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Exposition à Una Volta jusqu'au 12 juillet

Intraccià de Kamil Zihnioglu

Exposition à Una Volta

Intraccià de Kamil Zihnioglu



Dans ses photographies Kamil Zihnioglu capte l’essence d’un visage, d’une roche, d’un arbre, d’une bouche de maquis surprenante de vert et d’eau, d’une statue, de mains usées par le temps et l’âge. Il restitue l’essentiel du minéral, du végétal, de l’humain, d’un fragment mémoriel.



Le photographe de nationalité turque-allemande-syrienne-française – de quoi « ravir » Bardella – est un amoureux fou de la Corse. L’intitulé de son exposition porte bien son nom, Intraccià. Ses images dont, en effet, quête d’identité, de ces marqueurs de l’âme, de ces sentiments et attitudes de femmes et d’hommes fiers de leur terre insulaire. Ses images disent aussi un lieu qu’il pare de magie, de grave souvenance, de profonde souveraineté. De la Corse il conte que c’est l’île de son cœur. Il clame haut et fort : « Tu m’as recueilli comme ton enfant, tu m’as permis de déployer mes racines, moi, le fils de nulle part ».

Sur les routes de l’île, qui l’a vu « naître à lui-même », il aime poursuivre ses errances de sources en villages, de paysages en vestiges. Ce qui lui plait c’est un jour pluvieux d’hiver à Porto Vecchio, la tradition de l’ochju qui a survécu malgré la christianisation, les myriades d’étoiles au-dessus du maquis. Kamil Zihnioglu se situe à contrecourant de la banalité, à contrepoint des idées reçues, à contre-pied de la vacuité de l’air du temps… jamais en tous cas à contresens.

Somptueuse vue d’un maquis éclatant de vert, magnifiant une pluie tombée récemment, peut-être ?! Un maquis ou presqu’un début de forêt, affichant quelques coins de bleu du ciel. Cette photographie laisse imaginer la page d’ouverture d’un conte effrayant qu’adorent les enfants.

Des mains posées sur une table en attente d’un jeu de cartes, ou d’un café, ou qui sait d’une prière expiatoire, ou encore écoutant une légende, à moins que ce ne soit une simple conversation. Des mains entendantes !

Le cimetière des officiers de la Sémillante dont le naufrage a fait des centaines de morts. Le bateau devait rejoindre la Crimée. Sa course s’est arrêtée en Corse. On se souvient du malheur. On ne peut oublier combien la Méditerranée est souvent dangereuse. Les événements actuels en sont la tragique illustration : mer cimetière.

Le visage d’un vieil homme que n’a pas vraiment altéré l’âge. Les traits sont interrogateurs et paradoxalement paisibles. A-t-il beaucoup vécu ? Une légende de cette photo lue par ailleurs indique qu’il a été bandit d’honneur et que son palais vert était une tour génoise ! Comme en écho le portrait d’un homme jeune. Tranquille ? Intranquille ? Difficile de trancher.

Un couple enlacé sans doute sur une plage au creux d’un lot de bois flotté. Couple suggérant un moment de bonheur en une quiétude retrouvée.

Les œuvres photographiques de Kamil Zihnioglu offrent au visiteur toute latitude d’inventer des histoires.

Michèle Acquaviva-Pache

  • · A voir jusqu’u 12 juillet à Una Volta.
  • · Le Centre culturel bastiais propose également une exposition de la vidéaste Laura Gonçalves-Santoni à la saveur de sucre d’orge.

                                            ENTRETIEN AVEC KAMIL ZIHNIOGLU


Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à la Corse ?

J’étais photojournaliste pour une agence de presse à Paris et je faisais souvent les mêmes images qu’on me commandait. J’ai un cousin à Porto Vecchio. Enfant et adolescent je passais mes vacances chez lui où je m’étais fait beaucoup de copains dont certains sont partis à Paris pour travailler avec qui j’avais gardé des relations. Puis nombre d’entre eux sont revenus en Corse. En 2018 j’en avais assez de la grande ville, j’ai renoué avec mon cousin. De mes périodes d’adolescence sur l’île j’avais gardé une image biaisée par le tourisme. De retour en Corse, en plein hiver, loin du flot touristique, j’ai eu une révélation et j’ai décidé de me fixer à Porto Vecchio. Je me suis alors posé des questions sur les rapports de mes copains à leur identité et à leur territoire. Et ces questions je me les suis aussi posées à moi. Père turc, mère allemande et syrienne, bilingue franco-allemand je me suis senti une attache avec la Corse parce que je suis avant tout méditerranéen.


