Législative : Anatomie d'un scrutin
Quel scrutin !
Législatives : anatomie d’un scrutin
Quel scrutin ! Fortes participations aux deux tours. Quatre candidats RN, dont trois inconnus, pouvant se maintenir au second tour. Barrage anti-RN ayant associé la droite, le centre, la gauche, les écologistes, les autonomistes, des indépendantistes. Jean-Félix Acquaviva battu. Premier revers du nationalisme depuis son accession au pouvoir. Qu’en retenir sans prétention d’être exhaustif ?
A l’issue du premier tour, dans les quatre circonscriptions de l’île, les candidats du Rassemblement National ont été en position de se maintenir. Une première ! Au second tour, les trois candidats restés en lice ont totalisé 8000 voix de plus qu’au premier tour et dépassé 30 % des suffrages exprimés. Troisième belle performance en deux ans pour le Rassemblement National (Marine Le Pen et la liste Jordan Bardella ayant été en tête dans l’île à l’issue des élections présidentielles de 2022 et des élections européennes de mai dernier). Pour vérifier que ces performances signifient un ancrage, il conviendra cependant attendre les résultats des élections municipales et des élections territoriales car, lors de ces rendez-vous, les conditions seront moins favorables pour le parti à la flamme. Primo, les enjeux locaux pèseront bien plus lourds que les problématiques nationales. Deuxio, il faudra, pour être crédible et entendu, présenter des candidats de proximité et de terrain et non des nouveaux arrivants ou des parachutés ne connaissant quasiment personne et ignorant tout ou presque des réalités locales. Tertio, il sera impératif de compter avec Mossa Palatina. En effet, le mouvement initié et dirigé par Nicolas Battini représente une forte concurrence potentielle car, outre tenir un discours idéologiquement proche de celui du Rassemblement National, il défend clairement l’identité corse et les besoins spécifiques de la Corse. Tout cela a d’ailleurs été relevé par Nicolas Battini le soir du premier tour. Il a rappelé représenter un autonomisme corse opposé à l'immigration : « Les Corses ont exprimé une énième fois leur volonté de s'opposer fermement à l'immigration massive, ce qui s'est manifesté par un vote Rassemblement National. Si nous convergeons avec lui sur les questions migratoires, nous nous opposons fermement sur la question de l'autonomie, car nous sommes nous-mêmes autonomistes ». Il a jugé prometteurs les résultats modestes des candidats de son parti (4,25 % dans la première circonscription de Haute-Corse, 3,61 % dans la première circonscription de Corse-du-Sud, 2,72 % dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud) : « Nous sommes parfaitement satisfaits ».
Le réveil de la droite
Dans la première circonscription de la Corse-du-Sud, bien qu’ayant été devancé au premier tour par la candidate du Rassemblement National, Laurent Marcangeli (63,20%) a été élu plus facilement qu’en 2022. Il n’avait alors obtenu que 51,76 % des suffrages exprimés. Le député sortant a bénéficié du net recul du candidat Femu a Corsica qui n’a d’ailleurs pu se maintenir au second tour. Ses choix à l’échelle nationale n’ont pas été sanctionnés (présidence du groupe parlementaire de centre droit Horizons à l’Assemblée Nationale, soutien à Emmanuel Macron). Ses prises de position en faveur d’une large autonomie de la Corse et d’une métropole ajacienne ont été largement comprises. Les rancœurs de droite à son encontre se sont estompées (notamment celles ayant résulté de l’éviction quelque peu brutale de Jean-Jacques Ferrara, son prédécesseur au Palais de Bourbon). Enfin, des électeurs de gauche lui ont accordé leurs voix pour faire barrage au Rassemblement National. Dans la deuxième circonscription de la Haute-Corse, François-Xavier Ceccoli a défait Jean-Félix Acquaviva, le député sortant Femu a Corsica. Le vainqueur a bénéficié d’une remobilisation de son camp (notamment des maires des communes de droite) et de suffrages de gauche (essentiellement d’origine giacobbiste) et nationalistes (provenant notamment d’Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa et de Nazione). En l’emportant, François-Xavier Ceccoli a fait plus que permettre à la droite de Haute-Corse de renouer avec le succès dans une élection majeure (elle subissait défaite sur défaite depuis plus d’une décennie). Sa victoire représente la possible émergence d’une alternative au siméonisme. Il a d’ailleurs évoqué cette perspective en exposant, au micro de France Bleu RCFM, ce que signifiait selon lui son succès : « Avant tout, c’est avoir démontré qu’il était possible aujourd’hui d’atteindre la citadelle invaincue depuis plus d’une décennie. Je pense que c’est surtout ça la victoire, avoir montré qu’aujourd’hui on était dans le champ des possibles ».
