• Le doyen de la presse Européenne

L'Europe hantée par le spectre de l'extrême droite

Ce n'est pas un accident de parcours, c'est un séisme

L’Europe hantée par le spectre de l’extrême droite


Il ne fait aucun doute qu’à l’issue des prochaines législatives, le Rassemblement national et ses alliés républicains seront appelés par le président Macron à constituer un gouvernement. Ça n’est pas un accident de parcours, c’est un séisme. La France, pays architecte de l’Europe, seule puissance nucléaire du vieux continent, va être dirigée par un gouvernement monolithique couleur bleu marine. Même le gouvernement de Michel Debré avait pris comme secrétaire d’État le libéral Valéry Giscard d’Estaing. Voici donc la 5e dissolution prononcée sous la Ve République et la 3e cohabitation.


Le gambit du président Macron


Le président Macron est un homme déconcertant souvent changeant et travaillant en solitaire. Dans ce qui nous concerne, il sacrifie sa propre majorité espérant une opposition balkanisée et un nouveau front républicain à droite. Peut-être croit-il à une usure gouvernementale du Rassemblement national arrivant à bout de souffle aux présidentielles. Ou alors pense-t-il possible la divine surprise que représenterait un sursaut des électeurs. Disons-le tout de suite : ce pari qui s’apparente à la tactique du gambit aux échecs a toutes les chances d’échouer. Le déport vers la droite extrême de l’électorat français n’a rien de local. Il est généralisé dans l’Europe entière voir aux États-Unis et même en Asie même si en Scandinavie il semble légèrement régresser. La planète connaît un alignement désastreux de crises diverses auxquelles les hommes répondent par l’expression d’une peur existentielle. Hier, le ressentiment et les craintes étaient en partie canalisés par l’idéologie communiste. Celle-ci est désormais résiduelle et a été remplacée par les religions et le repli nationaliste.

Une mécanique cyclique


Chaque peuple possède sa propre dynamique et la France est un pays particulier, républicain en apparence, mais au fond bel et bien monarchiste dans l’âme, adepte des hommes providentiels. Louis XVI a été décapité parce qu’il était considéré comme un monarque faible et après les convulsions révolutionnaires, la première république a installé sur le trône un Empereur Napoléon Ier. La Seconde République née en 1848 dans le sang des ouvriers n’a pas permis de rétablir l’ordre bourgeois. Le Second Empire a vu le jour qui s’est écroulé après la défaite de Sedan. La Troisième république a été baptisée dans le sang des communards et s’est achevée on ne peut plus légalement par le vote des pleins pouvoirs à un nouvel homme providentiel, le maréchal Pétain. La Quatrième république n’a pas résisté à l’épreuve algérienne et le général de Gaulle a été placé sur le trône républicain après un putsch militaire à Alger. Aujourd’hui le Cinquième agonise. Elle se cherche un homme, une femme ou un parti capable de redresser un pays malade de ce sentiment de décadence qui ronge de l’intérieur les vieux peuples occidentaux.

Extrême droite ou droite extrême


Le langage est souvent trompeur et plus encore quand il sert les causes perdues. Il est vrai que la France commémore le 80e anniversaire de la Libération. Il est tout aussi exact que le président Macron tente d’établir un parallèle douteux entre le pétainisme et le Rassemblement national actuel. C’était vrai avec le Front national né des amours d’anciens SS, de fieffés collabos et de quelques authentiques résistants placés là comme des faire-valoir. Mais les temps ont changé. L’un des repères idéologiques incontournables était l’antisémitisme affiché sans complexe par Jean-Marie Le Pen et ses compères. Le Rassemblement national ne l'est assurément pas calcul, par opportunisme ou par conviction. D’une façon paradoxale, l’antisémitisme moderne est en partie porté par une extrême gauche qui, défendant à juste titre les droits des Palestiniens confond avec perversité la politique d’Israël avec l’ensemble du monde juif, recherchant ainsi les suffrages d'un électorat musulman. Allons plus loin : le discours actuel du Rassemblement national se situe en retrait des déclarations du général de Gaulle sur la France blanche, ou encore de celles de Georges Marchais sur l’immigration ou même de celles de Jacques Chirac sur les odeurs. Le RN est tout simplement le témoin d’un raidissement nationaliste du peuple français et il ne sert à rien à crier au loup nazi sinon à édulcorer la réalité atroce de ce que fut le nazisme ou le fascisme. Et puis au fond, ceux qui y croient, s'ils sont cohérents, vont devoir prendre le maquis dans un mois.

