la thèse de la police judiciaire. « Le maire serait, selon la police judiciaire, entouré d’une « équipe de voyous de Ghisonaccia [Haute-Corse] bénéficiant, indirectement, de cette manne financière du département ». Trois membres de cette équipe, dont Rachid Haouari, étaient au bar du village dans la soirée du dimanche fatal. Les histoires de San-Gavino font alors écho à une guerre qui a fait rage dans la Plaine orientale, de 2008 à 2012, entre groupes criminels, sur fond de bouleversement des alliances politiques locales et de marchés publics. » écrit Jacques Follorou dans Le Monde. Les gendarmes auraient vainement fouillé du côté d’une relation conflictuelle entre la victime et Stéphane Domarchi, conseiller spécial du président du conseil général, Joseph Castelli et fils de Dominique Donmarchi assassiné en 2011. Les policiers semblaient convaincus que Domarchi et Leccia travaillaient en toute confiance. La piste du grand banditisme et de la guerre des gangs qui a fait rage en plaine orientale a également été fouillée. Olivier Sisti dit Le Noir, fiché au grand banditisme et mêlé à de nombreuses affaires criminelles a fourni un alibi convaincant.

Les promesses du procureur Bessone


Le procureur de Marseille en charge de la JIRS connaît bien le dossier. Il officiait en Corse lors du drame. Il dit voir ce qui pourrait relancer le dossier dix ans après. Autant dire que les chances sont quasi nulles. Pourtant, contrairement ce qu’affirment les parties civiles dont on comprend l’immense douleur, l’enquête a été très sérieusement menée. Jacques Follorou parle de naufrage et incrimine une guerre entre gendarmes et policiers. On ne voit pas très bien en quoi un différend entre services aurait pu empêcher la vérité d’éclater si des indices probants avaient été recueillis. Le problème est qu’en dehors de la rumeur incrimant la bande de Ghisonaccia dont les membres ont été placés en garde à vue aussitôt, rien n’est apparu. D’où le sentiment des enquêteurs d’avoir eu à faire à de véritables professionnels et non à des tueurs locaux. Si ce n’est une confession tardive on voit mal ce qui pourrait réchauffer ce cold case. Un de plus en Corse où bien souvent les soupçons peinent à être étayés par des preuves. L’affaire Leccia restera comme un de ces assassinats qui décrit une véritable situation mafieuse. Cet assassinat avait à l’époque provoqué une immense émotion hélas aujourd’hui retombée. Comme si souvent dans notre île.

GXC
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