La victoire de François-Xavier Ceccoli et le succès amplifié de Laurent Marcangeli représentent effectivement un réveil de la droite et la possibilité qu’elle l’emporte lors du prochain scrutin territorial. Certes la droite Ceccoli et la droite Marcangeli sont différentes. La première penche pour une candidature de Laurent Wauquiez aux prochaines présidentielles et une autonomie limitée de la Corse. La deuxième veut faire entrer Édouard Philippe à l’Elysée et dit accepter qu’un statut d’autonomie de la Corse aille jusqu’à l’octroi d’un pouvoir législatif. Cependant, dans le passé, lors de plusieurs scrutins territoriaux, il a été constaté qu’à droite, assumer ses différences au premier tour et réunir ses forces au second, était une formule électorale gagnante.
La gauche revit
Aucun des quatre candidats ayant adopté l’étiquette Nouveau Front Populaire n’a été présent au second tour. Seul un candidat sur quatre, le socialiste Jean-Baptiste Luccioni, a obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés. Pourtant, il apparaît que la gauche insulaire a refait surface. Passant outre que cela n’ait été ni demandé ni avalisé au niveau national, la plupart des instances locales des partis de gauche ont recommencé à se parler. Les discussions ont abouti à la présentation d’un candidat d’union dans chaque circonscription. Des dynamiques de campagne se sont mises en place et ont porté un message priorisant les revendications sociales (SMIC à 1600 euros, blocage des prix des produits de première nécessité, abrogation de la réforme des retraites...)
Enfin, et cela est sans doute l’essentiel, des figures se sont affirmées et l’ambition d’aller plus loin a été clairement énoncée. Dans la première circonscription de Haute-Corse, Sacha Bastelica, 20 ans, originaire de Bastia, étudiant à Science po Lyon, ayant siégé à la Cunsulta di a Ghjuventù, candidat issu des rangs de La France Insoumise, a mené une campagne active avec un groupe de jeunes militants et sympathisants, et ainsi mis fin à la quasi disparition de la gauche de la scène politique (seul le Part communiste donnaient encore un peu signe de vie). Dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, le maire de Petrusedda,Jean-Baptiste Luccioni a, en ayant mis fin à sa parenthèse macroniste et renoué avec le Parti socialiste, redonné des couleurs à la gauche de l’Extrême-Sud. Enfin, dans la première circonscription de Corse-du-Sud, prolongeant ainsi l’investissement qu’il avait amorcé lors des élections européennes (il figurait alors sur la liste du Parti communiste), le communiste Marc-Antoine Leroy a symbolisé le retour d’une visibilité de la gauche dans la région ajacienne. Il convient de noter que si les responsables socialistes et communistes de la gauche sudistes ont été des soutiens, la fédération socialiste de Haute-Corse a brillé par son absence alors que son homologue communiste traînait les pieds. Il doit aussi être souligné que les figures qui se sont affirmées, sont moins frileuses que la plupart de leurs aînées concernant le traitement du dossier institutionnel. Ainsi, durant la campagne, Sacha Bastelica a déclaré : « Si vous élisez un député Front Populaire, vous aurez quelqu’un qui pourra influencer de l’intérieur la base idéologique républicaine, jacobine, hostile à la poursuite des négociations institutionnelles pour la Corse ». Ces figures ont cependant pour exigence que l’autonomie soit porteuse de progrès social. « Nous défendons une autonomie par le haut et par le bas, avec des gages écologiques et sociaux »
a précisé Sacha Bastelica.