Une droite extrême, conservatrice, réactionnaire et rétrograde


La poussée planétaire de la droite extrême sur tous les continents traduit une vive réaction de populations désorientées par une attitude tout droit venue des États-Unis portant sur les questions sociétales notamment sur le racialisme et le genre. D'un autre côté, les femmes sont les premières victimes de l’offensive réactionnaire notamment portée par les religions islam en tête. Leurs droits sont menacés partout où les conservateurs sont arrivés au pouvoir. Les nécessités écologiques sont mises en lambeaux par la vague conservatrice. Et tous ces débats qui explosent sans cohérence. La laïcité n’est plus défendue par la gauche, mais plutôt par une droite qui s’en sert contre l’islam. L’antisémitisme sous couvert d’antisionisme est devenu le fonds de commerce d’une extrême gauche qui entend bien clientéliser les banlieues à forte population africaine. Les anciens repères ont sauté. La gauche est devenue illisible pour celles et ceux qu’on a appelés les « invisibles » lors de la crise des Gilets jaunes. Sans un recadrage sévère, la gauche risque fort de se réduire comme peau de chagrin et de n’être plus incarnée que par sa caricature incarnée par Jean-Luc Mélenchon, ce vieux militant qui refuse de disparaître. Alors extrême droite ou droite extrême ? Ce qui est certain c’est que le Rassemblement national semble pécher plus par sa désorganisation que par une similitude avec les hordes en uniforme de l’entre-deux-guerres. La violence est plutôt utilisée par l’extrême gauche que par les quelques centaines d’identitaires relativement isolés dans le champ politique. L’existence même de la République n’est plus en enjeu puisque c’est elle qui permet à la droite extrême de progresser.

Et ce n’est qu’un début


Au mois de juillet, la France devrait avoir pour Premier ministre un homme de vingt-huit ans particulièrement inexpérimenté, mais mû par des principes idéologiques de la droite extrême. Ses décisions seront particulièrement attendues en matière de politique extérieure : quelle aide pour l’Ukraine ? Relations avec l’Algérie ? etc.) et en politique intérieure (quelles mesures sécuritaires ? Quelle attitude envers l’immigration ? Quel budget voter ? etc.). Des conflits vont nécessairement éclater avec le chef de l’État qui ne manquera pas de mettre des bâtons dans les roues du nouveau Premier ministre. Ce dernier rendra le chef de l'État responsable de l’immobilisme. Le président Macron pourra-t-il aller au terme de son dernier mandat ? Rien de certain en ce domaine. Une crise majeure a été amorcée avec la dissolution de l’Assemblée. En novembre, l’élection américaine risque fort de porter une fois encore Donald Trump à la présidence produisant un arc électrique entre Netanyahou (s’il est toujours en place), l’Europe ultraconservatrice et l’Amérique réactionnaire. Le mélange est détonant et plus encore si l'Ukraine perd la guerre contre la Russie faute de moyens.

Quand le GPS est cassé…


Qui aurait dit il y a seulement dix ans qu’à nouveau le continent européen connaîtrait une guerre à sa frontière orientale ? Qui aurait pu prédire que le Rassemblement national parviendrait à briser le fameux plafond de verre ? Aujourd’hui on se bat à nos portes et les partis xénophobes progressent à peu près partout jusqu’au sein du pacifique Portugal. Mais ce qui arrive en France porte en lui un sens particulier. Ce pays a toujours porté en lui d’une façon mystérieuse quelque chose d’universel malgré sa capacité à se replier sur lui-même quand le danger paraît le dépasser. La France a été le pays de l’absolutisme royal, celui des Lumières, celui de la Révolution radicale jusqu’à la monstruosité. Puis elle a accueilli l’Empereur qui a modernisé l’État et a manqué de peu de dominer l’Occident. Pays des révolutions, mais aussi des réactions, elle est devenue une sorte d’étoile du berger pour une partie de la planète. Aujourd’hui, elle semble emprunter une voie conservatrice comme un peu partout dans le monde. C’est un signe qu’il convient de ne pas négliger. On peut toujours continuer à pratiquer l’anathème contre la future majorité. L'insulte et l'opprobre n'ont visiblement pas fonctionné jusqu'à maintenant. Seuls les convaincus ont cru aux discours absurdes caricaturant Marine Le Pen jusqu’à la présenter sous les traits d’un Hitler féminin. Il faut désormais engager la confrontation démocratique, de combattre les idées avec raison, de parvenir à empêcher que le vote de protestation ne devienne un vote d’adhésion.

Un monde en ébullition


Cependant ne nous faisons pas d’illusions : un monde dans lequel les plus riches s’enrichissent et les plus pauvres s’appauvrissent suscite inévitablement du ressentiment et de la colère. Celle-ci avait été captée par l’idéologie lutte des classes qui désignaient aux victimes les coupables de leur triste sort : la bourgeoisie et les riches. Le nationalisme joue une autre partition : les méchants sont les étrangers, les autres. Les riches peuvent y trouver leur compte car, in fine, pour aller jusqu’au bout du processus il y a la guerre, meilleur moyen d’absorber les énergies dangereuses des démunis. Nous n’en sommes évidemment pas là. Mais il est certain qu’à cette forme de spiritualité de basse intensité qu’est le nationalisme, il faut opposer une autre spiritualité de plus haute volée. L’internationalisme a péri dans les goulags. À ceux qui pensent que l’humanité est une et indivisible de trouver ce qui permettra à l’espérance de renaître dans la fraternité et la solidarité. En attendant, il faut accepter l’épreuve pour ce qu’elle est fondamentalement : une initiation à un autre paradigme pour reprendre une expression anglo-saxonne qui signifie une nouvelle façon d’appréhender une nouvelle situation.

GXC
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