17e Nuits Med : les cinéastes de demain
C’est toujours avec un immense plaisir que l’on suit les compétitions de courts-métrages sélectionnés par Alix Ferraris, fondateur et directeur des Nuits Med.
17 è Nuits Med
Les cinéastes de demain
C’est toujours avec un immense plaisir que l’on suit les compétitions de courts-métrages sélectionnés par Alix Ferraris, fondateur et directeur des Nuits Med. Deux sections au programme : Premier film et Catégorie méditerranéenne. Bonheur de retrouver là les cinéastes de demain. Avantage des courts-métrages en lice ils sont variés par leur forme et leur fond. Cette année, cependant les images braquaient leurs lumières sur les jeunes, sur les garçons surtout…
La nécessité du pardon
De prime abord « Pardon » d’Anne-Sophie Soldaïni est un de ces petits films traitant de l’ordinaire de gens ordinaires, mais il faut aller au-delà de l’apparence… On est dans la salle d’attente d’un hôpital où un couple plutôt âgé et un jeune homme rongent leur frein. Ils espèrent. Ils angoissent. Le fils du couple a subi des dommages physiques lors d’une opération. Ses parents ont lancé un procès contre l’établissement hospitalier. La mère du jeune a été reversée par une voiture. On s’aperçoit assez vite qu’une question les taraude de part et d’autre. Pardonner est-ce possible ? C’est à cela que vont répondre les personnages. Le scénario est simple et sophistiqué, banal et philosophique. On croit ces gens du peuple, à leur souffrance, à leur déchirement, à ce qu’il leur faut de courage pour surmonter leurs épreuves. La réalisatrice s’en tire avec une économie de moyens, ce qui n’est pas un mince exploit. Les images allient humilité et efficacité. (Catégorie 1 er film, mention spéciale coup de cœur du jury.)
Mort et résurrection
« Cultes » de David Padilla nous propose une histoire singulière, qui montre combien une religion peut avoir une dimension extrême. Le sujet, en ces temps d’affrontements entre catholicisme et islam, est osé. L’action se situe dans les années 70 et se déroule dans une institution religieuse pour garçons. Le prêtre, qui est également enseignant, à l’habitude de projeter des films à ses élèves. Las, catastrophe : le directeur du cinéma qui travaille avec le pensionnat se trompe de bande annonce et envoie celle des « Morts vivants ». Colère des curés pour qui il n’y a que Jésus qui soit revenu d’où l’on ne revient pas ! Les religieux font un autodafé de la pellicule… Suit une scène époustouflante où un enfant, seul dans une église, voit le Christ en Croix devenir horrifique avec ses traumatismes corporels, avec son corps bleui d’hématomes, avec ses veines violettes et saillantes, avec son regard vide et ses yeux vitreux. David Padilla réussit à restituer le maelstrom qui bouleverse l’enfant, et l’usage de clairs-obscurs y est pour beaucoup. C’est saisissant. Ça interpelle. Très dérangeant ce film avec ses représentations mutantes de Christ en Croix à terroriser les âmes sensibles. « Cultes », le court-métrage le plus original et le plus percutant de cette 17 è édition des Nuits Med. (Mention spéciale du jury pour la meilleure cinématographie.)
La brutalité des forts
Ajaccio, une nuit ponctuée par les camions-poubelles de la CAPA. Touffeur de l’atmosphère. Clarté des lampadaires le long des rues. Couronne emblématique coiffant le carrefour le plus célèbre de la ville. On est dans le connu où l’on a ses repères. Ambiance nocturne en correspondance avec les personnages, avec leur ambiguïté et peut-être avec une sorte paradoxale d’indécision qui se dilue dans le flou. Une fille. Un garçon. Un père en butte à un sale individu dont est tombée amoureuse son enfant. Tout est en place pour le drame, même si le destin ne tire pas les ficelles d’une pièce, d’un scenario cousu de fils blancs. Côté mec un peu de voyoucratie. Côté nana un lac de mièvrerie, doublé d’un refus de la réalité vraie, celle qui ne se délaye pas dans les larmoiements mais se dilue dans un voile de tristesse. Le réalisateur, Toussait Martinetti va décrypter une mise à mort dans une société brutale d’où toute fragilité est bannie. « Les forts ne disent rien » est encore un film sur la paternité, sur sa responsabilité, sur comment sortir la tête hors de l’eau lorsqu’on se noie dans un marécage nauséabond et qu’on est incapable de redresser la barre. Bien sûr la bataille du père pour sauver sa file dans un tel contexte est perdue d’avance. Martinetti sait accrocher le spectateur par son humanité… désespérée. (Catégorie méditerranéenne, prix de la critique.)