Le nationalisme bousculé
Les victoires, dans la première circonscription de la Haute-Corse, du député sortant Femu a Corsica, Michel Castellani, et, dans la deuxième circonscription de la Corse-du-Sud, du député sortant PNC-Avanzemu, Paul-André Colombani, n’ont pas suffi à dissimuler que le nationalisme a été bousculé. Et ceci a concerné toutes les composantes ayant participé au scrutin. Avec la défaite de Jean-Félix Acquaviva dans la deuxième première circonscription de la Haute-Corse et la non qualification pour le second tour de Romain Colonna dans la première circonscription de la Corse-du-Sud, Gilles Simeoni et Femu a Corsica ont reçu deux rudes coups. Le fait que Paul-André Colombani ait eu besoin de recourir à la mobilisation des forces de droite et de gauche pour venir à bout de François Filoni, le candidat Rassemblement National, a montré que l’attelage Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa ne s’était pas senti à l’abri d’une déconvenue. Le fait que seul un candidat sur quatre Core in Fronte ait franchi la barre des 5 % donnant droit au remboursement par l'État des frais d'impression et d'affichage de la propagande électorale (bulletins de vote, professions de foi, affiches des panneaux électoraux), a révélé que le parti indépendantiste était loin d’avoir capitalisé les suffrages obtenus au premier tour et au (8,39%, 11 282 suffrages exprimés) et au second tour (12,26 %, 16 726 suffrages exprimés).. Tout cela est pris au sérieux par le camp nationaliste. Il craint que la droite qui dispose désormais de deux leaders d’envergure (Laurent Marcangeli, François-Xavier Ceccoli) soit capable de renouer avec de grandes victoires. Le camp nationaliste est d’autant plus attentif et inquiet que François-Xavier Ceccoli a annoncé la couleur. Il ambitionne d’initier et structurer une plate-forme politique qui aura pour vocation de transcender les partis et les idéologies, de réunir les volontés et les talents, afin de proposer une alternative au siméonisme et au delà, au nationalisme.
Plusieurs leaders nationalistes ont d’ailleurs reconnu que leur mouvance avait subi un revers et qu’ils avaient conscience d’une vulnérabilité de leurs positions. Pour parer au danger, alors qu’il y a encore quelques jours ils se chamaillaient, ils ont à chaud évoqué la nécessité de s’unir à nouveau et l’impératif d’un aggiornamento. Mais leurs déclarations indiquent qu’ils sont encore loin de partager une même conception de l’aggiornamento.
Quel aggiornamento ?
Gilles Simeoni a reconnu un revers et assuré vouloir tirer des leçons du scrutin mais reste évasif. Dès le 1er tour, il a déclaré dans Corse Matin : « En tant que nationaliste et démocrate, c'est une défaite. Je respecte le suffrage universel et tous les électeurs mais, face à cela, il faut réagir et apporter une réponse politique dès dimanche prochain à l'occasion du second tour. Je crois aussi qu'il faudra tirer des leçons importantes de ce qui s'est passé aujourd'hui en Corse […] Trois candidats que personne ne connaît et qui ne connaissent rien de la Corse sont tout de même parvenus à faire d'énormes scores. Cela veut dire que le corps électoral et la Corse ont changé. Cela veut aussi dire que leur discours a trouvé un écho important chez les électeurs, ce qui nous oblige à remettre en question notre façon de défendre nos idées. Il y a certainement une angoisse ou une colère qui s'est exprimée à travers ce vote. Il faut tirer des conséquences sur notre façon d'expliquer notre projet politique, notre rapport aux Corses et à la société corse ». Après le deuxième tour, il a répondu à Corse Net Infos : «
Nous devons tirer les leçons de cette défaite pour préparer les victoires futures, non seulement électorales mais surtout politiques, car notre combat pour la Corse et son peuple doit continuer. »
Paul-Félix Benedetti, le leader de Core in Fronte, estime que l’aggiornamento passe par la constitution d’un front patriotique qui devra revenir aux fondamentaux du nationalisme et s’attacher à transformer la société corse : « Les élections Législatives ont globalement sanctionné le Mouvement National dans son ensemble. Ceux qui sont au pouvoir, actuellement, doivent faire une rétrospection de leurs échecs. Nous devons, collectivement, changer de politique ». Son parti a renchéri et précisé : « Depuis neuf ans, il n'y a pas eu les attendus et les traceurs d'une politique nouvelle pour la Corse […] Dès l'annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale française, par Emmanuel Macron, et devant la montée du vote RN en Corse aux élections Européennes, nous avons pris la mesure des enjeux politiques. Avant le 1er tour, Core In Fronte a fait un appel public à l'ensemble du Mouvement National pour aborder les élections législatives de manière unitaire, afin que l'idée nationale corse reste la force motrice de l'émancipation du peuple corse. Notre appel n'a pas été entendu pour des considérations politiciennes [...] La victoire de 2015 était historique car elle concrétisait 50 ans de poussée nationaliste en Corse. Mais, aujourd’hui aucun résultat palpable n’a été observé par les Corses sur les grands dossiers : la gestion des déchets, la question des ressources en eau, la vie chère, les monopoles qui écrasent financièrement les Corses, les transports, la grande distribution, les carburants, la lutte contre la spéculation immobilière… Core In Fronte l'a toujours dit : les nationalistes au pouvoir ne sont pas là pour gérer le système, ils sont là pour transformer la société. Dans les semaines et mois à venir, il faudra créer des conditions nouvelles, pour un véritable projet de société et un programme politique cohérent en vue d’une vraie solution politique globale en Corse ».
