"La Corse dans la rue" un documentaire de Paul Rognoni de la Libération de l'île à la fin du XXè siècle
Le documentaire de Paul Rognoni va de la Libération de l’île à la fin du XX è siècle. Il restitue la détresse sociale et la colère des insulaires face à un pouvoir parisien qui se fiche de la Corse comme de sa première chemise et qui ne sait qu’afficher u
Un film de Paul Rognoni « La Corse dans la rue »
Le documentaire de Paul Rognoni va de la Libération de l’île à la fin du XX è siècle. Il restitue la détresse sociale et la colère des insulaires face à un pouvoir parisien qui se fiche de la Corse comme de sa première chemise et qui ne sait qu’afficher un mépris face à des revendications plus que légitimes.
A voir les images du réalisateur on perçoit la misère d’un peuple qui cependant ne baisse pas les bras. Et pourtant il pourrait être las et se contenter de s’apitoyer sur un sort injuste. La guerre a fait de Bastia une ruine. Les liaisons maritimes avec le continent sont plus qu’archaïques. A l’intérieur c’est le dénuement dans les villages dont les jeunes ont l’exode obligatoire destination l’empire français ou l’acceptation de postes de petits fonctionnaires à Marseille, Lyon ou Paris… Pendant ce temps les champs, les jardins, les plantations de châtaigniers se meurent ! Quant au miracle du plan Marshall il est aux abonnés absents.
Dans ce panorama social, qui pourrait rimer avec sinistrose et abattement, les revendications pour obtenir enfin un peu de justice sociale sont cependant multiples, ponctuées de grèves quand ce n’est pas de journées « île morte » et ce n’est pas les promesses de faire de la Corse une nouvelle Côte d’Azur qui peuvent séduire et faire prendre des vessies pour des lanternes. A l’époque le PCF et la CGT ont encore suffisamment d’influence pour être porteurs des exigences des insulaires, qui ne supportent pas que le coût de la vie soit dans l’île 30% plus cher que dans l’hexagone.
Comment dans ce contexte appréhender la ferveur des Corses envers de Gaulle qui fera de l’île un de ses premiers bastions pour revenir au pouvoir. Comme si le général était un sésame pour un monde meilleur !
Mais la victoire de de Gaulle en 1958 ne change rien à l’ordinaires des insulaires. Les rares industries se délitent et disparaissent. Le chemin de fer est condamné et ça, ça ne passe pas et ça va engendrer une bataille de longue durée pour sa survie. Bataille victorieuse au final.
A l’annonce que l’Argentella doit loger les essais nucléaires français c’est le coup de froid. Même le Marseille de Gaston Deferre fait savoir son hostilité aux possibles retombées atomiques. Le gouvernement Debré en est pour ses frais… Quelque chose entre la Corse etParis s’est à l’occasion légèrement fissuré. Treize ans plus tard lorsque la Montedison déverse ses boues toxiques dans le canal de Corse à hauteur du Cap s’effectue un basculement. Non seulement les pêcheurs se rebellent puisqu’il en va de leur gagne-pain mais toutes les couches sociales insulaires se sentent impliquées. Enorme manifestation de la société civile. Revendications sociales et protection de l’environnement se rejoignent. C’est une innovation !... Faut-il s’étonner de la naissance du FLNC en 1976 ?
« La Corse dans la rue » met bien sûr l’accent sur la création du STC qui conjugue luttes sociales et luttes nationales. Le film souligne également le rôle de plus en plus évident des femmes dans l’univers insulaire politique et syndical. Il donne à voir malgré les vicissitudes un peuple debout !
Michèle Acquaviva-Pache
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A ne pas manquer le 3 mai sur Via Stella à 20 h 30.
ENTRETIEN avec PAUL ROGNONI
Comment avez-vous travaillé sur les mouvements sociaux revendicatifs de l’après-guerre à la fin du XX è siècle ? Les documents nécessaires ont-ils été aisés à trouver ?
Nos recherches ont été un peu complexes car il n’existe pas d’ouvrages synthétiques sur ce sujet. Il n’y a que des choses éparses. Aux archives départementales on a fouillé la presse, les tracts. Pour les archives audiovisuelles 50% d’entre elles nous ont été fournies par l’INA (Institut National de l‘Audiovisuel) et sa section « Pro ». On s’est également adressé à France 3 Corse et à la Cinémathèque de Corse pour les images reflétant l’ambiance de ces années.
Dans votre film, « Baccala pè Corsica » revient souvent. Cette devise illustre-t-elle avec justesse la situation corse ?