Photojournaliste comment organisez vous votre travail entre l’île et Paris ?

Maintenant je travaille régulièrement pour « Le Monde ». L’été, je fuis Porto Vecchio. Trop de touristes. L’été, je constate que même mes relations avec mes copains porto-vecchiais ne sont plus pareilles : ils sont trop occupés par restaurants et hôtels… Bastia, j’apprécie beaucoup parce que cette ville est culturellement passionnante. J’y ai en outre un très bon ami le photographe, Raphaël Poletti.


Pourquoi votre exposition à Una Volta s’intitule-t-elle Intraccià ?

Parce que je recherche les traces de toutes mes identités, y compris de celle qui provient de l’île. Le titre de l’exposition est en corse parce que la langue est capitale dans l’émancipation d’un pays.


Comment avez-vous pensé votre exposition qui reflète végétal, minéral, portraits de personnages ?

Je travaille avec Mathias Benguigui, directeur artistique, photographe, commissaire de mon exposition. Cela fait six ans qu’il m’accompagne. J’avais besoin de son aide car le photojournalisme n’a rien à voir avec le documentaire. Il m’a permis d’avoir du recul et de faire des photographies très subjectives. Ensemble nous avons d’abord réalisé une première expo en 2022. Nous l’avons pensé pour la médiathèque de Porto Vecchio, « L’Animu », dont le bâtiment est très spécial ce qui nous a imposé de grands formats, d’où une présentation différente de ce qui est montré à Una Volta.


Dans votre travail de photojournaliste qu’est-ce qui vous intéresse surtout ?

Couvrir l’actualité locale, nationale, internationale… Ce que j’apprécie au « Monde » c’est de faire des photographies qui répondent à un sujet et qui s’adressent à un seul support, contrairement à ce qui se passe dans une agence de presse. Pour « Le Monde » en Corse j’ai couvers le processus d’autonomie et fait des portraits…


Ce qui est présenté à Una Volta en quoi est-ce différent de vos photographies publiées comme photojournaliste ?

Dans l’exposition à Una Volta je veux que le spectateur se réapproprie l’image en lui laissant libre choix de son interprétation.


Comment en êtes-vous venu au photojournalisme ?

Mon père est photographe et ma mère est aussi dans la partie. Tout jeune j’ai baigné dans ce monde. A 13 ans j’ai eu mon premier appareil de photographie et me suis empressé de tout photographier autour de moi. Après un stage à Berlin je suis rentré en France. J’ai fait une école de photo et un stage à l’AP. Ensuite est venu le temps de remplacements. Puis je suis devenu pigiste au « Monde » où je fais un travail très varié sur des sujets politique, écologique, sociétal.


Quelle est la photographie, que vous avez prise, qui vous a le plus marqué ?

C’était en 2015, au moment des attentats à Paris. Les photos que j’ai prises alors m’ont énormément marqué et ce d’autant plus que j’étais jeune, puisque j’avais 22 ans. J’ai d’ailleurs mis du temps à réaliser ce qui c’était passé ! A l’opposé j’aime une image que j’ai faite à Bruxelles à l’occasion de la première rencontre entre Macron et Trump où l’on voit le premier de dos bien plus petit que le deuxième, dont la coque de cheveux à l’air de se poser sur le crâne du président français. Je trouve cette photo très drôle !


Qu’est-ce qu’une photo réussie pour vous ?

C’est ne photo qui me touche, qui me provoque une émotion, qui me vaut un coup de cœur. Une photographie qui reflète une ambiance, un ressenti et dans laquelle le spectateur voudrait plonger.


Existe-t-il des images que vous ne prendriez pas ?

. Je photographie les images qui me font envie. Si je ne ressens rien, je ne capte rien.

Propos recueillis par M. A-P
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