Jean-Christophe Angelini, le leader Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa, souhaite visiblement ne pas revenir à une simple union des nationalistes. Il préconise « une recomposition totale de l'ensemble du champ politique ». Il l’a ainsi précisé à un confrère de France Bleu RCFM : « Je ne crois pas qu'il soit bon que l'on s'enferme, y compris au sens propre, dans des discussions entre nationalistes seulement, même si j'y suis très favorable.
Le PNC, historiquement, a toujours œuvré pour que les nationalistes se parlent et s'entendent mais je crois qu'en l'occurrence, vue la situation politique créée par le premier tour et au-delà, il faut qu'on aille beaucoup plus loin et au-delà d'un aggiornamento de notre famille, je crois qu'il faut véritablement une recomposition totale de l'ensemble du champ politique, en incluant celles et ceux qui, sans être nationalistes, ont aussi contribué à nos victoires électorales et à redonner du sens à une situation qui, depuis quelque temps déjà, en avait perdu ».
C’est clair, côté nationaliste, on n’est pas couché. D’autant qu’une prochaine réunion à Corte à l’invite d’organisations de jeunesse nationalistes, complexifiera sans doute encore la problématique aggiornamento.
Pierre Corsi
Quel scrutin ! Fortes participations aux deux tours. Quatre candidats RN, dont trois inconnus, pouvant se maintenir au second tour. Barrage anti-RN ayant associé la droite, le centre, la gauche, les écologistes, les autonomistes, des indépendantistes. Jean-Félix Acquaviva battu. Premier revers du nationalisme depuis son accession au pouvoir. Qu’en retenir sans prétention d’être exhaustif ?
A l’issue du premier tour, dans les quatre circonscriptions de l’île, les candidats du Rassemblement National ont été en position de se maintenir. Une première ! Au second tour, les trois candidats restés en lice ont totalisé 8000 voix de plus qu’au premier tour et dépassé 30 % des suffrages exprimés. Troisième belle performance en deux ans pour le Rassemblement National (Marine Le Pen et la liste Jordan Bardella ayant été en tête dans l’île à l’issue des élections présidentielles de 2022 et des élections européennes de mai dernier). Pour vérifier que ces performances signifient un ancrage, il conviendra cependant attendre les résultats des élections municipales et des élections territoriales car, lors de ces rendez-vous, les conditions seront moins favorables pour le parti à la flamme. Primo, les enjeux locaux pèseront bien plus lourds que les problématiques nationales. Deuxio, il faudra, pour être crédible et entendu, présenter des candidats de proximité et de terrain et non des nouveaux arrivants ou des parachutés ne connaissant quasiment personne et ignorant tout ou presque des réalités locales. Tertio, il sera impératif de compter avec Mossa Palatina. En effet, le mouvement initié et dirigé par Nicolas Battini représente une forte concurrence potentielle car, outre tenir un discours idéologiquement proche de celui du Rassemblement National, il défend clairement l’identité corse et les besoins spécifiques de la Corse. Tout cela a d’ailleurs été relevé par Nicolas Battini le soir du premier tour. Il a rappelé représenter un autonomisme corse opposé à l'immigration : « Les Corses ont exprimé une énième fois leur volonté de s'opposer fermement à l'immigration massive, ce qui s'est manifesté par un vote Rassemblement National. Si nous convergeons avec lui sur les questions migratoires, nous nous opposons fermement sur la question de l'autonomie, car nous sommes nous-mêmes autonomistes ». Il a jugé prometteurs les résultats modestes des candidats de son parti (4,25 % dans la première circonscription de Haute-Corse, 3,61 % dans la première circonscription de Corse-du-Sud, 2,72 % dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud) : « Nous sommes parfaitement satisfaits ».
