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Rire et réfléchir, "L'arrangeur arrangé"

On rit beaucoup à la lecture de « L’arrangeur arrangé » de François Bréant. On réfléchit aussi sur le métier assez peu connu du grand public de l’arrangeur, pourtant indispensable à la qualité d’un album ou d’une prestation scénique. L’auteur est encore r
Rire et réfléchir
« L’arrangeur arrangé >>


On rit beaucoup à la lecture de « L’arrangeur arrangé » de François Bréant. On réfléchit aussi sur le métier assez peu connu du grand public de l’arrangeur, pourtant indispensable à la qualité d’un album ou d’une prestation scénique. L’auteur est encore réalisateur, compositeur, claviériste…




Bréant c‘est plus de quarante ans de carrière avec Lavilliers, Keita, Fugain ou Bashung et tant d’autres. De la fin des années soixante à 2015 on suit la trajectoire d’un musicien qui a commencé par étudier les Arts Déco avant de se convertir complètement à la musique grâce à de bons copains. Il s’en suit les formations de groupes Cruciferius, Kapak, Nemo. Sur le tas François Bréant va apprendre tous les mystères de l’arrangement des musiques.

Dans son livre il enchâsse avec dynamisme anecdotes hilarantes et certaines touchantes, ainsi celle où la petite fille de Salif Keita, albinos comme son père, découvre qu’en France elle ressemble à tout le monde ! Dans « L’arrangeur arrangé » il y a également tout un train de blagues qui en disent énormément sur l’univers des musiciens et quelques canulars bien trempés assez extravagants qui actionnent les zygomatiques.

L’auteur signe des portraits de chanteurs-paroliers-compositeurs tel le succulents et trépidant Vassiliu ou Allain Leprest dont il évoque l’univers artistique avec élégance et sensibilité. Ses dialogues qui interviennent en alternance sont conduits de main de maître au point qu’on jurerait qu’ils révèlent un très talentueux dramaturge caché dans l’ombre.

L’arrangeur a travaillé dans maints pays : Japon, Afrique de l’Ouest en particulier. Il nous conte l’exceptionnelle expérience faite avec Thione Seck, star de la musique populaire sénégalaise pour qui il a conçu des arrangements à l’indienne de mélodies orientalisantes du chanteur en langue wolof ; une expérience qui l’a entrainé à Madras et à la découverte de l’Inde.

A Dakar, Abidjan, Bamako, Conakry il peint des séquences de vie répliques de la manière d’être des artistes qu’il rencontre. Il pourrait parfois se gausser de certaines attitudes de ses interlocuteurs, de leur absence de sens de la ponctualité qui font de séances d’enregistrement des chemins de croix, il s’en garde toujours bien plus préoccupé de nous faire aimer des cultures qui ne sont pas les siennes. Manière de plaider pour le particularisme marié à l’universalisme. Il décrit avec une extrême délicatesse la Kanaky où il séjourne un temps, pays qui sait vivre en harmonie avec la nature et avec ses habitants. Ces pages sont les plus belles et les plus sensibles du livre.

Une chanson c’est d’une part de l’artisanat et de l’autre de d’art. Comment évaluer l’une et l’autre ? Pour François Bréant si la composante résultant de l’artisanat est nécessaire, elle est insuffisante si elle exclue « l’inspiration, l’impalpable sincérité, l’énergie non feinte, l’indescriptible dévoilement de l’âme ». Voilà un viatique !

Michèle Acquaviva-Pache

• « L’arrangeur arrangé », éditions – maia.com. 29 euros.
Des QR codes permettent au long de l’ouvrage de s’imprégner des musiques et des arrangements de l’auteur.

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS BRÉANT

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire, « L’arrangeur arrangé » ?

D’abord j’ai raconté des anecdotes marrantes sur mon métier d’arrangeur en les postant sur Facebook. Les réactions de ceux qui les lisaient ont été excellentes. Ce sont eux qui m’ont poussé à écrire un livre. J’ai alors gratté ma mémoire, retravaillé les textes, éliminé certaines choses et j’en ai collecté d’autres auprès d’amis. Les vieux copains se sont pris au jeu. Ecrire un livre était une nouveauté pour moi. C’est ainsi que j’ai en même temps fait le ménage dans mon cerveau afin d’avoir les idées claires et déboucher sur une réflexion.


« L’arrangeur arrangé » ce tire n’est pas seulement une pirouette, me semble-t-il ?

