La Sortie de Mazel tov......3e opus de la trilogie "Nos terres promises"
Mazel tov : le troisième opus de la saga de Jean-marc Michelangeli et Gabriel Culioli est enfin paru
Mazel tov : le troisième opus de la saga de Jean-Marc Michelangeli et Gabriel Culioli est enfin paru.
J’étais impatient de connaître la suite d’Hosanna in excelsis que précédait Barbara furtuna. Je me suis replongé dans Mazel tov comme on revient dans un monde connu qu’on a dû quitter par nécessité, une sorte d'exil en lecture. Et je n’ai pas été déçu. Quelle apothéose !
Un chemin de lumière rempli d’ombres
Nous avions quitté nos personnages alors que débutait la guerre en 1939, triste répétition du conflit de 1914. Cet évènement sonne le glas de leurs espérances, sérieusement écornées, il faut l’avouer par la montée du péril nazi auquel répond la mobilisation communiste. Mais les échecs politiques se sont multipliés : défaite des républicains espagnols, l’invasion des Sudètes, la capitulation de Muchich et enfin l’invasion de la Pologne. Mais la guerre, cette drôle de guerre, n’est qu’un espace qui sert à mettre en place le véritable drame : l’Occupation et l’instauration du régime du maréchal Pétain. Nos auteurs tendent la toile de fond : une situation internationale, mais aussi nationale sur laquelle ils placent leurs personnages. Noël retrouve ses angoisses de jeune homme, Orso ne rêve que d’en découdre ; Charles est désormais un fasciste convaincu dévoué à Simon Sabiani ; Salomon sait que le sort des Juifs est désormais en jeu. Et puis il y a les femmes qui dans Mazel tov supplantent les hommes. Elles ont leur courage, mais un courage efficace au quotidien. On dirait aujourd’hui qu’elles tiennent la baraque. Santa qui va tenir la barre alors que Noël a été déchu de sa qualité de fonctionnaire à cause de son appartenance à la franc-maçonnerie, Cristina, l’amie fidèle, Catherine la sœur aînée qui à Ajaccio, milite au sein de Parti communiste clandestin, Rachel, l’épouse de Salomon qui, malgré l’angoisse suscitée par les différents statuts antisémites tient le choc pour ses enfants, Rebecca et David. Celle qui peut-être a eu ma préférence relative est Louise, voyageuse infatigable partie sur les traces d’Alexandra David-Neel qui se cherche dans les hauteurs himalayennes, mais qui apparaît comme l’âme sœur de Noël. Quelle étrange destinée que celui de ce duo improbable et pourtant dans ces pages apparaît d’une évidence limpide. La jeune femme de la bonne bourgeoisie française, lesbienne de surcroît est celle qui aide Noël, le Corse indubitable, à traverser les épreuves de la vie.
La force de Mazel tov est de ne jamais porter de justement moral sur ses personnages, de décrire leur parcours et de nous mener jusqu’à la tragédie finale. Chacun d’entre eux suit son chemin de vie avec plus ou moins de lucidité au gré des épisodes lumineux ou au contraire de ceux qui progressent dans l’ombre de la situation, mais également de leurs âmes.
Un état de grâce
À quoi tient ce vif désir sans cesse renouvelé de toujours aller plus loin dans chacun des trois volumes du triptyque ? Un peu à la composition même du récit qui d’un bout à l’autre est très cinématographique. Selon Gabriel Culioli, l’un des auteurs, cela revient au talent de scénariste de Jean-Marc Michelangeli dont c’est l’une des talents à côté de celui de comédien. C’était d’ailleurs leur intention première que de proposer un scénario à un producteur. Le récit est découpé en courtes séquences très visuelles. Il y a aussi le style qui sans être simpliste est ouvert. Il respire pour permettre au lecteur de s’approprier le récit, de faire siens les personnages. Car ceux-ci vivent en vous-même lorsque vous avez achevé votre séquence lecture. Ils maturent et, comme un bon parfum, prennent alors toutes leurs dimensions. Ça n’était pourtant pas un fait acquis que de restituer une période aujourd’hui alors que la plupart des lecteurs potentiels méconnaissent la chronologie et n’ont de la guerre que de vagues connaissances. L’alternance des précisions historiques et du vécu de nos personnages fait que le tout est parfaitement digeste. Gabriel Culioli m’a d’ailleurs indiqué que Jean-Marc Michelangeli, beaucoup plus jeune que lui avait sérieusement sabré le texte quand il lui semblait poussif à force de précisions. On l’aura compris, je ne saurais être critique d’un récit qui m’a emporté d’un bout à l’autre et avec lequel j’ai vécu une sorte d’état de grâce.
