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ITALIE : plus d'autonomie pour les régions

Les parlementaires italiens ont approuvé une loi qui va permettre aux régions de disposer de davantage d'autonomie

Italie : plus d’autonomie pour les régions


Les parlementaires italiens ont approuvé une loi qui va permettre aux régions de disposer de davantage d’autonomie. Pour l’opposition de gauche, cette législation va accroître les disparités économiques et sociales entre le nord et le sud du pays.


En Italie, les trois composantes de la coalition de gouvernement de droite ont récemment donné le feu vert à une « autonomie différenciée » pour les régions. A des autonomies à la carte ! En effet, une loi octroyant aux régions la possibilité de se doter d’importantes compétences supplémentaires a été définitivement adoptée le 19 juin dernier. Pour ce faire, Frattelli d’Italia (parti de la présidente du Conseil Giorgia Meloni, issu du néo-fascisme et désormais libéral et europhile) ainsi que ce qui reste d’élus à Forza Italia (parti fondé par feu Silvio Berlusconi, libéral-conservateur et plutôt europhile) ont emboîté le pas à La Lega (parti de Matteo Salvini, fédéraliste, eurosceptique et anti-immigration). La troisième composante de la coalition gouvernementale qui exigeait une décentralisation très poussée, a donc obtenu satisfaction. Le Sénat, il y a quelques mois, puis à l’Assemblée Nationale, il y a quelques jours, ont voté la loi disposant que vingt-trois nouveaux domaines de compétences soient transférables aux régions. Le Président de la République, Sergio Mattarella, a promulgué le texte. En conséquence, les régions qui le demanderont et trouveront un accord sur les conditions de transfert avec le gouvernement, pourront disposer de pouvoirs nouveaux ou renforcés, notamment en matière de santé, d'éducation, d'organisation de la justice, de prestations sociales, de culture, d'énergie, de protection de l'environnement, de commerce extérieur. Par ailleurs, les régions auront aussi la possibilité de demander une plus grande liberté d’affectation des ressources financières tirées de leur territoire.

Une nouvelle étape de la construction de l'Italie

L’adoption du droit à « l’autonomie différenciée » représente une nouvelle étape de la construction de l'Italie. Plus de cent cinquante ans après le Risorgimento (processus d’unification ayant débuté en 1848 et s’étant conclu par la proclamation du Royaume d’Italie en 1861 et par l’annexion de Rome jusqu’alors capitale de l’État pontifical en 1870), elle prend en compte que les particularismes régionaux sont encore vivaces et que plusieurs régions et acteurs politiques jugent les institutions trop centralisées. Pour répondre à ce constat, des adaptations ont certes été apportées. La plus importante à été celle de 1970. Il a alors été créé vingt régions D’importantes compétences leurs ont été octroyées. Cinq de ces régions, la Sicile, la Sardaigne, le Val d'Aoste, le Trentin-Haut-Adige et le Frioul-Vénétie julienne ont même obtenu le droit d’ouvrir des négociations pour obtenir des conditions particulières. Ces adaptations n’ont toutefois pas mis fin aux revendications d’une décentralisation plus poussée. La plus importante et la plus virulente de ces revendications s’est développée au début des années 1980. Elle a été initiée et portée par la Lega lombarda, parti fondé par Umberto Bossi. Au début des années 1990, avec le même leader, ce parti est devenu la Lega Nord (aujourd’hui devenue La Lega per Salvini Premier). Umberto Bossi avait pour projet de « libérer » le nord de l’Italie de « Rome la voleuse » (étant ainsi dénommée car étant accusée de fixer des impôts toujours plus lourds, pour alimenter une administration d’État « rapace » et assister les régions méridionales peuplées de « fainéants »). Il est allé jusqu’à envisager la sécession des trois régions les plus riches du pays : la Lombardie, la Vénétie, l’Émilie-Romagne (ces trois régions représentant plus de 50 % du PIB et des exportations de l’Italie). Ces trois régions sont d’ailleurs aujourd’hui très demandeuses « ;d’autonomie différenciée ».

Réforme dangereuse, réforme absurde, sécession des riches ?

