Musée de Bastia / Corsica Rumana
Exposition temporaire au Musée de Bastia
Musée de Bastia : Corsica Rumana
Le Musée de Bastia présente, Corsica Rumana, sa dernière exposition temporaire. Parcourir les salles réparties sur deux étages c’est l’assurance d’un dépaysement organisé en chemin de la connaissance. Première partie : l’histoire ou comment la Corse s’intègre au monde romain. Deuxième partie : la vie quotidienne des Corses romanisés.
En préambule l’exposition montre comment est né le questionnement archéologique depuis les érudits du XVIII è siècle, qui récoltaient les objets du passé au petit bonheur la chance à l’époque contemporaine où s’impose dans les fouilles une rigueur scientifique et la nécessité de faire preuve d’une précision du geste dans le traitement des pièces trouvées. Longtemps les trouvailles se sont produites de façon fortuite puis peu à peu les archéologues devenus professionnels et non plus des amateurs ont dû se soumettre aussi aux impératifs dictés par la loi et par une approche concomitante incluant le savoir de la science.
La première salle où trône un buste de Mérimée, inventeur de quelques richesses du passé insulaire, insiste sur les étapes qui ont transformé la quête souvent passionnée des objets d’hier en recherches méthodiques de témoins du passé. Par ailleurs on peut admirer un superbe sarcophage d’enfant en marbre, orné d’un beau décor équestre, découvert près de Bastelicaccia voisinant avec la toge universitaire parée de jaune jonquille de l’historien, Jérôme Carcopino, spécialiste de la Rome antique… comme si le temps était aboli de l’antiquité aux années 1940 !
Viennent ensuite les décennies où la Corse entre dans l’univers romain avec passages obligés par des bijoux autochtones de l’âge du Bronze, puis par des legs des Etrusques et des Carthaginois qui se fixèrent et y commercèrent en des moments plus ou moins longs. La conquête est l’œuvre de Lucius Cornelius Scipion en 259 avant JC. L’île devient une province romaine nommée Corsica-Sardingia. D’abord gérée par les militaires puis prise en main par l’administration de Rome. La romanisation va s’effectuer principalement par le biais des élites locales. Cette romanisation a donné lieu à des interprétations divergentes. Au XIX è siècle des intellectuels affirment qu’il n’y avait aucun lien entre autochtones et Romains, quand les irrédentistes soutiendront plus tard qu’il faut voir en elle l’enracinement historique des insulaires dans l’espace italien !
Très intéressante et souvent émouvante la seconde partie de l’exposition consacrée à la vie quotidienne des romanisés. Des dessins agrandis et historiquement fiables de Dominique Groebner servent de décor à des scènes de tous les jours telle cette vue du culte des lares et des pénates célébré dans les maisons par les chefs de familles. A regarder aussi attentivement cette reconstitution d’un triclinium (salle à manger) inspiré de fresques de Pompéi qui évoque l’importance des repas pour les Romains avec ses trois tables en « U » et ses guéridons pour recevoir les plats. La rubrique, L’art du paraître, donne une idée des coiffures des femmes assez sophistiquées, des soins du corps, des bijoux fréquemment découverts sur la commune de Lucciana. On rencontre également des échos bien documentés du culte impérial et de ceux dédiés à Cérès, Sol, Mercure ou Bacchus dont une belle statue rend perceptible les rites qui lui sont liés. Présents aussi les rituels destinés aux dieux importés d’Orient, tel ceux de Mithra. On se penche encore avec curiosité sur une maquette d’un navire à dolia (très vastes amphores) utilisés pour le commerce de denrées les plus diverses. Ne pas oublier non plus les séquences rappelant les colonies d’Aleria et de Mariana… et de bien d’autres trésors qui nous enseignent que la puissance du passé nous a enfanté…
Michèle Acquaviva-Pache
- · Crédits photos Musée de Bastia.
- · Cette très belle exposition donne envie d’en savoir plus sur la Corse et les Corses avant la conquête de Rome.
ENTRETIEN AVEC ALEXANDRA MORETTI DU MUSÉE DE BASTIA
Comment s’est passée la conquête de la Corse sans se référer à certaines légendes qui ont pu l’enjoliver ?
La première partie de l’exposition de Corsica Rumana montre l’inclusion de l’île dans le monde romain. Face à la volonté de puissance de Carthage Rome se devait de conquérir la Corse. C’était devenu un impératif car l’île représentait par sa position un enjeu géographique et géopolitique. La conquête devient une réalité alors que les Romains sont aux prises avec les Carthaginois durant la deuxième guerre punique. Corse et Sardaigne sont réunies, par Rome, pour former la deuxième province de l’espace romain.