Le rôle du critique
Car, en définitive, à quoi se résume notre métier de critique littéraire sinon de partager un bonheur de lecture quand le récit vous saisit et ne vous lâche plus. J’ai des difficultés à démonter un ouvrage tant il est vrai qu’un auteur cherche toujours à donner le meilleur de lui-même. Peut-être cela va-t-il changer avec cette foutue intelligence artificielle. Mais il restera toujours au cœur de l’écriture ce quelque chose de profondément émouvant qui est tout simplement l’inspiration. L’auteur se saisit de l’impalpable qui l’atteint sous forme d’une idée qui ensuite se développe sous sa plume et prend peu à peu son indépendance. C’est alors qu’on peut apprécier l’écriture lorsque celle-ci donne le sentiment de s’être débarrassée des chaînes égotiques pour s’affirmer en soi. Les personnages de Mazel tov incarnent une vérité humaine qui les dépasse. Ils subissent un destin, mais parviennent tous à la fin à s’en extraire de façon plus ou moins dramatique. Très paradoxalement, ce sont leurs faiblesses qui les grandissent. Noël est profondément touchant, car il porte la charge familiale comme un carcan. Elle manque dans Barbara furtuna de lui coûter son amour. Il est partagé, déchiré même entre le devoir et l’amour. N’est-ce pas là le ressort romantique par excellence ? Santa sait dire non quand il le faut, mais reconnaître ses torts. Cristina se cherche depuis sa mutilation provoquée par son avortement. Mais elle va connaître une vraie rédemption… Je m’arrête pour ne pas dévoiler les secrets incroyables de ce troisième opus.
Le pardon et la réparation
Je l’ai écrit, me semble-t-il, précédemment dans l’une de mes autres critiques, mais, selon moi, la trilogie « Nos terres promises » touche au sacré de la condition humaine. C’est en définitive un livre très chrétien, très pascal. Il traite de la mort et de la résurrection, du désespoir et des pousses nouvelles d’espérance. Son titre même Mazel tov qui signifie en hébreu à la fois « bonne chance », mais aussi « puisse cela être ce qui va se passer » est un rappel des racines hébraïques du christianisme. Nos personnages, même ceux qui se disent non-croyants, incarnent une forme d’optimisme essentiel qui s’inscrit dans leur désir de transcendance. Noël croit en l’humanité, Orso en la patrie, Salomon en une terre qui un jour constituera un havre de paix pour les Juifs persécutés. Catherine espère en un communisme messianique, Cristina au retour de l’amour. Mais tous ont la force à un moment donné de leur vie de pardonner afin de passer à autre chose et de permettre à l’autre, à celui qui a trébuché, d’également avancer. Encore une fois je m’en voudrais de révéler les secrets de Mazel tov et dont la plupart sont particulièrement dramatiques. Mais certains nous ramènent au premier volume Barbara furtuna. Franchement, la façon dont les auteurs parviennent à boucler certaines destinées est admirable. On y retrouve une réflexion sur la condition féminine dans la Corse d’autrefois. Mais au cœur de cette tragédie en trois actes, un fantôme erre, lugubre et pressant comme dans le Hamlet de Shakespeare : celui du père tout à la fois statue du Commandeur et bourreau inflexible. Cette trilogie parle du pardon, mais aussi de la réparation des fautes commises par les générations précédentes, de l’impossible oubli tant que cet acte rédempteur n’a pas été accompli, du sacrifice nécessaire pour renaître à la vie. Dans la dynamique des précédents, il eut été possible d’intituler le troisième opus Agnus Dei.
La Corse, Israël, le passé et le présent
Mazel tov paraît alors que le judaïsme fête Pessah, la Pâque juive et que les chrétiens célèbrent leurs propres Pâques. Mais c’est aussi une période particulièrement dramatique au Moyen-Orient. Le Hamas a perpétré sur la terre d’Israël le pire pogrom jamais accompli depuis la Shoah. Israël a répondu en bombardant Gaza et en tuant plus de Palestiniens en quelques mois que durant toutes les précédentes guerres. Les auteurs de Nos terres promises ne pouvaient évidemment pas connaître cette tragédie lorsqu’ils ont écrit leur dernier volume. La couverture montre des FFI qui combattent lors de la Libération de Marseille et des migrants juifs naviguant vers la Palestine mandataire, drapeau sioniste au vent. Gabriel Culioli m’a assuré que même en connaissant cette réalité, lui et Jean-Marc Michelangeli n’auraient rien changé. Un roman ne saurait se soumettre aux lois du politiquement correct, m’a confirmé Gabriel Culioli. Et ils ont raison. La création peut être un instrument de propagande, mais elle peut aussi légitimement exiger son libre arbitre.
Une belle aventure littéraire
J’ai refermé la dernière page de Mazel tov rempli d’une immense nostalgie. Alors, ça y était ? C’était terminé. Je ne retrouverai plus Santa et Noël, Orso, Salomon et Rebecca, Mémé Guerini et Gaston Defferre, Louise et Cristina, Charles ? Je ne vibrerai plus avec eux alors que je les avais accompagnés au cours de la libération de la Corse, décrite en des pages aussi intenses que celles qui m’avaient plongé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale ? Je ne retrouverai plus l’ambivalente amitié qui liait Orso au gangster résistant Mémé Guerini ou au terrible commissaire Blémant. Je conseille particulièrement la libération de Marseille. C’était donc fini. Je dois humblement l’avouer, j’ai ressenti comme un petit deuil. Dans quelques mois, quand j’aurai un peu oublié, je me replongerai dans cette saga qui m’a permis de voyager dans le temps, dans l’espace, au sein du monde des émotions. Encore un immense bravo aux auteurs qui méritent un grand succès et peut-être une adaptation cinématographique. Longue vie à Nos terres promises qui m’a fait aimer la Corse.
Jacques Vendroux
Mazel tov, 3e opus de la trilogie Nos terres promises
Jean-Marc Michelangeli et Gabriel Xavier Culioli, éd. DCL, 567 pages, 24 €