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"OPD", film de François Charles : Histoire de gays en Corse

« OPD », premier documentaire tourné dans l’île sur l’homosexualité masculine. Un pari. Un défi, relevé par le cinéaste François Charles. Un film qui montre de vrais gens.

« OPD », film de François Charles
Histoire de gays en Corse



« OPD », premier documentaire tourné dans l’île sur l’homosexualité masculine. Un pari. Un défi, relevé par le cinéaste François Charles. Un film qui montre de vrais gens. Qui fait entendre de vraies paroles.


Le titre du film est clair. Il faut entendre pédé. « OPD » une manière de retourner une insulte en la « macagnant ». Mais encore faut-il avoir fait du chemin pour s’assumer en tant que gay,pour faire de la formule injurieuse une interjection. Une interpellation. Une salutation. La route peut être rude avant de réussir à affronter des regards parfois mauvais ou parfois méprisants et les surmonter. Voilà ce que nous montre le film de François Charles.

A visages découverts ou à visages cachés les propos des interviewés content souvent des difficultés au collège ponctuées de harcèlement ou de tabassages par de petits camarades qui excellent dans l’art d’oppresser, de tourmenter leurs victimes. Les intervenants évoquent volontiers des difficultés à communiquer, à se confier aux parents ou aux enseignants quand ceux-ci pourraient être bienveillants. Il y a fréquemment un rejet du père ressenti par les jeunes et qui les entraînent comme dit l’un d’eux « à jouer au mâle alpha ». D’après leurs récits cela semblerait plus facile du côté des mères – conditionnel de rigueur !

Un couple de tout jeune gens rapporte une agression qu’ils ont subi parce qu’ils avaient échangé un bisou dans un bar. « Pour que ça ne reste pas impuni », disent-ils ils ont porté plainte. Mal leur en prit ils ont reçu un accueil affreux. Un autre raconte qu’agressésexuellement il a dû endurer un procès très dur. Chez beaucoup on note que la peur affleure vite, peur sous-jacente ou exprimée. L’un d’eux rapporte qu’il est parti d’Ajaccio pour vivre à Bastia dans un environnement moins toxique. Partir de chez eux pour Bordeaux, Paris ou un ailleurs est une solution courante pour un nouveau redémarrage… si les possibilités financières sont là.

Comme sur le continent un témoignage rappelle qu’un adolescent en proie à une hostilité ambiante s’est suicidé, « dans un silence assourdissant », souligne le témoin pour qui ce geste est un insupportable malheur qui n’aurait pas dû avoir lieu. Moment de grande émotion.

Le documentaire de François Charles est à la fois dénonciation d’une situation et message d’espoir puisque parler est déjà un premier pas pour se sentir mieux dans ses baskets et pour dépasser la violence distillée par la société.

Pourquoi un tel documentaire n’a-t-il pas été réalisé plutôt ? Une telle question mériterait un sérieux examen. Manque de courage ? Appréhension d’être mal jugé ? Trouille ? Dose de lâcheté plus ou moins forte ? Peur d’être catalogué ? Les explications sont légion.

« OPD » participe à une meilleure santé de notre société. Pour ne rien gâcher ce documentaire offre de belles images. Son ton est juste, délicat, sans acrimonie superfétatoire. Il est constat et incite le spectateur à se faire une opinion au-delà du conservatisme politico-moral.

Michèle Acquaviva-Pache



Qui contacter en cas de besoin ?
• Podcastu Sexistu, ce podcast corse fait un bon travail de vulgarisation et de sensibilisation sur les réseaux sociaux.• Le COREVIH PACA ouest CORSE• Stop-Homophobie, association nationale, efficace pour accompagner les victimes d’agressions et pour la veille contre les propos lgbtphobes en ligne.


               ENTRETIEN AVEC François CHARLES


En présentant votre film à La Fabrique de Théâtre à Bastia vous avez précisez qu’il vous avait fallu cinq ans pour boucler sa réalisation. Pour quelles raisons ?

Entre le moment de la réflexion et la fin de la réalisation il m’a fallu en effet du temps. Ecriture et réécriture ont été des étapes longues. Convaincre des personnes de témoigner a exigé de la patience. J’ai contacté 150 personnes, une cinquantaine ont accepté dont une douzaine à visages découvert car il est toujours difficile de parler de choses intimes face à la caméra et de participer à un documentaire.


Avec les témoignages que vous avez recueilli sur quels aspects avez-vous insisté ?

