Le retour de la Madone de Brando en Corse
Revient en Corse et sera "exposé au de la Corse musée " à Corte
Le retour de la Madone de Brando en Corse
A l’origine, le retable que nous connaissons comme La Madone de Brando s’appelait La Vierge en trône tenant l’enfant. Le personnage principal était entouré de quatre anges musiciens. Un retable est un panneau ou un ensemble de panneaux en marbre, pierre, stuc ou bois, généralement peint ou orné de motifs décoratifs, placé verticalement derrière l’autel dans les églises chrétiennes. Celui-ci est en bois et a été peint par Simone Da Firenze et Rocco di Bartolommeo, deux peintres florentins, vers 1500. Le voilà qui revient de Corse « après presque deux siècles d’exil » et sera « exposé au musée de la Corse » à Corte. C’est ce qu’a indiqué la Collectivité de Corse.
Une œuvre parfaitement documentée
La Madone de Brando est restée propriété de la même famille depuis sa découverte et son acquisition en 1839 par Albin Chalandon (1809-1885) dont la collection de Primitifs italiens, constituée au XIXe siècle, a fourni des chefs d’œuvres aux plus grands musées (Louvre, National Gallery, etc...). De plus, l’œuvre a bénéficié de recherches récentes qui ont abouties à sa réattribution aux artistes italiens Simone da Firenze et Rocco di Bartolommeo, apportant ainsi un témoignage nouveau sur les échanges artistiques entre la Corse et Gênes à cette époque. Ce retable n’avait retenu l’attention d’aucun critique d’art à l’exception de celle de Louis Demonts qui, en 1936, le jugeait de « l’École vénitienne vers 1500, intermédiaire entre Schiavone et Alvise Vivarini ». Cette attribution a été controversée par Giuliana Algeri et Anna De Floriani qui évoquent à nouveau cette œuvre en 1992 tout en ignorant où elle se trouve. Ce sont elles qui vont découvrir que ses auteurs sont Simone da Firenze et Rocco di Bartolomeo, quasiment inconnus, mais élèves de de Giovanni Mazone (1453-1510) peintre originaire d’Alessandria en Piémont, actif à Savone et à Gênes où sa famille était installée depuis longtemps. C’est Gian Luca Zanelli directeur de la Galerie nationale de Ligurie qui a retrouvé la mention des signataires de l’œuvre dans un ouvrage de Fedrigo Alizeri qui fait état d’un « Simone di Petriano » et d’un « Rocco di Bartolommeo, fiorentini » auxquels le gouverneur et le Conseil des Anciens de Gênes ont octroyé, entre 1504 et 1506, un sauf-conduit d’un an. Zanelli précisait alors que ces deux peintres sont effectivement les auteurs qui signent conjointement vers 1500 la Madone et l’Enfant en trône, dite ici « Madone de Brando » de la collection Chalandon.
D’inspiration génoise
Les auteurs de la Madone de Brando, bien que Florentins d’origine, ont sans doute été sensibles aux influences de la peinture vénitienne contemporaine notées supra, mais leur culture est beaucoup plus proche des pratiques des ateliers génois de la fin du XVe siècle, trahissant plutôt leur venue précoce en Ligurie. Ils appartenaient vraisemblablement à l’une de ces nombreuses « botteghe » génoises (ateliers) souvent dirigées par des étrangers, principalement des Lombards ou des Niçois. La présentation de la Vierge assise sur un trône architectural monumental, peint sur un panneau cerné d’un cadre somptueux en bois sculpté et doré reprenant la forme d’un triptyque, rappelle les pratiques des ateliers génois de la fin du XVe siècle dont le style oscille entre le gothique finissant et la Renaissance. Ces grandes compositions montrant la Madone et l’Enfant assis sur d’imposants trônes architecturés où prennent place des anges musiciens ou des « putti » semblent provenir des modèles lombards et seront diffusés au XVIe siècle à Naples et dans tout le sud de l’Italie, jusqu’en Espagne.
