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Déchets : le choix du réalisme

Une bonne chose de faite même si, dans le plan, tout n'est pas parfait.
Déchets : le choix du réalisme


L'Assemblée de Corse a finalement adopté le PTPGD avec les 48 voix de la majorité siméoniste et celle de la droite. Une bonne chose de faite même si, dans le plan, tout n’est pas parfait.


Le Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets (PTPGD) a enfin été présenté et voté. Cela s’est passé le 25 juillet dernier. Quel que soit le devenir de ce plan, il convient de rendre hommage à Guy Armanet, le président de l’Office de l’Environnement, qui a piloté l’élaboration, qui a assumé malgré les oppositions et les critiques, qui est parvenu à faire mettre au vote et adopter. Hommage, pour au moins cinq raisons. Premièrement, une lacune a été comblée. En effet, alors que la compétence de planification des déchets avait été confiée aux régions au titre de la loi NOTRe depuis 2015, la Corse était le seul territoire à ne pas être dotée d’un PTPGD. Deuxièmement, le PTPGD est le résultat d’un énorme travail d’animation et de coordination qui a duré plus de deux ans. Troisièmement, l’élaboration du PTPGD a donné lieu à une très large concertation. Des dizaines de réunions ayant été tenues avec les acteurs concernés et une enquête publique ayant suivi, il a été recueilli des centaines de propositions et d’observations dont beaucoup ont été prises en compte. Par ailleurs, les commissaires-enquêteurs ont assorti leur avis favorable de recommandations et préconisations auxquelles il a été donné suite (notamment créer un observatoire des déchets, affiner les études concernant la valorisation thermique). Quatrièmement, le PTPGD fixe un cap dans la durée (douze ans) et le fait concrètement à partir de 8 orientations, 30 objectifs et 100 actions qui permettront de répondre aux dispositions réglementaires, de prioriser la prévention, de s’adapter à l’évolution des comportements de consommation et à la réduction de la production de déchets, d’augmenter la quantité de déchets destinés au recyclage, d’améliorer le tri dans toutes ses étapes, de réduire le recours à l’enfouissement. Cinquièmement et enfin, et c’est d’ailleurs sans doute l’essentiel, le PTPGD est la représentation concrète d’un courage politique. En effet, il y est mis sur la touche des considérations idéologiques et des objectifs qui au fil du temps sont apparus manifestement irréalisables à court ou à moyen terme car exigeant des moyens humains et matériels toujours insuffisants et car demandant une modification radicale et inatteignable rapidement des comportements des résidents et des visiteurs. La réalité de cette mise sur la touche a d’ailleurs été confirmé par le président du Conseil exécutif. Gilles Simeoni a souligné : « Nous ne pouvons pas réfléchir comme si nous réfléchissions de façon théorique […] Le fait d’envoyer aujourd’hui un message politique, celui de l’adoption d’un document qui ne peut pas tout, est aussi une façon sans doute de déverrouiller un certain nombre de blocages qui persistent ».


Rupture avec une vision idéologique


En quoi a concrètement consisté le courage politique ? Guy Armanet a rompu avec la vision idéologique Zeru Frazu et tout Bon geste, évidemment vertueuse, civique et citoyenne mais éludant la réalité, qu’imposaient les associations écologistes à la classe politique depuis les années 1990. Rendons-lui justice, en 2018, François Sargentini, le prédécesseur de Guy Armanet à la présidence de l’Office de l’Environnement, avait lui aussi tenté de s’émanciper de cette vision idéologique. Mais il avait été lâché voire lynché pour avoir tenté de le faire. Certes, c’est avec précaution et retenue, et sans doute est-ce pertinent, que le PTPGD qui a été proposé puis voté ouvre la porte à l’émancipation (il est clairement écrit que la priorité reste l’effort de tri à la source). Toutefois, il apparaît aussi, et ce n’est pas rien, qu’est enfin reconnue la nécessité de mettre sur les rails la valorisation thermique et d’accepter le surtri (il est envisagé que cette valorisation se fasse à partir d’une centrale qui pourrait fonctionner au bois et / ou en brûlant des Déchets / Combustibles Solides de Récupération pour produire de l'électricité). Le courage politique d’avoir rompu avec un carcan idéologique permet donc d’espérer qu’un jour cessera la pratique qui, au nom d’un engagement écologiste étant devenu un vernis du fait d’obstacles difficilement franchissables ou contournables, fait que l’on enterre des déchets et pollue ainsi durablement des sites et leur aval, après avoir transportés à prix d’or ces déchets sur d’énormes camions répandant dans toute la Corse leurs fumées et leur empreinte carbone. Pour que l’hommage rendu au travail de Guy Armanet soit complet, il convient de saluer son courage d’avoir posé sur la table que la gestion publique n’est pas la panacée, et que la gestion privée n’est pas forcément appelée à être crapuleuse ou sous la coupe de crapules. Déléguer un service publi a des opérateurs privé n’est pas un crime. Piloter la gestion des déchets en confiant des missions au secteur privé n’est pas synonyme d’ouverture des portes à la maffia. Certes, cette dernière tentera de s’engouffrer ou est sans doute déjà un peu dans la place. Mais renoncer à une politique publique qui oriente, finance, veille à la mise en œuvre de structures performante et à la qualité du service selon le meilleur prix, mais qui aussi confie au secteur privé des missions, signifierait avouer ne plus croire ni au courage et à la probité des élus, ni à la volonté de l’État de combattre la pression maffieuse.


