Napoléon et le mépris inconscient du Père
Napoléon a été envoyé à Brienne alors qu'il n'avait que neuf ans.
Napoléon et le mépris inconscient du Père
Napoléon a été envoyé à Brienne alors qu'il n'avait que neuf ans. On peut facilement imaginer l'état d'esprit d'un enfant qui n'a connu qu'Ajaccio, la chaleur de la famille et notamment de Laetitia sa mère. Il ne parle que mal le Français et doit affronter l'hostilité de ses camarades de scolarité. Il n'a en définitive que peu connu son père qui, dès la défaite paoline, a rejoint le camp des vainqueurs et s'épuise à obtenir des titres de noblesse en bonne et due forme. Quand il est en Corse, il est souvent en compagnie du gouverneur français Charles Louis de Marbeuf qui n'hésite à faire exécuter les derniers insurgés.
Une sublimation de la révolte et l'effacement du père
Napoléon comme la plupart de ses contemporains adopte une attitude révérencieuse envers son géniteur. Ce dernier meurt d'un cancer du foie le 24 février 1785 à Montpellier à l'âge de 38 ans. L'historien Michel Vergé-Franceschi en a dressé le portrait dans un ouvrage au titre éponyme décrivant un père instruit et proche de ses enfants. Il n'en reste pas moins que cette proximité restait bien rare dans le temps. Un mois avant la prise de la Bastille, le jeune Napoléon écrit à Pasquale Paoli qui vit à Londres depuis dix-neuf ans, l'âge du jeune officier. Et n'y va pas de main morte. « Je naquis quand la Patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. Les cris des mourants, les gémissements de l'opprimé, les larmes du désespoir environnèrent mon berceau dès ma naissance. Vous quittâtes notre île et, avec vous, disparut l'espérance du bonheur. L'esclavage fut le prix de notre soumission. Accablés sous la triple chaîne du soldat, du légiste et du percepteur d'impôt, nos compatriotes vivent méprisés. Les traîtres à la patrie, les âmes viles que corrompit l'amourd'un gain sordide ont pour se justifier, semé des calomnies contre le gouvernement national et contre votre personne en particulier. »
Les âmes viles
Napoléon parle « des âmes viles que corrompitl'amour d'un gain sordide », il fait évidemment référence aux notables qui ont rejoint la couronne française en espérant enfin obtenir les titres nobiliaires que Gênes leur avait obstinément refusés. Charles Bonaparte avait été un des très proches du père de la Patrie. Après la défaite de Ponte Novu, il avait écrit : « J'ai été bon patriote et paoliste dans l'âme tant qu'a duré le gouvernement national. Mais ce gouvernement n'est plus. Nous voilà Français. Evviva u rè è u so guvernu. » En 1775, il est reçu par Louis XV. Puis il y avait eu la relation o combien précieuse avec le gouverneur Marbeuf, franc-maçon comme Charles et membre de la même loge. Le Vénérable frère Marbeuf avait été fort généreux avec le frère Bonaparte. Assesseur de la juridiction royale d'Aiacciu, membre de la commission des Douze Nobles, il était aussi député de la noblesse chargé de représenter les États de Corse à Versailles en juillet 1777. L'année suivante, il est à nouveau reçu par Louis XV. On peut lire dans son journal intime à la date du 12 décembre 1778 : « Je suis parti pour la Cour de France, député noble des États de Corse, en emportant avec moi cent louis d'or. J'ai touché à Paris quatre mille francs de gratification du Roi, mille écus d'honoraires de la Nation et je suis entré sans un sou. » Grâce à Marbeuf Elisa, l'une des sœurs de Napoléon, entre au couvent de Saint-Cyr, le cousin germain Fesch au séminaire d'Aix, Aurèle Varese, cousin de Letizia, devient sous-diacre à Autun. et Napoléon, entre à Brienne.
« Je suis obligé par devoir de louer des hommes que je dois haïr par vertu. »
Napoléon n’a que mépris et aversion pour une société corrompue. C’est au sortir de la lecture de Jean-Jacques qu’en mai 1780, à Valence, il prend la vie en dégoût et souhaite de mourir. Pourquoi demeurer plus longtemps au milieu de ces hommes éloignés de la nature ? Il écrivait en 1786 en parlant de Buttafoco : « Je suis obligé par devoir de louer des hommes que je dois haïr par vertu. » Mais à travers Buttafocu, n'était-ce pas Charles Bonaparte qui était visé et le père idéal Paoli honoré lui qui écrira à Paoli en 1789 ; « Les traîtres à la Patrie, les âmes viles que corrompit l'amour d'un gain sordide, ont, pour se justifier, semé des calomnies contre le Gouvernement national et contre votre personne en particulier. Les écrivains, les adoptant comme des vérités, les transmettent à la postérité ? » « Je veux comparer votre administration avec l'administration actuelle... Je veux noircir du pinceau de l'infamie ceux qui ont trahi la cause commune... » Et il conclut : « Permettez-moi, général, de vous offrir les hommages de ma famille... Ma mère, Mme Letizia, m'a chargé de vous renouveler le souvenir des années écoulées à Corte. » Le père est oublié, effacé au profit de la mère qui incarne la terre natale.
GXC