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Législatives : ont-ils tous perdu la boussole ?

Le président de la République navigue à vue ........
Législatives : ont-ils tous perdu la boussole ?
L’épisode de la dissolution révèle crûment aux citoyens, ce que savaient déjà les observateurs : le président de la République navigue à vue, la plupart des partis et de leurs dirigeants ont perdu la boussole.


Étant confrontés à la nécessité de rapidement adopter des tactique électorale (alliances, programmes, partages des circonscriptions, investitures), la plupart des partis et de leurs dirigeants ont perdu la boussole. Ils ont conclu des accords de façade ou se sont aventurés dans la division et la dispersion. Cela vaut dans l’Hexagone comme dans notre île. Le 30 juin et le 7 juillet prochains, pour les électrices et les électeurs qui entendent voter contre où se satisfont d’un choix partisan, cela sera simple ; pour les électrices et les électeurs qui recherchent une offre politique à la fois constructive et fédératrice, cela sera très compliqué.


Macron fait dans le flou, ses partisans dépriment


Emmanuel Macron n’entend assurément pas aider les déboussolés à trouver le nord. Au contraire, le président de la République entretient sciemment le flou, choix tactique dont il espère sans doute qu’il lui permettra de rester le maître des horloges et de s’adapter à toutes les situations pour conserver les commandes. La seule certitude qui se dessine est que le chef de l’État a la volonté de tout faire pour ne pas être en situation de devoir nommer Jordan Bardella au poste de Premier ministre. En effet, d’une part, et ce, avec le concours de son parti Renaissance et des autres partenaires de la majorité présidentielle, il s’emploie à empêcher le Rassemblement National d’obtenir une majorité absolue ; d’autre part, il laisse croire qu’il envisage la constitution d’une nouvelle majorité gouvernementale. Pour empêcher le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella de l’emporter et d’être en mesure de gouverner seul, Renaissance et ses partenaires ne présentent pas de candidats dans des dizaines de circonscriptions où ils estiment faible ou nulle la possibilité de s’imposer et tentent ainsi de favoriser l’élection de candidats qu’ils jugent Macron-compatibles. Un responsable de Renaissance a d’ailleurs expliqué : « Dans une soixantaine de circonscriptions, une candidature issue de nos rangs n'est pas en mesure d'être un vote utile ». Le Premier ministre Gabriel Attal a précisé : « Nos candidats sont les candidats utiles contre les extrêmes pour éviter leur arrivée au pouvoir. Il y a quelques circonscriptions où on sait que ça ne serait pas nos candidats qui seront les mieux placés et, dans ce cas-là, on soutient un autre candidat ». Quant à l’hypothèse d’une nouvelle majorité gouvernementale évoquée par de nombreux observateurs, elle n’est pas démentie par l’entourage présidentiel. Elle est même renforcée par le fait qu’Emmanuel Macron, lors de sa conférence du 12 juin dernier, a insisté sur sa volonté de se référer à une « logique d’ouverture et de construction avant et après l’élection » Emmanuel Macron peut d’ailleurs nourrir plus que quelques espoirs d’aboutir à la constitution d’un gouvernement d’union nationale avec la gauche, car le Nouveau Front Populaire, comme on va le voir plus loin, est loin d’être homogène et serein, et car, en cas de majorité relative Rassemblement National, une partie de la gauche et certains députés Les Républicains ne voudront probablement pas, en ayant refusé la main tendue par l’Elysée, porter la responsabilité d’avoir permis l’arrivée aux commandes de Jordan Bardella. Le chef de l’État espère donc probablement que se présente l’opportunité de nommer un Premier ministre de gauche ou « technicien », de proposer une « union nationale » aux socialistes, communistes, écologistes et Les Républicains anti-Ciotti, et d’écarter « les extrêmes », à savoir le Rassemblement National et La France Insoumise.
Cependant, s’il permet au président de la République de rester maître des horloges, le flou déconcerte beaucoup au sein des partis de la majorité présidentielles. Ayant été surpris et sonnés par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale qu’ils n’avaient pas vue venir, les macroniste sont dans le doute, le désarroi et même la déprime. Beaucoup de ceux qui avaient été élus en 2017 et battus en 2022, refusent de retourner au combat car ils ont conscience de la dégradation de l’image du chef de l’État et sont amers d’avoir été oubliés après leur défaite. Quant aux sortants de 2022, ce n’est pas la fleur au fusil qu’ils repartent en campagne, d’autant que l’épisode des élections européennes leur a fait prendre conscience que leur électorat leur reproche la suffisance et d’Emmanuel Macron, la réforme des retraites, la lois immigration, la loi assurance-chômage… Beaucoup se voient même battus car étant pris en tenaille entre deux dynamiques : celle du Rassemblement National et et celle du Nouveau Front Populaire.
Même Gabriel Attal, dont les jours sont comptés à Matignon, ou Yaël Braun-Pivet, qui devrait perdre le perchoir de présidente de l’Assemblée Nationale, font grise mine et se laissent aller à des propos frisant de défaitisme. Quant aux ministres, secrétaires d’État et collaborateurs de cabinet, ils ne sont pas en reste.


