• Le doyen de la presse Européenne

La France dans le brouillard

Les résultats sont des oxymores

La France dans le brouillard


Tous les soirs d’élection, chacun pousse son cocorico laissant penser qu’il n’y a ni perdant ni gagnant. En ce 7 juillet, les résultats sont des oxymores. Chacun peut s’estimer heureux sans toutefois être en capacité de hurler victoire. Le retournement de situation est impressionnant : la peur du RN et la création d’un front républicain inédit ont empêché le RN de prendre la tête des élus. Le voilà même qui passe en troisième position distancé par un Nouveau Front populaire et dans une moindre mesure par le mouvement macroniste.


Un Mélenchon au taquet et un RN dépité


Jean-Luc Mélenchon n’a pas attendu bien longtemps avant de prendre la parole au nom du NFP et, sans vraiment le dire, se proposer comme Premier ministre. La manœuvre est audacieuse car si on en croit les projections, au sein de la coalition de gauche, LFI est talonné par les socialistes dont la remontée est impressionnante. Le maintien des macronistes ne l’est pas moins eux qu’on disait un peu vite en déroute. Ils réussissent une belle élection. C’est en définitive le RN le plus dépité lui à qui les sondages promettaient presque la majorité absolue. Alors comment expliquer cette chute vertigineuse qui toutefois lui fait gagner une quarantaine de députés ? C’est que le front républicain, cette alliance sans autre principe politique que l'éviction du RN a faussé tous les calculs. On a vu des LFI se désister pour des candidats de droite et réciproquement. Cependant, au sein des formations élues, les accords sont fragiles et ont toutes les chances de voler en éclats lorsqu’il faudra constituer les groupes et plus encore quand il faudra voter les lois.

Et si au fond tout le monde attendait le coup prochain


La politique peut être pratiquée par des exaltés, mais certainement pas par des imbéciles. Chaque camp sait qu’à partir du dimanche soir, la France est devenue ingouvernable. Aucun des blocs ne détient une majorité même relative pour faire passer la moindre loi. Nous entrons dans des temps incertains durant lesquels la combinazione va régner en maître. Cela peut durer un certain temps, mais ce temps certain sera déterminé par le mécontentement des Français qui se fera connaître au cours d'un nouvel exercice électoral ou dans la rue. Car les élections n'ont en définitive apporté de satisfaction à personne. La France est un pays qui a détrôné parfois dans la violence ses rois et ses présidents dès lors qu’ils montraient des signes de faiblesse. Rien n’a changé. Emmanuel Macron aura beau jouer les bonapartes, il n'est plus en capacité d'en imposer. Et puis soyons honnêtes : aucun des dirigeants n’a vraiment envie de prendre le gouvernail de ce bateau ivre qu’est devenue la France pendant les deux ans à venir. Au fond, le NFP ne va-t-il pas se contenter de l’échec du RN pour à nouveau se diviser permettant ainsi à chaque tendance de se consolider en vue de l’affrontement final ? Le RN est parfaitement conscient que la période qu’il aurait eue à passer en cohabitation l’aurait mené aux présidentielles après avoir perdu sa puissance. Pour Marine Le Pen, le véritable enjeu est celui des présidentielles comme d’ailleurs pour Jean-Luc Mélenchon. Les écologistes et le Parti communiste gagnent quelques sièges sans que cela soit vraiment significatif. À l’inverse, pour le Parti socialiste les deux ans à venir vont être déterminants pour recréer un parti digne de ce nom et ainsi espérer diriger une future alliance de gauche.

Et le peuple dans tout ça ?


Les analyses les plus fines ne tiennent compte que de la fausse réalité des appareils, des arrangements qui ont mené à ces résultats. Cependant elles occultent les raisons qui ont permis à l’extrême droite de bénéficier de la poussée la plus puissante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit du sentiment de déclassement des classes populaires, du ressentiment envers les classes moyennes supérieures accusées de ne s’occuper que de l’étranger, de favoriser un système de reproduction sociale endogène, d’aimer les grandes villes plutôt que les campagnes. Il serait fou d’ignorer que les plus pauvres ont massivement voté pour le RN par peur de l'immigration et besoin de sécurité, par désir d'obtenir des fins de mois de décentes. Nous devrions tous avoir en mémoire la révolte des Gilets jaunes qui peut évidemment se reproduire à n’importe quel moment surtout si le pouvoir central semble vaciller. Ces élections législatives ont été la résultante d’une rencontre entre la peur et le ressentiment. Peur irrationnelle d'un supposé fascisme d’une partie de l’électorat parmi lesquels des citoyens percevant dans le RN un retour du nazisme, peur de partager le pouvoir avec un électorat méprisé. Ressentiment d’une horde de malheureux entraînés sur le chemin de la détestation des autres par des magiciens d’un ordre nouveau et cependant doté d'un programme incohérent et dangereux autant que celui du NFP.