« L’autonomie différenciée » ne donne cependant pas lieu à un consensus. Elle est est fustigée par plusieurs experts. Luca Bianchi, le directeur du Svimez (Associazione per lo Sviluppo de l'Industria nel Mezzogiorno) qui œuvre pour le développement du sud de l’Italie, considère qu’elle est dangereuse Selon lui : du fait d’une moindre péréquations des ressources entre les régions, elle cristallisera les inégalités territoriales et sociales ; du fait des différences de fiscalité et de normes selon les régions, elle handicapera l’attractivité et les entreprises. « C'est une réforme absurde » a pour sa part déclaré Julius Sapelli, professeur d'histoire économique à l'Université de Milan, avant d’ajouter à titre d’exemple : « Un élément transactionnel comme l'énergie ne peut être réduit à une dimension locale. Parmi les 23 sujets soumis à l'autonomie, il y a aussi la protection de l'environnement que le Parlement a introduit dans la Constitution il y a deux ans. Énergie et environnement sont des mots entrés dans l’usage courant dans la pratique politique. Mais ce sont aussi ceux qui ont une signification moins complète. Avec l'autonomie, la perspective est de voir les intérêts, les pouvoirs et les consensus négociés, là où l’unité et des choix cohérents sont nécessaires. Dans quelle nation vivrons-nous lorsque les présidents de région puis les maires décideront de l'éolien, du photovoltaïque, des déchets ? » L'opposition de gauche est, elle aussi, vent debout. Elle dénonce « une sécession des riches » qui « porte atteinte à l'unité nationale en créant des citoyens de première classe et d'autres de seconde classe » et qui « fait courir le risque de fracturer encore plus le pays en creusant les inégalités entre le Nord riche et le Sud pauvre ». Elle appelle à la résistance parlementaire et à la mobilisation populaire : « Nous continuerons à livrer bataille dans l'hémicycle et dans la rue ».
Comme le permet la Constitution Italienne, elle souhaite l’organisation d’un référendum dont l’objet sera l’abrogation de la loi sur « l’autonomie différenciée ». En effet, ayant auparavant dénoncé « une loi qui brise en deux l’Italie », le Parti démocrate a annoncé qu’il allait recueillir des signatures pour lancer une consultation populaire. Enfin, même la Commission européenne s’en mêle. Elle dit craindre une menace sur les acquis ou les objectifs des politiques de cohésion de l’Union Européenne : « Ces transferts de compétences comportent des risques pour la cohésion et les finances publiques du pays. Ils pourraient aggraver encore plus les inégalités régionales. »

Un bol d’air pour Salvini et La Lega

La coalition de droite ne s’en laisse pas compter. Elle rétorque aux détracteurs et aux opposants que, pour assurer le financement des services et des fonctions dont le transfert a été demandé, la loi sur « l’autonomie différenciée » prévoit la retenue d’une partie des recettes fiscales générées sur le territoire régional Elle ajoute qu’il sera demandé à la région de garantir des « niveaux essentiels de prestation » en s’engageant sur « un seuil minimum de services à rendre au citoyen de manière uniforme sur tout le territoire ». Matteo Salvini, vice-président du Conseil et ministre des Infrastructures et de la Mobilité durable et aussi leader de La Lega, est en première ligne car l’adoption de la loi sur « l’autonomie différenciée » a représenté un succès important pour lui et son parti. Ceci est d’ailleurs confirmé par les prises de position de responsables de La Lega. Ainsi, Roberto Calderoli, figure historique du parti (et ministre des Affaires régionales et de l’Autonomie) a manifesté toute sa satisfaction : « J’en ai les jambes qui tremblent d’émotion. L’adoption de cette loi est le couronnement d’années et d’années de batailles politiques ». Pour Matteo Salvini, l’adoption de la loi sur le droit à « l’autonomie différenciée » est aussi un bol d’air vital car elle lui permet d’opposer une victoire politique à des revers électoraux et à des critiques à son encontre. Lors de récentes élections régionales et en juin dernier à l’occasion des élections européennes, une partie de l’électorat hier acquise à La Lega, a fait défaut. Il y a quelques semaines, à l’occasion de la commémoration de la création en 1984 de la Lega lombarda, Umberto Bossi a fustigé la ligne politique de Matteo Salvini, notamment en attribuant les déboires électoraux de La Lega à l’abandon de la défense des intérêts du Nord et à l’adoption d’une démarche nationaliste italienne et eurosceptique avec comme slogan « Les Italiens d'abord ».


JPB.
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