Un Nouveau Front Populaire qui tire à hue et à dia


Le député de la Somme François Ruffin a le premier appelé à une union de la gauche et à la constitution d’un Front populaire après l’annonce de la dissolution. Celui qui depuis des mois est le fer de lance de la contestation du pouvoir de Jean-Luc Mélenchon au sein de La France Insoumise semblait donc espérer être en position de force du fait du succès rencontré par son initiative. Mais les appareils des différents ont très vite pris le dessus en imposant un programme, se partageant les circonscriptions et décernant les investitures.
Ceci a sonné le glas de l’émergence de nouvelles pratiques, idées et personnes depuis la base qu’espérait porter et incarner le député de la Somme.
Ceci donne lieu à une gestion de contradictions et une mise à l’écart de principes révélant que faute d’une boussole commune, la gauche lorgne et godille vers plusieurs Nords et que même si le navire Nouveau Front Populaire a été mis mis à l’eau, rien ne garantit qu’il sera à flot longtemps ou qu’une partie de l’équipage ne décidera pas de s’en éloigner sur les canots de sauvetage pour, par exemple, gagner le rivage de « l’union nationale » que pourrait proposer Emmanuel Macron. D’ailleurs, les risques d’une dérive du bâtiment ou d’une prise de distance par des membres de l’équipage sont déjà apparus. La France Insoumise a tenté d’imposer l’investiture d’Adrien Quatennens, le député sortant ayant défrayé la chronique pour avoir exercé des violences sur son épouse (l’intéressé a été condamné en décembre 2022 pour violences conjugales à quatre mois d'emprisonnement avec sursis). Le parti de Jean-Luc Mélenchon a cependant dû reculer du fait de l’opposition de ses partenaire du Nouveau Front Populaire et de contestations en son sein, dont celle de François Ruffin qui a publié sur un réseau social : « Vous préférez un homme qui frappe sa femme, auteur de violences conjugales, à des camarades qui ont l'impudence d'avoir un désaccord avec le grand chef ». En évoquant ces camarades, François Ruffin a d’ailleurs dénoncé un autre coup de force de Jean-Luc Mélenchon et sa garde rapprochée, qui a aussi semé le trouble au sein du Nouveau Front Populaire.
Cinq « insoumis » historiques sortants ou bien implantés, dont Alexis Corbière et Raquel Garrido, n’ont pas été investis par leur parti. Ils font donc campagne au nom du Nouveau Front populaire mais doivent affronter des candidats investis par La France Insoumise qui arborent eux aussi la bannière Nouveau Front Populaire. Les-non investis ne manquent pas de soutiens. François Ruffin a dénoncé une « mauvaise farce » de « la direction de la France insoumise» alors que « l'extrême droite tape à la porte du pouvoir ». Le Parti Socialiste et des personnalités de la société civile (la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, la militante féministe Caroline De Haas…) ont fait part eux aussi de leur soutien. La question du soutien plus ou moins affirmé au Hamas et les soupçons d’antisémitisme affectent aussi le parcours du navire Nouveau Front Populaire. Le député Parti Socialiste sortant Jérôme Guedj qui a refusé l’étiquette Front populaire et a expliqué, faisant ainsi clairement allusion à des attaques qu’il a perçues comme étant antisémites : « Par devoir de vérité et de loyauté envers les électeurs, je ne peux pas m’associer à l’investiture de LFI liée à cet accord, en raison des divergences profondes avec la direction de cette formation relatives à la brutalisation du débat public. Je l’ai intimement et violemment subie », a face à lui une candidate Génération’s qui affirme se présenter au nom du Nouveau Front Populaire et a pour suppléant un militant de La France Insoumise.
En revanche, Jérôme Guedj est appuyé par le Parti socialiste. La position par rapport au Hamas est aussi rendue brûlante par l’investiture Nouveau Front Populaire qui a été accordée à Philippe Poutou, figure du Nouveau Parti Anticapitaliste, qui considère le Hamas comme une organisation de résistance et est de ce fait poursuivi pour apologie du terrorisme. Enfin, confirmation que le cap du Nouveau Front Populaire, faute de boussole commune, est tiré à hue et à dia, Raphaël Glucksmann n’a pas été considéré comme une acteur majeur lors de la mise en place de la coalition et de l’élaboration du programme.
Cette mise à l’écart de celui qui a porté la liste du Parti Socialiste à l’occasion des élections européennes en défendant une ligne social-démocrate, suscite d’ailleurs la réserve de personnalités de gauche qui s’en réclament. Ainsi Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l'Intérieur et Premier ministre de l’intéressé, a dit mal comprendre que l’ancien président de la République François Hollande soutienne le Nouveau Front Populaire et a appelé la gauche se reconnaissant dans la République et la social-démocratie à se doter d'un projet politique. Enfin, le Nouveau Front Populaire n’a,pas tranché la question de la désignation du Premier ministre qu’il conviendra, en cas de victoire, de proposer à Emmanuel Macron.