« OPD » n’ai pas vraiment le film que j’ai souhaité parce que je voulais tourner un long-métrage avec des interviews et des archives mais on n’a pas eu les financements pour un tel projet. Au final comme on avait beaucoup de matière j’ai gardé les plus significatifs : les questions d’agressions et de prise en charge des victimes. Questions qui doivent interpeller les pouvoirs publics.


La situation des homos en Corse est contrastée. Peut-on prétendre qu’être gay est plus difficile pour un jeune que pour un homme mûr ?

Je pense que c’est très dur pour un préadolescent ou pour un adolescent. C’est un âge où l’on est sensible, où l’on affronte peut-être des harcèlements au collège… un âge où l’on a souvent honte en découvrant son homosexualité. Avec la maturité on est plus solide.


La vie en couple gay est-elle possible ici ? Faut-il se cacher au point de faire un mariage héthéro ?

Il y a certes des gays qui se marient avec une femme parce qu’ils ne s’assument pas !... L’homosexualisée devrait être banalisée. Je constate aussi qu’un discours militant puisse agacer. Seulement il faut rendre à César ce qui est à César sans les associations et leur militance on n’aurait pas avancé du tout.


Que pensez-vous de la « Manifestation des fiertés » de l’an dernier à Bastia ?

Quelques années plutôt on aurait dit que c’était la fin du monde ! Mais sa réussite ne doit pas masquer les agressions et les difficultés à s’assumer. Je voudrais qu’à terme on n’ait plus à traiter du sujet de l’homosexualité.


Comment avez-vous découvert votre homosexualité ? Comment avez-vous réagi ?

Je l’ai découvert très jeune et j’ai mal réagi. Préado dans les années 90 qui étaient celles du sida c’était affreux d’autant qu’on n’avait pas internet et qu’il était difficile de s’informer. Au début être gay a été violent pour moi. Il y avait la honte… Il y avait la solitude… Il y avait le silence…Puis j’ai pris mes repères avec le cinéma, avec des films comme « Les nuits fauves » et avec ceux d’Almodovar. Là, j’ai saisi qu’il n’y avait pas que la honte mais aussi de la beauté. N’empêche que l’adolescent gay part dans la vie d’adulte avec des béquilles. En discutant autour de moi j’ai constaté un point commun chez presque tous les homos : la difficulté d’accepter ce que l’on est au commencement… et que le dire à son entourage permet de libérer la parole.


Partir de Corse a-t-il facilité ensuite votre retour sur l’île ?

Partir pour mes études m’a aidé et libéré du poids de la famille même si chez moi on n’a jamais dénigré les homos. M’éloigner de la mentalité bastiaise m’a encore permis de me trouver. Plus à l’aise,je suis revenu en Corse et j’ai tourné « OPD ».


Dire que la société insulaire est patriarcale est-ce suffisant pour expliquer les difficultés d’être gay ?

Non. Je crois que c’est lié au soubassement religieux, comme dans l’islam qui est particulièrement hypocrite à cet égard ! Il y a également le fait que la société corse produit de la violence. L’insularité, les rapports de proximité avec les gens avec les risques de replis, de sclérose qu’ils impliquent sont encore à prendre en compte. D’où l’importance de la culture qui est ouverture d’esprit et oxygénation.


Que faudrait-il pour une plus grande acceptation ? Que la police et la justice prennent la peine d’enquêter sur les situations qui lui sont dénoncées ?

Du côté de la police et de la justice il faut lancer un travail de sensibilisation et installer en préfecture un référent LGBT comme cela existe à Paris. Il est évident que les policiers doivent être mieux formés. Ne pas oublier la question de la santé en formant le personnel de ce secteur.


Le rôle de l’Education nationale ?

Education et culture sont le nerf de la guerre. Au collège une sensibilisation sur l’orientation sexuelle serait opportune. Au lycée ce serait bien d’aborder ce qui touche à la prévention. On se heurte trop souvent au conservatisme… La primauté serait de travailler à ce qu’il n’y ait plus de suicides d’ados.


Les réactions du public après une projection de votre film ?

La fonction du cinéma est de susciter le débat, c’est le cas avec mon film. Côté négatif, on me reproche de n’avoir pas évoquer les lesbiennes, mais « OPD » n’est qu’un moyen-métrage. Côté positif, on apprécie la qualité esthétique du film.



Que Gabriel Attal ne cache pas son homosexualité, est-ce un progrès ?

Oui. Toute représentation publique qui banalise l’homosexualité est importante… Dans une ou deux générations ce ne sera plus un problème.

Propos recueillis par M.A-P
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