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Nouvelle Calédonie : l'impossible équation

La Nouvelle-Calédonie est entrée en guerre civile ce qui constitue un échec cinglant pour Gérald Darmanin par ailleurs initiateur du processus corse.

Nouvelle Calédonie : l’impossible équation



Émeutes, coups de feu et les autorités françaises qui autorisent le GIGN à riposter à balles réelles et déjà les premiers morts… La Nouvelle-Calédonie est entrée guerre civile ce qui constitue un échec cinglant pour Gérald Darmanin par ailleurs initiateur du processus corse. Désormais en Nouvelle Calédonie ce ne sont plus les vieux chefs coutumiers qui tiennent la corde. C'est une nouvelle génération de jeunes indépendantistes qui, pour beaucoup habitent les faubourgs misérables de Nouméa et dont la révolte rejoint celle de nos jeunes de banlieue. Elle a trait aux terres ancestrales, à la submersion de peuplement mais aussi aux questions sociétales.


Des antécédents historiques


Dans les années 1820, des marchands britanniques commencent à construire des comptoirs commerciaux en Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie est officiellement colonisée par la France en septembre 1853 qui y construit un bagne et y envoie 20 000 condamnés. Puis, la Nouvelle-Calédonie sera massivement utilisée pour y éloigner les opposants politiques, en faisant un vrai « goulag français ». Ainsi c’est là-bas qu’on déporte les résistants algériens à la colonisation française puis les révolutionnaires de la Commune de Paris qui n’ont pas été exécutés sommairement, comme Louise Michel, qui prendra fait et cause pour les Kanaks.

La grande révolte de 1878


En 1878, Ataï, « grand chef » kanak se présente auprès du gouverneur français, déverse un sac de terre et déclare « voici ce que nous avions ». Il déverse ensuite un sac de pierres puis affirme « voici ce que tu nous as laissé ».

Petit à petit, les colons français s'approprient les terres cultivables déstabilisant en profondeur l’économie vivrière des Mélanésiens et laissant aux autochtones des terrains de moins bonne qualité. Ataï, en collaboration avec d’autres chefs de tribus, commence à fomenter un plan pour prendre la capitale Nouméa. Mais en juin 1878, après l’assassinat d’une famille de colons, les choses s’accélèrent : l’administration coloniale fait enfermer dix chefs de tribus. De juin à août, les Kanaks changent leurs plans et lancent des attaques de grande ampleur, tuant environ deux cents gendarmes et colons. L’insurrection est finalement matée par la France et la répression est extrêmement sanglante : Ataï est décapité et sa tête, placée dans du formol, est envoyée en trophée à Paris et exposée au public au Museum d’histoire naturelle. Elle ne sera rendue qu’en 2014 à ses descendants. Les autres chefs kanaks sont exécutés sans jugement et près de 5 % des Mélanésiens sont tués soit près de deux mille Kanaks.

Les zoos humains


En 1917, une guérilla s’organise autour de la figure de Noël, chef de la tribu de Tiamou. Celle-ci est réprimée au bout d’un an. Noël est lui aussi décapité et une soixantaine d’autres rebelles sont condamnés.
Après cette nouvelle révolte, les colons français tentent une nouvelle approche. Il s’agit désormais de former une « élite kanake républicaine » qui pourrait permettre de corrompre l’esprit de résistance de l’intérieur. En 1931, à l’exposition coloniale de Paris, des Kanaks sont exposés dans des cages, comme des animaux, . Après la Seconde Guerre mondiale, le statut de la Nouvelle-Calédonie change. Elle n’est plus officiellement considérée comme une colonie et la nationalité française est accordée aux Kanaks. La population obtient le droit de vote en 1957.

La révolte des Foulards rouges


Dans les années 1960, les revendications nationalistes kanakes se formalisent. Des étudiants de gauche ayant participé à mai 1968 reviennent en Nouvelle-Calédonie. Nidoïsh Naisseline, militant d’extrême gauche, fonde les « Foulards Rouges » tandis que d’autres indépendantistes créent en 1971 le « groupe 1878 » (référence à l’insurrection de cette année-là). Ils demandent la restitution des terres et veulent préserver leur identité. Ils fusionnent pour créer le Parti de Libération Kanak en 1975. D’autres suivront comme le Parti indépendantiste en 1979.