L’amour interdit
Des jeunes. Une famille. La fête. Des taureaux lâchés dans les rues… à Perpignan, à Arles, en Avignon ? Une fille aux longs cheveux noirs. Un garçon. Ils s’aiment. Histoire simplissime. Sauf qu’il y a un hic, c’est là où l’intrigue se noue. L’amour entre eux n’est pas possible et leur entourage de leur faire entendre raison. Echanges de baisers d’autant plus passionnés qu’ils sont interdits. Séquences de danse ou de bagarres, « Boucan » de Salomé De Souza est troué d’éclaires de bonheur, de chamailleries, de temps sombres. Elles et lui doivent apprendre le désamour. La séparation. Le court-métrage est rythmé, parfois saccadé au point de trop miser sur les ellipses et sur les raccourcis. Il y a chez a réalisatrice un beau potentiel pour capter les émotions aussi fugaces qu’elles soient. (Catégorie méditerranéenne, prix de la presse).
Le fusil ou la trottinette
Avec « Un animal » on ne peut que constater que Kevin Lameta est en pleine forme. Certes, au début du film on est assez désarçonné : un récit de chasse au sanglier mettant un jeune aux prises de sa bande de chasseurs. Voilà qui n’est pas neuf ! On se dit : encore et encore ! Mais « Un animal » est bien plus complexe, bien plus profond que les histoires du même genre. Le court-métrage veut transcrire un moment d’initiation où un ado devient adulte en tuant son premier sanglier. Jean Baptiste vient d’avoir 18 ans, le temps de la confrérie des vrais hommes, le temps de jouer de la gâchette en forêt. Parents, famille le mettent en condition de devenir un excellent chasseur. Bah ! il préfère la trottinette et les évolutions aériennes de sa machine. A chacun son rêve. Le film est ponctué par la voix exceptionnelle de Jean pierre Lanfranchi avec ses lamenti bouleversants. Le film alterne images de bord de mer paisibles et de panoramas de montagnes traversés de vols élégants de rapaces. Peu à peu Jean Baptiste va se placer hors de son clan et de sa passion pour la chasse. Son refus de partager les mêmes attitudes, les mêmes rituels ne va pas sans mal. Kevin Lameta procède par petites touches pour révéler que Jean Baptiste rejette le parcours qu’on lui intime. Manière d’affirmer sa volonté d’être et de penser. Rude apprentissage. Mais la liberté n’a pas de prix. (Catégorie méditerranéenne, prix spécial du jury.)
Enfance et terrorisme
« Nya » d’Imène Ayadi nous emmène en Algérie, entre paysages ensoleillés et ravages des terroristes. Une fillette pleine de gaité a la vie chamboulée par des hommes qui fusillent des opposants. L’enfance confrontée à une violence sans limite. Ce pourrait être la joie mais c’est la tragédie à laquelle sont condamnées des enfants qui ne comprennent que trop ce qui arrive. Et la poudre des fusils de se mélanger à celle des feux d’artifices ! La fiction pour échapper au réel trop intolérable. La peur. La mort. Le jour qui ne parvient pas à émerger de la nuit. Et pourtant la soif de vivre de la petite fille… bien qu’il n’y ait aucune place pour la nuance dans cette situation, mais Nya a la force d’imposer une respiration dans un monde irrespirable. On ne peut qu’aimer les séquences heureuses du film qui clament que tout est encore possible, si la raison finit par l’emporter. (Catégorie méditerranéenne, Grand Prix du Cinéma Action de Paris.)
Quand tout est perdu, reste l’humour !
Les réalisations palestiniennes ont souvent – pas toujours –des doses salvatrices d’humour. « Palestine Island » est de celles-ci de Nour Ben Salem et Julien Menanteau. Un grand-père aveugle n’a plus qu’un souhait revoir la mer et son village d’origine, Jaffa. Sa petite-fille à l’imagination fertile va imaginer une solution en rupture avec le monde abrupt de son aïeul. C’est poétique et drôle. L’enfant réussit à abolir la cruauté de la réalité pour la rendre non seulement acceptable mais vivable à son grand-père. « Palestine Island » est une merveilleuse bouffée d’air frais. La scène, où le vieil homme met ses pieds dans l’eau, qui est en fait celle d’un parc aquatique, en croyant que c’est sa Méditerranée, est une merveille de délicatesse de comique tonique ! On se met à croire en des lendemains meilleurs annoncés par un sourire bienveillant, grâce à une caméra légère et intuitive. (Catégorie méditerranéenne, Grand Prix Nuits Med .)
Michèle Acquaviva-Pache