Des écologistes presque bien seuls


Il était inévitable qu’ayant osé, Guy Armanet soit la cible d’un tir de barrage écologiste. Quelques jours avant le vote, dans un courrier adressé aux conseillers de Corse et rendu public, Corsica Pulita (collectif composé de 17 associations de défense de l’environnement et des deux collectifs anti-mafia) a pilonné le rapport PTPGD proposé au vote par le président de l’Office de l’Environnement. Dans ce courrier, il était indiqué que le collectif : relève des contradictions, des insuffisances et des inconnue ; considère que les Corses, s’ils sont informés correctement, refusent le tri à minima et l’incinération de la majorité des déchets ; déplore que la validation de la filière Combustibles Solides de Récupération / Incinération soit actée sans études de faisabilité pour en mesurer l’impact environnemental ; constate que l’urgence n’a jamais d’organiser le tri à la source ; dénonce que le recours à un ou deux incinérateurs soit évoqué sans étude financière, ni étude d’implantation ; souligne qu’aucune solution étayée n’éclaire sur le recyclage de 35 000 tonnes / an de résidus toxiques et hautement toxiques produits par l’incinération ; craint que la gestion des déchets devienne entièrement dépendante d’intérêts privés et mafieux ; propose d’élaborer, sans attendre, avec la société civile et les élus des intercommunalités, un nouveau PTPGD basé sur la prévention, le tri et le compostage ; menace d’un contentieux juridique visant à faire annuler le PTPGD. Rien d’étonnant, le parti écologiste Ecologia Sulidaria a lui aussi canonné en affirmant : « Ce plan est à l’inverse des fondamentaux portés par les nationalistes depuis 2007 […] Le PTPGD revient de facto à mettre les déchets sous le tapis pour pouvoir poursuivre sans entrave le développement du tourisme et la consommation tous azimuts ». Le tir de barrage écologiste n’a cependant été que peu relayé au sein de l’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Seuls Core in Fronte et l’élue de Nazione sont quelque peu allés dans le même sens que Corsica Pulita et Ecologia Sulidaria. La majorité siméoniste a fait bloc pour soutenir Guy Armanet et le PTPGD. Les conseillers d’opposition n’ont certes pas décerné un prix d’excellence. Mais, sans doute soulagés d’entrevoir du pragmatisme et quelques solutions concrètes, la plupart d’entre eux ont préféré valider ou s’abstenir. Ce soulagement a été exprimé par une élue Un Soffiu Novu (droite) qui tout en regrettant des incohérences et des questions sans réponse, a convenu : « Ce plan marque un changement de cap vers plus de pragmatisme », ainsi que par Jean-Christophe Angelini qui a dit du PTPGD : « Il pose des constats auxquels il n’amène pas de solution. Même s’il était plus mauvais, nous le voterions parce que la Corse en a besoin pour des raisons de légalité, pour des raisons de conformité. Mais aussi parce qu’il faut à la Corse une fois pour toute un cadre […] On sort au moins d’un certain nombre de cheminements idéologiques et d’a priori pour rentrer dans le champ de l’objectivité et de l’analyse technique et scientifique indépendante ».


Pierre Corsi
Crédit Photo : Pexels et CDC
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