Pierre Declercq, enseignant et partisan de l’indépendance, est assassiné chez lui en septembre 1981. Ses assassins ne seront jamais retrouvés… Des manifestations éclatent et des barrages sont mis en place. La situation continue de se tendre en juillet 1983 où des gendarmes sont tués. Un référendum d’autodétermination est prévu pour 1989, mais les indépendantistes souhaitent que le corps électoral soit limité afin que ce soit les peuples autochtones, et non les colons, qui y votent. Cette revendication est d’abord refusée. Le Front indépendantiste devient Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et ce dernier appelle à boycotter les élections territoriales de 1984 en raison de cette règle électorale qu’ils considèrent comme illégitime. Un des leaders indépendantistes, Éloi Machoro, brise une urne électorale pour symboliser ce boycott. En novembre 1984, des barrages sont dressés, le sous-préfet est séquestré, la gendarmerie est occupée dans la commune de Thio, cinq hélicoptères du GIGN sont désarmés. En décembre, des maisons d’Européens sont pillées et incendiées. Le gouvernement socialiste français envoie l’armée et la gendarmerie, interdit toutes les manifestations et fait surveiller étroitement les tribus. Après un bref retour au calme, les tensions reprennent entre colons et indépendantistes. En janvier 1985, le GIGN exécute Éloi Machoro, l’État d’urgence et le couvre-feu sont mis en place.

L’affaire d’Ouvea


Le gouvernement de Laurent Fabius accorde davantage d’autonomie à la Nouvelle-Calédonie et met en place quelques réformes pour davantage de démocratie. L’année suivante, la droite revient au pouvoir avec le gouvernement de cohabitation mené par Jacques Chirac. Le statut « Pons I » est voté : il vise à contrer les velléités indépendantistes, à réduire les compétences qu’avaient obtenues les « conseils de région » et à organiser un référendum d’autodétermination boycotté par le FLNKS. L’Assemblée générale de l’ONU vote une résolution affirmant « le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance » et inscrit la Nouvelle-Calédonie dans la liste des territoires non autonomes des Nations unies, c’est-à-dire des territoires non décolonisés « dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes ».

En octobre 1987, les auteurs d’une embuscade dans laquelle dix indépendantistes avaient été tués en 1984 sont tous acquittés par un jury composé exclusivement d’Européens, ce qui déclenche la colère des Kanaks. Deux jours avant la présidentielle de 1988, des militants du FLNKS lancent une nouvelle offensive.

Une soixantaine d’indépendantistes attaquent une gendarmerie à Ouvéa et prennent une vingtaine de gendarmes en otage alors que quatre d’entre eux ont été tués durant l’attaque.

Le 5 mai 1988, à la veille des élections, l’assaut est lancé alors que les Kanaks laissent les otages s’enfuir. La version officielle est simple : 18 ravisseurs auraient été tués au combat. Douze d’entre eux seront retrouvés avec des balles dans la tête en plus de leurs autres blessures qui laissent entendre qu’il y a bien eu exécutions sommaires et torture. En juin, une loi d’amnistie s’applique à tous les faits de cette affaire ce qui permet de ne pas creuser ce qu’il s’est réellement passé. L’année suivante, Jean-Marie Tjibaou l’un des principaux acteurs de ces accords est assassiné par d’autres Kanaks qui lui reprochent son attitude conciliatrice.

Les accords Matignon et leur caducité

Pour ramener le calme, les accords de Matignon sont signés le 26 juin 1988, acceptés notamment par le FLNKS. Ils sont ratifiés par un référendum sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie qui donne le oui gagnant : il prévoit qu’un référendum sur l’indépendance soit organisé dix ans plus tard. Trois référendums plus tard, tous négatifs pour ce qui concerne l’indépendance, la question kanake est plus brûlante que jamais. L’intégration des nouveaux habitants en Nouvelle-Calédonie, notamment abondés par de riches métropolitains à la recherche de la tranquillité coloniale, rend les Kanaks toujours plus minoritaires sur leur propre terre. Les anti-indépendantistes appellent à faire respecter la loi pour tous. Les Kanaks répondent que cette loi « pour tous » favorise les Caldoches et les nouveaux colons. Le vote par les deux chambres de l’intégration d’une partie de l’électorat est légal mais non légitime aux yeux des indigènes. Les vieux chefs de clan paraissent aujourd’hui incapables de dépasser la situation qui prévaut après ce vote. Les jeunes indépendantistes, nettement plus radicaux que leurs aînés, ont même sorti les armes. Le président Macron a décidé de repousser la réunion du Congrès pour officialiser le nouvel électorat. Il est aujourd’hui impossible de savoir si nous allons vers une partition du territoire ou une véritable guerre civile. La situation est devenue de moins en moins contrôlable. D’autant que l’ONU aura alors son mot à dire. Le président Macron a prévu de remettre à juin le vote du Congrès s'il n'y a pas accord. C'est évidemment inimaginable. S'il est repoussé ça se passera en septembre, en même temps que le vote du budget et donc d’une motion de censure, en même temps que l’examen du projet d’autonomie pour la Corse. Chaud, chaud, chaud l’automne sera chaud. Mais ça ne rendra pas l’équation calédonienne plus facile à résoudre. Les Kanaks refusent de devenir définitivement minoritaires sur leurs terres ancestrales au nom d'une légalité imposée par la force.

GXC
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