Les marchés décideront…


Les dirigeants politiques peuvent toujours feindre dominer la situation. Ils savent tous que dans un pays qui a accumulé plus de trois milliards de dettes, ce sont les marchés détenteurs de cette fameuse dette, qui sont les maîtres des bourses et du temps. Les programmes du Nouveau Front populaire et celui du RN sont des programmes démagogiques, datés et impossibles à mettre en œuvre. Pour l’extrême gauche, il semblerait qu’on en soit encore au bas de laine et aux mallettes d’argent. Or l’argent est devenu immatériel et plus encore avec les crypto monnaies. Il se moque des frontières et peut partir se réfugier dans un paradis fiscal en quelques minutes. La spéculation fait qu’une entreprise peut être riche un jour et détruite le lendemain pour peu que les investisseurs s’en détournent. Quant au RN, il ne tient pas plus compte de la réalité financière dans un pays ruiné et surtout en grande partie désindustrialisé. Il promet monts et merveilles, tout et son contraire sans prise en compte des réalités françaises et internationales. En ce sens, bien malin qui peut prédire l’avenir. Tout élément aujourd’hui considéré comme mineur peut demain, au détour d’une catastrophe, d’une nouvelle crise, devenir déterminant. Les postures idéologiques représentent le meilleur moyen d’échouer. En période de crise, un système politique souffre d’hypersensibilité : les attitudes, les paroles peuvent déclencher des tempêtes. Et soyons assurés qu’au sein de la gauche comme à droite, ils sont nombreux les pionniers du chaos.

Une France déboussolée dans une Europe qui l’est tout autant


Le sentiment de déclin a joué un rôle important dans le vote RN. Chassée d’Afrique, la France ne tient plus son rang de moyen impérialisme. Notre richesse ancienne provenait des colonies. Nous importions des matières premières à faible coût pour les transformer sur le sol national. Le prolétariat européen et donc français, est né de l’exploitation de ces pays auxquels on niait toute spécificité culturelle et qui aujourd'hui ont cru et multiplié. Nous comprenons désormais que les civilisations sont mortelles, mais les états de relative opulence aussi surtout quand leur démographie déclinante les pousse au tombeau. Partout en Europe, l’extrême droite surfe sur les angoisses des plus démunis qui craignent de l’être plus encore. La gauche explique benoîtement qu’il suffirait de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Selon M. Mélenchon, on serait riche à partir de 4 000 euros par ménage. Venant d’un homme qui doit en gagner sept fois à lui tout seul, l'annonce ne manque pas de piquant. C’est avec de telles promesses qu’on rabat les classes moyennes vers l’extrême droite. La France est un pays de conflit et la gauche en est la première victime tant il est vrai que pendant ses décennies de pouvoir, elle n’a jamais prouvé qu’elle était capable d’appliquer son propre programme. La droite est bousculée par ses extrêmes. Il est vraisemblable que la seule voie viable est celle d’une sociale démocratie apaisée et du retour au dialogue entre modérés. C'est ce chemin qui est emprunté par la Grande-Bretagne où le parti travailliste remporte des victoires jusque sur les indépendantistes écossais. Si la gauche française modérée parvenait à s’entendre avec une partie du centre, alors naîtra une petite espérance. Mais si comme il est hélas prévisible, les partis se la jouent tous contre tous, il y a fort à parier que le président Macron sera obligé d’abdiquer et de lancer la bataille pour les présidentielles.

Le temps joue pour le RN


La situation française ressemble au duel à trois qui achève le film Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone. Il arrivera le moment où les protagonistes vont être prêts à s'entretuer. Mais ne nous leurrons pas : la dynamique est du côté du RN. En 2017, quand le parti de Marine Le Pen avait réuni 21,3 % des voix à la présidentielle, il n’avait remporté que 8 des 120 circonscriptions où il s’était qualifié, soit 6,6 %. En 2022, le RN a remporté 89 des 208 circonscriptions où il était présent au second tour, soit un taux de réussite de 42,8 %. Aujourd’hui il va augmenter de 65 % son nombre d’élus. Sous des apparences de semi-défaite, l’élan est bien du côté du rassemblement de Marine Le Pen contrairement à ce que pourraient laisser penser les accents triomphateurs et néostaliniens de Jean-Luc Mélenchon.

Une élection scrutée de près par une Europe inquiète


L’offensive RN a été bloquée. Mais elle n’a été que bloquée. L’opposition c’est-à-dire en grande partie la France la moins pauvre, s’est levée contre ce qu’elle a désigné sottement comme une horde fasciste. Or le vote RN n’est pas qu’un ensemble de bulletins. Ce sont des femmes et des hommes qui ont exprimé leur désarroi, leur colère, leur ressentiment. Cette fois-ci la moyenne bourgeoisie a encore voté contre le RN. Mais il suffira que quelques fractions de cette composante sociologique basculent pour que la victoire change de camp. Si les actes de la coalition ne changent pas la donne sociale, le mal va s’amplifier et la prochaine fois sera la bonne ou plutôt la mauvaise.

GXC
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