Le réveil de la droite
Dans la première circonscription de la Corse-du-Sud, bien qu’ayant été devancé au premier tour par la candidate du Rassemblement National, Laurent Marcangeli (63,20%) a été élu plus facilement qu’en 2022. Il n’avait alors obtenu que 51,76 % des suffrages exprimés. Le député sortant a bénéficié du net recul du candidat Femu a Corsica qui n’a d’ailleurs pu se maintenir au second tour. Ses choix à l’échelle nationale n’ont pas été sanctionnés (présidence du groupe parlementaire de centre droit Horizons à l’Assemblée Nationale, soutien à Emmanuel Macron). Ses prises de position en faveur d’une large autonomie de la Corse et d’une métropole ajacienne ont été largement comprises. Les rancœurs de droite à son encontre se sont estompées (notamment celles ayant résulté de l’éviction quelque peu brutale de Jean-Jacques Ferrara, son prédécesseur au Palais de Bourbon). Enfin, des électeurs de gauche lui ont accordé leurs voix pour faire barrage au Rassemblement National. Dans la deuxième circonscription de la Haute-Corse, François-Xavier Ceccoli a défait Jean-Félix Acquaviva, le député sortant Femu a Corsica. Le vainqueur a bénéficié d’une remobilisation de son camp (notamment des maires des communes de droite) et de suffrages de gauche (essentiellement d’origine giacobbiste) et nationalistes (provenant notamment d’Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa et de Nazione). En l’emportant, François-Xavier Ceccoli a fait plus que permettre à la droite de Haute-Corse de renouer avec le succès dans une élection majeure (elle subissait défaite sur défaite depuis plus d’une décennie). Sa victoire représente la possible émergence d’une alternative au siméonisme. Il a d’ailleurs évoqué cette perspective en exposant, au micro de France Bleu RCFM, ce que signifiait selon lui son succès : « Avant tout, c’est avoir démontré qu’il était possible aujourd’hui d’atteindre la citadelle invaincue depuis plus d’une décennie. Je pense que c’est surtout ça la victoire, avoir montré qu’aujourd’hui on était dans le champ des possibles ».
La victoire de François-Xavier Ceccoli et le succès amplifié de Laurent Marcangeli représentent effectivement un réveil de la droite et la possibilité qu’elle l’emporte lors du prochain scrutin territorial. Certes la droite Ceccoli et la droite Marcangeli sont différentes. La première penche pour une candidature de Laurent Wauquiez aux prochaines présidentielles et une autonomie limitée de la Corse. La deuxième veut faire entrer Édouard Philippe à l’Elysée et dit accepter qu’un statut d’autonomie de la Corse aille jusqu’à l’octroi d’un pouvoir législatif. Cependant, dans le passé, lors de plusieurs scrutins territoriaux, il a été constaté qu’à droite, assumer ses différences au premier tour et réunir ses forces au second, était une formule électorale gagnante.
La gauche revit
Aucun des quatre candidats ayant adopté l’étiquette Nouveau Front Populaire n’a été présent au second tour. Seul un candidat sur quatre, le socialiste Jean-Baptiste Luccioni, a obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés. Pourtant, il apparaît que la gauche insulaire a refait surface. Passant outre que cela n’ait été ni demandé ni avalisé au niveau national, la plupart des instances locales des partis de gauche ont recommencé à se parler. Les discussions ont abouti à la présentation d’un candidat d’union dans chaque circonscription. Des dynamiques de campagne se sont mises en place et ont porté un message priorisant les revendications sociales (SMIC à 1600 euros, blocage des prix des produits de première nécessité, abrogation de la réforme des retraites...)
