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Navires de croisières pollueurs : l'enfumage continue

En attendant la création en mai 2025 d'une zone de contrôle des émissions d'oxydes de soufre et de particules (zone SECA) couvrant l'ensemble de la mer Méditerranée, les populations restent soumise à l’enfumage provoqué par les navires de croisière au nom

Navires de croisière pollueurs : l’enfumage continue


En attendant la création en mai 2025 d'une zone de contrôle des émissions d'oxydes de soufre et de particules (zone SECA) couvrant l'ensemble de la mer Méditerranée, les populations restent soumise à l’enfumage provoqué par les navires de croisière au nom de « l’intérêt économique ».



Sur son site internet, l’association U Levante relève que le CESEC (Conseil économique, social, environnemental et culturel de Corse), dans son avis relatif au Rapport d’activité 2022 de la Collectivité de Corse, signale une lente réactivité des autorités face à la pollution atmosphérique : « Les Plans de protection de l’atmosphère réalisés pour Aiacciu et Bastia n’ont pas été mis en œuvre […] Le CESEC préconise que la Collectivité de Corse soit à l’initiative d’une concertation avec l’État et les acteurs du territoire qui pourrait mener à une révision des Plans de protection de l’atmosphère des communautés d’agglomération d’Aiacciu et de Bastia afin que, par la voie réglementaire, leur soit donné les moyens matériels humains et financiers d’être correctement appliqués. Par la même occasion, une réflexion serait à mener quant à la création d’un plan régional de protection de l’atmosphère qui revêt un caractère d’urgence vu les effets du dérèglement climatique et la multiplication de polluants de tous ordres ».


Particules fines provenant des bateaux de croisière



L’association U Levante met aussi en exergue que la pollution atmosphérique résulte beaucoup des rejets de fumée des navires de croisière. Elle le fait : en mentionnant les mesures effectuées en juin 2018, à Aiacciu et Bastia, par deux experts internationaux qui ont constaté « de très fortes valeurs de particules ultrafines sous le vent des panaches de fumée des bateaux » ; en citant des mesures réalisées, en octobre 2023 à Aiacciu, par le collectif Terra qui comprend une dizaine d’associations intervenant pour la préservation de l’environnement ou pour la protection de la santé des populations (U Levante, le Garde, Zeru Frazu, A Sentinella, la Ligue contre le Cancer…), mesures ayant révélé « des valeurs extrêmement élevées de particules ultrafines provenant de la fumée émise par bateaux de croisière, très supérieures aux valeurs de fond de zones urbaines ».


En Mer du nord et en Manche, ils ont dix ans d’avance



Il y a quelques semaines, à Aiacciu, lors d’une conférence de presse, le collectif Terra a d’ailleurs lui aussi relevé la lente réactivité des autorités face à la pollution atmosphérique et, plus particulièrement à la dégradation de la qualité de l’air causée par les fumées des navires de croisière. Après avoir souligné que, chez nous, chaque année, la pollution atmosphérique cause le décès prématuré d’environ 800 personnes, le docteur Sauveur Merlenghi (président du comité 2A de la Ligue contre le Cancer) a en effet dénoncé les données publiées par Qualitair Corse qui « ne correspondent en rien à la pollution atmosphérique que subissent les Corses et notamment les Ajacciens lors des passages des bateaux de croisières ». Muriel Secondy (Le Garde) a pour sa part mis en cause les normes moins contraignantes applicables chez nous : « En Mer du nord et en Manche, ils ont dix ans d’avance avec des normes plus draconiennes concernant notamment le taux de soufre utilisé dans le carburant, 0,1 % chez eux contre 3,5 %, chez nous en Méditerranée. On demande à l’État de rendre des comptes à ce sujet concernant nos ports. La Corse est toujours le parent pauvre en termes de qualité de l’air et de pollution ».