Une œuvre sauvée de la destruction
La peinture avait été acquise en 1839 par Albin Chalandon, grand collectionneur lyonnais de passage en Corse qui lui avait donné son titre de La Madone de Brando. Restée propriété de la descendance du collectionneur lyonnais jusqu’en 2023 quand est faite l’annonce de sa mise en vente par la maison de Baecque en 2023. C’est alors que sont intervenus conjointement la Collectivité de Corse et le ministère de la Culture qui affirmant qu’elle appartenait au domaine public. C’est sous la Révolution française, alors que couvent de Brando avait été pillé et laissé à que des fidèles avaient déplacé le retable dans l’église voisine. Quelques décennies plus tard, il avait été remarqué par Albin Chalandon qui l’avait acheté avec l’accord de l’évêque de Corse.
Un acquéreur féru en art primitif italien
Albin Chalandon (1809-1885), polytechnicien de formation, eut une carrière militaire en tant que capitaine dans l’armée du Génie. Fils d’Antoine Chalandon (1768-1832) adjoint au maire de Lyon et administrateur des hospices civils de Lyon, il était l’héritier d’une importante famille lyonnaise. Il collectionna notamment les primitifs italiens, se constituant une importante collection à Parcieux dans l’Ain où il décéda. Formée essentiellement de peintures et d’objets d’art de l’époque médiévale, la collection Chalandon a compté depuis la fin du XIXe siècle de nombreux chefs-d’œuvre, pour certains distillés petit à petit, avec parcimonie, sur le discret marché de l’art pour aboutir in fine aux cimaises des grands musées. On citera notamment parmi les œuvres les plus prestigieuses de la collection, « le Calvaire » de Jean de Beaumetz, Louvre, « les scènes de la vie de saint François de Sasseta », Londres National Gallery et « la Rencontre de saint François et saint Dominique », de Fra Angelico au musée de San Francisco. Albin Chalandon a découvert ce tableau en 1837 dans le village de Brando, situé à cinq ou six kilomètres au nord de Bastia et note : « Il appartenait jadis à la chapelle d’un couvent franciscain situé dans le voisinage. Il est probable qu’il avait été offert comme ex-voto par quelque négociant génois. J’en ai fait l’acquisition en 1839 avec l’autorisation de l’évêque d’Ajaccio. Une importante opération de consolidation a été exécutée pour ce tableau avec beaucoup de connaissance et de talent par M. E. C. Daussigny ».
Description du retable
Placé sur un carrelage à dessins géométriques peints en perspective, le trône accueillant la Vierge et l’Enfant détache sa haute structure architecturée sur le fond d’or estampé. Devant les niches ménagées sur les bras de ce trône, l’artiste a installé, de chaque côté, un petit ange musicien assis, celui de gauche jouant de la harpe, celui de droite frappant un tambourin. Au pied du trône, de part et d’autre du manteau de la vierge, placés sur le proéminent piédestal orné de grotesques, deux autres anges jouent du luth et du rebec. La Vierge, assise au centre de la composition, dirige son regard vers le spectateur. Un ample manteau bleu bordé d’un galon ornementé la recouvre presque totalement, s’ouvrant à peine pour dévoiler une somptueuse robe rouge et or, aux larges motifs de velours frappé. Sur son genou gauche, Elle tient l’Enfant totalement dénudé, qui enferme dans ses mains un chardonneret, symbole de la Passion, auquel il ne semble pas prêter attention, préférant dialoguer avec l’Ange placé à ses côtés. Les experts notent que cette œuvre qui date des premières années du XVIe siècle témoigne de la vivacité des échanges entre les centres de production vénitiens, lombards et ligures et les régions comme l’actuelle Corse, alors génoise, mais gérée par la puissante banque de l’Office de Saint Georges.
« Conditions de conservation optimales »
Pour empêcher la vente aux enchères par la maison De Baecque, la CDC a signé un « protocole transactionnel » conduisant les héritiers Chalandon à rendre ce tableau à la commune de Brando en échange de 350 000 euros, précise ce rapport approuvé à l’unanimité par l’Assemblée de Corse en février 2024. Sur cette somme, 280 000 euros ont été fournis à la commune de Brando par une subvention de la région et 70 000 euros par « les sommes recueillies par la Fondation du Patrimoine », précise le document de la CDC. C’est un retour aux sources pour cette Madone que les Corses pourront désormais admirer à Corte.
GXC