Enfin, et cela est sans doute l’essentiel, des figures se sont affirmées et l’ambition d’aller plus loin a été clairement énoncée. Dans la première circonscription de Haute-Corse, Sacha Bastelica, 20 ans, originaire de Bastia, étudiant à Science po Lyon, ayant siégé à la Cunsulta di a Ghjuventù, candidat issu des rangs de La France Insoumise, a mené une campagne active avec un groupe de jeunes militants et sympathisants, et ainsi mis fin à la quasi disparition de la gauche de la scène politique (seul le Part communiste donnaient encore un peu signe de vie). Dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, le maire de Petrusedda,Jean-Baptiste Luccioni a, en ayant mis fin à sa parenthèse macroniste et renoué avec le Parti socialiste, redonné des couleurs à la gauche de l’Extrême-Sud. Enfin, dans la première circonscription de Corse-du-Sud, prolongeant ainsi l’investissement qu’il avait amorcé lors des élections européennes (il figurait alors sur la liste du Parti communiste), le communiste Marc-Antoine Leroy a symbolisé le retour d’une visibilité de la gauche dans la région ajacienne. Il convient de noter que si les responsables socialistes et communistes de la gauche sudistes ont été des soutiens, la fédération socialiste de Haute-Corse a brillé par son absence alors que son homologue communiste traînait les pieds. Il doit aussi être souligné que les figures qui se sont affirmées, sont moins frileuses que la plupart de leurs aînées concernant le traitement du dossier institutionnel. Ainsi, durant la campagne, Sacha Bastelica a déclaré : « Si vous élisez un député Front Populaire, vous aurez quelqu’un qui pourra influencer de l’intérieur la base idéologique républicaine, jacobine, hostile à la poursuite des négociations institutionnelles pour la Corse ». Ces figures ont cependant pour exigence que l’autonomie soit porteuse de progrès social. « Nous défendons une autonomie par le haut et par le bas, avec des gages écologiques et sociaux »
a précisé Sacha Bastelica.
Le nationalisme bousculé
Les victoires, dans la première circonscription de la Haute-Corse, du député sortant Femu a Corsica, Michel Castellani, et, dans la deuxième circonscription de la Corse-du-Sud, du député sortant PNC-Avanzemu, Paul-André Colombani, n’ont pas suffi à dissimuler que le nationalisme a été bousculé. Et ceci a concerné toutes les composantes ayant participé au scrutin. Avec la défaite de Jean-Félix Acquaviva dans la deuxième première circonscription de la Haute-Corse et la non qualification pour le second tour de Romain Colonna dans la première circonscription de la Corse-du-Sud, Gilles Simeoni et Femu a Corsica ont reçu deux rudes coups. Le fait que Paul-André Colombani ait eu besoin de recourir à la mobilisation des forces de droite et de gauche pour venir à bout de François Filoni, le candidat Rassemblement National, a montré que l’attelage Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa ne s’était pas senti à l’abri d’une déconvenue. Le fait que seul un candidat sur quatre Core in Fronte ait franchi la barre des 5 % donnant droit au remboursement par l'État des frais d'impression et d'affichage de la propagande électorale (bulletins de vote, professions de foi, affiches des panneaux électoraux), a révélé que le parti indépendantiste était loin d’avoir capitalisé les suffrages obtenus au premier tour et au (8,39%, 11 282 suffrages exprimés) et au second tour (12,26 %, 16 726 suffrages exprimés).. Tout cela est pris au sérieux par le camp nationaliste. Il craint que la droite qui dispose désormais de deux leaders d’envergure (Laurent Marcangeli, François-Xavier Ceccoli) soit capable de renouer avec de grandes victoires. Le camp nationaliste est d’autant plus attentif et inquiet que François-Xavier Ceccoli a annoncé la couleur. Il ambitionne d’initier et structurer une plate-forme politique qui aura pour vocation de transcender les partis et les idéologies, de réunir les volontés et les talents, afin de proposer une alternative au siméonisme et au delà, au nationalisme.
Plusieurs leaders nationalistes ont d’ailleurs reconnu que leur mouvance avait subi un revers et qu’ils avaient conscience d’une vulnérabilité de leurs positions. Pour parer au danger, alors qu’il y a encore quelques jours ils se chamaillaient, ils ont à chaud évoqué la nécessité de s’unir à nouveau et l’impératif d’un aggiornamento. Mais leurs déclarations indiquent qu’ils sont encore loin de partager une même conception de l’aggiornamento.
Quel aggiornamento ?