Je voulais un titre percutant et j’ai pensé à « L’arroseur arrosé » des frères Lumière. Il faut entendre « arrangé » dans le sens positif et dans le sens négatif : « je me suis fait arrangé » … Mais d’autre part dans mon métier je me suis « arrangé » pour faire toujours ce qui me correspondait, sans compromissions ce qui m’a parallèlement ouvert à d’autres cultures grâce à une succession de rencontres.


Votre livre n’est pas un ouvrage traditionnel de souvenir. Comment sa conception a-t-elle germé en vous ?

Au départ il y a eu une collection d’anecdotes avec un fil conducteur voulant que je fasse rire le lecteur. Je suis parti de pièces détachées à rassembler, à mettre ensemble pour que ça ressemble à ma vie. Une fois arrivé à ce stade le déroulé est devenu évident. Mon objectif était, entre autres, d’insister sur l’importance essentielle de la musique populaire qui ne peut se confondre avec la musique populiste. Celle-ci à mes yeux et à mes oreilles est « un petit crime contre l’humanité » parce qu’elle pollue l’environnement musical des gens. Il y a là une grande responsabilité du musicien qui ne doit pas tomber dans ce traquenard.

Vous faites des portraits d’artistes connus et d’autres qui le sont moins, vous écrivez des dialogues, des séquences où vous plantez un décor. Avez-vous beaucoup affuté les textes ?

Les anecdotes ? Parfois je m’en souvenais exactement. Parfois je les ai reconstitués. Les dialogues ? J’ai cherché à ce qu’ils fonctionnent et résonnent de façon théâtrale et légère… J’aurais aimé écrire pour le théâtre : j’ai tout de même fait texte et musique d’une comédie musicale, « Les animaux malades de la peste » qui a été donné une soixantaine de fois.


Vous usez avec brio d’humour, d’ironie, d’autodérision, en quoi ceci sert-l à pulser votre récit ?

Je suis quelqu’un de sérieux qui recourt facilement à l’autodérision, je tiens ça de mon père. Il est souvent utile de voir le dérisoire d’une situation dramatique cela permet de la surmonter. Chez moi il y a toujours une partie goguenarde qui me pousse à saisir le comique d’un truc désagréable…


Vous décrivez votre évolution de musicien et d’arrangeur depuis plus de quarante ans. Vous ne le faites pas toujours de chronologiquement. Pourquoi ?

Parce que l’évolution de ma vie en sa dernière période peut être plus floue


Définissez-nous ce qu’est un arrangeur ?
L’arrangeur n’est pas le compositeur. En général le producteur confie la composition d’une chanson à un chanteur et moi je suis chargé de l’orchestration. Je décide qui fait quoi, quels instruments vont jouer. Il peut arriver que je compose, que je sois arrangeur et réalisateur d’un album. Ces trois fonctions différentes peuvent être attribuées à une seule personne. La responsabilité artistique quant à elle revient toujours au réalisateur.


Quelle est l’expérience artistique qui vous a le plus apporté ?

J’ai adoré faire de la scène avec Bernard Lavilliers. Ses chansons me plaisaient énormément. La scène m’a beaucoup apporté, mais réaliser un album en studio est aussi superbe. Madras où j’ai côtoyé des musiciens indiens a représenté une expérience extraordinaire lors de la réalisation de l’album de Thione Seck qui mêlait sons africains, d’Egypte et d’Inde. Mon travail dans l’Afrique de l’Ouest : Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée et Mali a été un grand bonheur, un grand enseignement auplan humain. J’ai découvert sur le vif comment les Africains voyaient les choses de la vie. C’était magnifique, j’ai compris que pour eux le présent était essentiel alors que pour nous dont l’espérance de vie est plus forte nous nous projetons plus facilement dans le futur.


Votre livre est une réflexion sur votre métier. Est-ce quelque chose qui vous tenait à cœur ?

Bien sûr. En fait, bon nombre d’anecdotes reflètent une réflexion sur le métier. J’ai par exemple abordé l’art du parolier et le rôle que doit jouer l’arrangeur pour renforcer l’émotion d’un texte.


Le débat le plus actuel dans le milieu de la musique ?

Actuellement tous les débats tournent autour de l’IA. On oublie trop que l’intelligence artificielle recycle avant tout ce qui est. Les musiciens doivent continuer à affronter les difficultés qu’ils rencontrent sans avoir peur de l’IA.

Propos recueillis par M.A-P




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