Rome s’est-elle heurtée à une résistance des Corses ?
Difficile de l’affirmer par manque de sources antiques écrites. Notre exposition se veut d’abord et surtout archéologique !... On sait par contre qu’en ces temps les insulaires habitent à l’intérieur de l’île pour se protéger des pirates qui sévissent en Méditerranée. Englobée dans la sphère d’influence de Rome la Corse est un point d’ancrage dans le Mare Nostrum.
L’île présente-t-elle un intérêt économique pour Rome ?
Ce serait présomptueux de l’avancer. A cette époque la Corse est essentiellement un lieu de transit. Elle exporte peu. Elle n’est pas en tous cas le grenier à blé qu’on s’est plu à dépeindre. Ce qui est sûr c’est que la romanisation profite d’abord aux élites corses.
Quel est l’impact des colonies d’Aleria et de Mariana ?
Les colons sont généralement des vétérans de l’armée romaine à qui on donne des terres qu’ils vont mettre progressivement en valeur dans toute la plaine orientale. Ils développent l’ostréiculture, la pisciculture dans les étangs. Certes, c’était déjà des activités dont les Corses s’occupaient, mais les Romains les ont beaucoup élargies.
Quel est l’état de l’île au moment de la conquête ?
Les Corses ont tiré profit de l’implantation de comptoirs par les Phocéens (Aleria). Pareil avec la venue de Etrusques et des Carthaginois. Mais Phocéens, Etrusques, Carthaginois sont restés localisés sur le littoral alors que Rome a touché toute l’île ainsi que le montre une des cartes de notre exposition, et c’est là une grosse différence.
Pourquoi Rome fonde-t-elle Mariana ?
Pour contrebalancer l’influence d’Aleria.
Comment l’île est-elle gouvernée ?
A la gestion militaire des débuts suit une administration civile avec des administrateurs envoyés par Rome. Corsica Rumana expose d’ailleurs l’épitaphe du premier gouverneur de l’île : Lucius Vibrius Punicus.
La Corse a-t-elle été secouée par des révoltes serviles ?
Sous la république romaine il y a eu plusieurs vagues de révoltes d’esclaves. Ces révoltes ont dû se dérouler ici comme dans les immenses domaines agricoles de Sicile et de Campanie. On manque cependant de documentation en ce qui concerne la Corse.
Comment avez-vous préparé et monté Corsica Rumana ?
C’est le fruit d’un travail collectif qui a duré neuf mois. Ce projet très ambitieux a abouti à réunir près de 600 objets évoquant la romanisation de l’île. Nous avons établi un partenariat entre le musée de Bastia et celui de Mariana dirigé par Ophélie de Peretti, nous avons également sollicité Jeanne Belgodère, ces deux responsables sont archéologues de formation. Nous avons fait appel à des corps de métier pour mettre sur socles 200 pièces. Dominique Groeber a réalisé des dessins à vocation pédagogique et historique. Nous avons fait le choix d’une scénographie colorée pour rendre l’exposition plus accessible au plus grand nombre.
Avec qui avez-vous collaboré ?
Nous avons demandé à Ophélie de Peretti et à Jeanne Belgodère d’être les commissaires de l’exposition. Outre notre partenariat avec le musée de Mariana les musées de Corse, d’Aleria, de Levie, de Sartène nous ont prêté des pièces. Nous avons également quelques prêteurs privés qui nous ont aidé. Le Louvre, le musée de Marseille, et le cabinet des monnaies de cette ville, la DRASS (Département des recherches subaquatiques et sous-marines du service du ministère de la Culture) ont répondu favorablement à nos demandes. La Galerie des Offices de Florence nous a prêté un buste de Scipion (vainqueur de Carthage). En tout trente prêteurs institutionnels continentaux nous ont transmis des objets.
Qui avez-vous mobilisé au sein du Musée de Bastia ?
Sylvain Gregori, le conservateur ; Ariane Jurquet qui s’occupe de documentation et de conservation ; Philippe Peretti, maire adjoint au patrimoine de Bastia ; moi-même en charge des expositions temporaires et des publications. Nous avons aussi requis les compétences de spécialistes comme François Michel épigraphiste.
Quelle est la pièce la plus inédite présentée dans Corsica Rumana ?
Il s’agit d’une présentation d’objets de la nécropole de Pruniccia (commune de Lucciana) ainsi que de statues religieuses de notre musée qui n’avaient jamais été exposées.
Propos recueillis par M. A-P