Gilles Simeoni a reconnu un revers et assuré vouloir tirer des leçons du scrutin mais reste évasif. Dès le 1er tour, il a déclaré dans Corse Matin : « En tant que nationaliste et démocrate, c'est une défaite. Je respecte le suffrage universel et tous les électeurs mais, face à cela, il faut réagir et apporter une réponse politique dès dimanche prochain à l'occasion du second tour. Je crois aussi qu'il faudra tirer des leçons importantes de ce qui s'est passé aujourd'hui en Corse […] Trois candidats que personne ne connaît et qui ne connaissent rien de la Corse sont tout de même parvenus à faire d'énormes scores. Cela veut dire que le corps électoral et la Corse ont changé. Cela veut aussi dire que leur discours a trouvé un écho important chez les électeurs, ce qui nous oblige à remettre en question notre façon de défendre nos idées. Il y a certainement une angoisse ou une colère qui s'est exprimée à travers ce vote. Il faut tirer des conséquences sur notre façon d'expliquer notre projet politique, notre rapport aux Corses et à la société corse ». Après le deuxième tour, il a répondu à Corse Net Infos : «
Nous devons tirer les leçons de cette défaite pour préparer les victoires futures, non seulement électorales mais surtout politiques, car notre combat pour la Corse et son peuple doit continuer. »
Paul-Félix Benedetti, le leader de Core in Fronte, estime que l’aggiornamento passe par la constitution d’un front patriotique qui devra revenir aux fondamentaux du nationalisme et s’attacher à transformer la société corse : « Les élections Législatives ont globalement sanctionné le Mouvement National dans son ensemble. Ceux qui sont au pouvoir, actuellement, doivent faire une rétrospection de leurs échecs. Nous devons, collectivement, changer de politique ». Son parti a renchéri et précisé : « Depuis neuf ans, il n'y a pas eu les attendus et les traceurs d'une politique nouvelle pour la Corse […] Dès l'annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale française, par Emmanuel Macron, et devant la montée du vote RN en Corse aux élections Européennes, nous avons pris la mesure des enjeux politiques. Avant le 1er tour, Core In Fronte a fait un appel public à l'ensemble du Mouvement National pour aborder les élections législatives de manière unitaire, afin que l'idée nationale corse reste la force motrice de l'émancipation du peuple corse. Notre appel n'a pas été entendu pour des considérations politiciennes [...] La victoire de 2015 était historique car elle concrétisait 50 ans de poussée nationaliste en Corse. Mais, aujourd’hui aucun résultat palpable n’a été observé par les Corses sur les grands dossiers : la gestion des déchets, la question des ressources en eau, la vie chère, les monopoles qui écrasent financièrement les Corses, les transports, la grande distribution, les carburants, la lutte contre la spéculation immobilière… Core In Fronte l'a toujours dit : les nationalistes au pouvoir ne sont pas là pour gérer le système, ils sont là pour transformer la société. Dans les semaines et mois à venir, il faudra créer des conditions nouvelles, pour un véritable projet de société et un programme politique cohérent en vue d’une vraie solution politique globale en Corse ».
Jean-Christophe Angelini, le leader Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa, souhaite visiblement ne pas revenir à une simple union des nationalistes. Il préconise « une recomposition totale de l'ensemble du champ politique ». Il l’a ainsi précisé à un confrère de France Bleu RCFM : « Je ne crois pas qu'il soit bon que l'on s'enferme, y compris au sens propre, dans des discussions entre nationalistes seulement, même si j'y suis très favorable.
Le PNC, historiquement, a toujours œuvré pour que les nationalistes se parlent et s'entendent mais je crois qu'en l'occurrence, vue la situation politique créée par le premier tour et au-delà, il faut qu'on aille beaucoup plus loin et au-delà d'un aggiornamento de notre famille, je crois qu'il faut véritablement une recomposition totale de l'ensemble du champ politique, en incluant celles et ceux qui, sans être nationalistes, ont aussi contribué à nos victoires électorales et à redonner du sens à une situation qui, depuis quelque temps déjà, en avait perdu ».
C’est clair, côté nationaliste, on n’est pas couché. D’autant qu’une prochaine réunion à Corte à l’invite d’organisations de jeunesse nationalistes, complexifiera sans doute encore la problématique aggiornamento.
Pierre Corsi