Jean-Luc Mélenchon jugé trop clivant par beaucoup de ses partenaires, a certes indiqué qu’il n exigeait rien : « Si vous pensez que je ne dois pas être Premier ministre, je ne le serai pas […] Je ne serai jamais le problème, je serai toujours du côté de la solution » mais n’a pas pour autant renoncé.


L’union des droites plombée, le Rassemblement National a son Nord


Dimanche 9 juin, Reconquête a passé la barre des 5%, pourcentage minimum requis pour obtenir des eurodéputés. Mais ce succès électoral n’a pas pour autant permis à Marion Maréchal de mettre en œuvre l’union des droites qu’elle appelle de ses vœux en associant le parti zemmouriste, le Rassemblement National, Les Républicains et Debout la France que préside Nicolas Dupont-Aignan. Ses rencontre avec sa tante Marine Le Pen et Jordan Bardella dont elle elle espérait beaucoup, ont abouti à un échec.
Le Rassemblement National a refusé de contracter avec Éric Zemmour jugé trop critique à son encontre et a rechigné à offrir un succès politique à celle qui lui avait préféré l’essayiste et ancien chroniqueur de Cnews. Ceci a valu à Marion Maréchal et à ses soutiens au sein de Reconquête ? leur exclusion du parti zemmouriste. Ceci a aussi entraîné la perte par Reconquête de la quasi totalité de ses eurodéputés, la désagrégation de plusieurs de ses fédérations départementales et une perte d’environ 20 % de ses adhérents. Entre-temps, encore à droite, les dissensions et la fragmentation ont affecté un autre parti. Les Républicains se sont déchirés après que leur président Éric Ciotti ait appelé à une alliance électorale de premier tour avec le Rassemblement national. Ce qui lui a valu son exclusion, depuis suspendue par la justice. Désormais, deux lignes s'opposent au sein de Les Républicains : quelques responsables et élus et une partie des militants sont partisans d'une alliance avec le Rassemblement national et font cause commune avec celui-ci (candidats communs) ; la plupart des élus, des responsables et des militants affirment rester fidèles à une indépendance totale de leur parti. 62 candidats pro-Ciotti, se réclamant du « rassemblement des droites » et soutenus par le Rassemblement National seront donc en lice. Les uns et les autres affirment leur opposition à la politique d’Emmanuel Macron mais il est perceptible que les pro-Ciotti sont davantage décidés à tenir ce cap. Plus encore qu’à gauche, manque à droite une boussole commune. Il apparaît donc, et cela explique peut-être en partie sa progression électorale et ses gains en crédibilité, que seul le Rassemblement National sait ou se situe son Nord.
Marine Le Pen se réserve pour le rendez-vous des élections présidentielles. Elle a choisi de ne pas jouer au jeu dangereux de la cohabitation qui a contribué à faire perdre Jacques Chirac face à François Mitterrand, Édouard Balladur face à Jacques Chirac et Lionel Jospin face à Jacques Chirac. Jordan Bardella conduit la campagne des élections législatives et sera, s’il dispose d’une majorité, sur les rangs pour devenir Premier ministre. Le choix du parti est de poursuivre son recentrage. Il vient encore de le prouver en torpillant le parti d’Eric Zemmour et en préférant travailler à une alliance avec Les Républicains.
Le Rassemblement National n’est plus ce parti alors dénommé Front National qui, en février 1992, était un quasi groupuscule rejeté presque partout et dont l’avion du président avait été empêché d’atterrir chez nous, à Bastia, par des militants nationalistes. Les choses ont bien changé. Dans l’Hexagone, il est aux portes du pouvoir. Chez nous, il n’a pas d’élus qui comptent mais n’est plus interdit de séjour et réalise des scores importants lors des scrutins européens et présidentiels.
Dimanche 9 juin dernier, la liste Jordan Bardella a obtenu 40,76 % des voix à l‘échelle de l’île, et est est arrivée en tête dans toutes les plus grandes communes, y compris celles administrées par les nationalistes ou dont le maires se réclame de la majorité territoriale siméoniste : Bastia (41,93 %), Portivechju (36,65 %), Biguglia (55,83 %), L’Isula . Dimanche 9 juin dernier, Nathaly Antona, déléguée territoriale adjointe du Rassemblement National Corse, 24ème sur la liste de Jordan Bardella, est devenue la seule élue corse au Parlement Européen. Dimanche 9 juin dernier, la Corse est devenue l'une des contrées électorales les plus favorables au Rassemblement national et, plus globalement à l'extrême droite. Les élections législatives seront probablement moins favorables, mais il n’est pas interdit de penser qu’au moins dans une des circonscriptions, sans doute deuxième de Corse du Sud, la candidat Rassemblement National puisse réaliser 12,5 % des inscrits et se maintenir.

Pierre Corsi
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