C’est un slogan qui nait dans les années 50 et qui survit au fil des décennies. Cette thématique s’inscrit dans les luttes de manière continuelle pour exprimer la misère de l’île et sa tenue à l’écart de tout développement et de progrès social.
On qualifie l’après-guerre de temps du chaos. Ce constat est-il absolument vrai ? Comment se fait-il qu’il n’altère pas l’enthousiasme des Corses pour de Gaulle ?
Le temps du chaos dit vrai car la population est vieillissante. Car l’industrie s’éteint. Car l’agriculture est réduite à peu de chose. Car l’exode des jeunes est énorme et la pauvreté massive. De Gaulle après-guerre incarne le renouveau. Arès la Libération ne revient-il pas cinq fois en Corse de quoi apparaitre comme l’homme providentiel !
La lutte contre la vie chère est une antienne, exprime-t-elle aussi un mal être ?
C’est une formule qu’on retrouve sans cesse parce que les Corses souffrent de tous temps de la cherté de la vie. Ni le premier ni le deuxième statut de l’île n’ont provoqué de changement dans le quotidien des citoyens d’où cette thématique qui réapparait de façon lancinante dans les luttes sociales.
De 1960 à 1973 l’île est secouée par les affaires de l’Argentella et des boues rouges. Ont-elles pour conséquences de modifier le contenu des luttes sociales ?
La lutte contre les déversements des boues rouges par la Montedison est l’occasion de lapremière manifestation pour l’environnement. En ce domaine la Corse est précursseure. Autre caractéristique la mobilisation fédère des gens de tous bords.Mais le préjudice porté à l’île est reconnu et le combat gagné. L’objectif de notre fim est de montrer comment la société civile se manifeste dans la rue pour l’amélioration des conditions de tous.
Qu’est-ce qui distingue la bataille du rail
C’est un combat à long terme. La sauvegarde du rail a montré l’attachement des Corses à ce moyen de transport qui était un lien entre les espaces et les villages de l’île. Les insulaires pensaient qu’il pouvait être moteur de développent. Cette bataille du rail et le désintérêt qu’elle suscitait de la part du pouvoir mettait encore en avant son mépris pour des revendications que les insulaires jugeaient primordiales.
La liquidation des industries a-t-elle été un traumatisme ?
Tout à fait, parce que beaucoup de gens se sont retrouvés à la rue : mineurs de l’amiante, du fer, ouvriers des tanins, bûcherons, employés des carrières de marbre et du chantier naval d’Ajaccio. La liquidation du tissu industriel de l’île a accentué son déclin et accentué le chômage alors qu’en France c’était les Trente Glorieuses.
Les luttes syndicales ont-elles pulsé les revendications nationalistes par effet miroir ?
Quand le mouvement nationaliste s’est intéressé à la question syndicale cela a été une étape importante. Les syndicats traditionnels qui prenaient leurs mots d’ordre à Paris étaient surtout implantés dans le public. Alors le STC a investi le privé.
L’apport du STC créé en 1984 ?
La lutte syndicale a de ce fait revêtue une allure identitaire. Luttes sociales et luttes nationales se sont rejoint.
Comment caractériser les luttes de 1989 et de 1995 ?
En 1989 le mouvement social paralyse l’île durant deux mois. Il est dirigé contre la vie chère, pour la prime d’insularité, pour l’augmentation des salaires. Encore une fois les revendications se heurtent au mépris de l’Etat. Les tables rondes ont finalement peu de résultats. En 1995 les syndicats tirent les leçons de 1989 et enregistrent plus d’acquis même si le STC a une autre vision et si les socio-professionnels ont une appréciation différente.
Le XX è siècle se clôt au plan des manifestations par celle du Mouvement pour la vie et par celle qui exprime son opposition à l’assassinat d’Erignac. Quels sont leurs impacts ?
La période illustre le basculement d’une société qui se modernise et va donner plus de place aux femmes. Il y a là un changement de paradigme.
Quels sont vos projets ?
J’ai plus de projets en tant que producteur qu’en tant que réalisateur. « MareterrianiuProductions » prépare une série aux frontières sur l’histoire de la Méditerranée ; un documentaire intitulé, « Beach boys » sur Beyrouth en déroute ; un autre documentaire sur de jeunes croyants : chrétiens, juifs, musulmans qui expriment ce qu’est la foi ; une série musicale ; un film sur Baleone et ses transformations ; et une réalisation suite de « Paoliwood ».
Propos recueillis par M.A-P