Mise en danger d’autrui en toute connaissance de cause



L’association U Levante affirme que la pollution atmosphérique dans le golfe d’Aiacciu « certaine » et « inadmissible » risque d’empirer du fait du développement de l’activité croisière : « Les bateaux de croisières polluants et l’installation de coffres d’amarrage pour des grands yachts, nouveaux venus - qui constituent une activité économique non essentielle pour la majorité des habitants qui en subit pourtant les nuisances - aggravent et aggraveront cette pollution atmosphérique ». L’association U Levante regrette par ailleurs la persistance de la lente réactivité des autorités : « Le retard pris dans les mesures d’application des lois, règlements, plans, est tellement important qu’il pénalise toujours le plus grand nombre des citoyens » et formule une énième fois sa demande d’une « application des lois et règlements à l’État et à la Collectivité Territoriale de Corse, par la mise en œuvre immédiate d’actions concrètes ». De son côté, le collectif Terra considère que l’existence d’une grave pollution atmosphérique causée par les bateaux de croisière qu’ont révélée les mesures qu’il a effectué en octobre dernier à Aiacciu, devraient sensibiliser l’État, Qualitair, la Chambre de Commerce et d’Industrie et la Collectivité de Corse, et suggère l’interrogation suivante : « Nous sommes dans le cadre de la mise en danger d’autrui en toute connaissance de cause. Comment peut-on sacrifier la santé et la vie de 100 000 habitants du bassin de vie ajaccien pour l’intérêt de la Chambre de Commerce et d’Industrie et de quelques commerçants ? »


Réel progrès en perspective



Tout ce qui a été précédemment mentionné conduit à souhaiter que seront respectées les dispositions validées, il y a deux ans, par l'Organisation maritime internationale (OMI). Celles-ci prévoient la création d'une zone de contrôle des émissions d'oxydes de soufre et de particules (zone SECA) couvrant l'ensemble de la mer Méditerranée. Ces dispositions devraient entrer en vigueur dans moins d’un an (le 1er mai 2025) et impliquer que tous les navires de commerce en Méditerranée utilisent un combustible dont la teneur en soufre ne dépassera pas 0,1 %. Ce qui pourrait générer une baisse de près de 80 % des émissions d'oxydes de soufre et de près de 25 % des émissions de particules ultrafines. Un réel progrès en perspective ! Mais en attendant, au nom de « l’intérêt économique », les populations restent soumise à l’enfumage provoqué par les navires de croisière pollueurs.



Alexandra Sereni




Le saviez-vous ?


● Décès prématurés. Santé Publique France (établissement public exerçant une fonction d'expertise et de conseil en matière de prévention, d'éducation pour la santé et de promotion de la santé) a annoncé qu’annuellement, entre 2016 et 2019, 40 000 personnes de plus de 30 ans sont décédées prématurément pour avoir respiré des PM 10 (particules fines de moins de dix microns), soit 7% de la mortalité annuelle.

● Normes inférieures aux préconisations de l’OMS. En avril dernier, le Parlement européen a adopté des dispositions visant à protéger la santé humaine des effets de plusieurs polluants atmosphériques (particules fines, dioxyde d’azote, dioxyde de soufre). Toutefois, les taux maximaux de certaines particules fines et d’oxyde d’azote devant entrer en vigueur à l’horizon 2030, resteront deux fois supérieurs à ceux recommandés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

● Mauvaise élève. La France a été condamnée à de multiples reprises par les magistrats européens pour la mauvaise qualité de l’air. Ces condamnations ont d’ailleurs toutes été validées par le Conseil d’État. Le 7 février dernier, la Commission européenne a annoncé avoir adressé une mise en demeure à la France pour non-exécution d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne rendu le 24 octobre 2019.

● Autant que 300 millions de véhicules ! En 2022, la flotte de MSC Croisières (troisième compagnie de croisière au niveau mondial, première au niveau européen) a elle seule émis autant de dioxydes de soufre que près de 300 millions de voitures.

● Autant que 10 000 vaches ! Près de la moitié des bateaux de croisière commandés aujourd'hui auront recours au GNL (gaz naturel liquéfié) contenant beaucoup de méthane. Un seul de ces navires émettra au moins autant de méthane que 10 000 vaches.

● Quelle empreinte ! 4 tonnes d’équivalent CO2 : c’est l’empreinte carbone d’une croisière pour deux personnes alors que les accords de Paris préconisent de la limiter à 2 tonnes par personne et par an.

● Toujours plus ! En 2023, dans le monde, environ 31,5 millions d’individus ont fait le choix de la croisière. D'ici 2028, la capacité d'accueil de la flotte mondiale des navires de croisière devrait augmenter de près de 20 %.

● Espoir. Le bateau de croisière du futur avancera sur l’eau grâce à des voiles solaire
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