Nationalisme : aggiornamento ou recomposition
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Nationalisme : aggiornamento ou recomposition ?
« Aggiornamento » signifie adaptation aux réalités du monde contemporain, mise à jour, perfectionnement. Rien qui évoque le chamboulement ou la rupture. Recomposition évoque restaurer ou reconstruire à partir de soi ou avec d’autres. Cela peut donc signifier aller jusqu’à un total renouvellement. A des degrés divers et pouvant être entremêlées (à vous de juger) , ces options se dessinent aujourd’hui au sein d’un nationalisme qui éprouve un besoin de changement pour faire face à la poussée du Rassemblement national et à l’impasse dans laquelle est plongé l’autonomisme du fait des défaites électorales du macronisme.
Femu a Corsica veut retrouver des convergences
Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis, figures de proue de Femu a Corsica, préconisent que le nationalisme adapte son message et sa démarche en identifiant et validant des convergences.
Après le premier tour des élections législatives (Corse Net Infos), le président du Conseil exécutif s’est prononcé pour que des leçons soient tirés : « Nous avons basculé dans un monde nouveau, il faut en tirer les conséquences […] Nous sommes dans une société qui a profondément évolué. C’est à nous aussi d’en tirer les conséquences et de réadapter nos discours et nos choix. » Il a souligné que la mouvance nationaliste devait être la matrice des adaptations : « Historiquement, notre vocation est de faire converger l’ensemble des nationalistes et aussi l’ensemble des forces de progrès pour pouvoir construire ce pays. On va continuer mais en intégrant ce qui s’est passé ». Après le deuxième tour, Marie-Antoinette Maupertuis, la présidente de l’Assemblée de Corse, est allée dans le même sens (Assemblée de Corse, 25 juillet dernier) en s’adressant à sa « famille politique : « Aux nationalistes, je dis que nous ne pouvons pas poursuivre sur le chemin de la discorde alors que la Corse vit au rythme d’autres enjeux, d’autres défis qui dépassent de loin le périmètre de nos discussions, de nos oppositions et de nos divergences. Sachons regarder ensemble la Corse telle qu’elle est aujourd’hui et retrouver des convergences à chaque fois que cela sera nécessaire au nom d’un intérêt supérieur, celui de la Nation corse, qui nous unit et qui ne doit pas être un idéal passéiste mais bien celui fondateur de l’avenir de notre peuple. Aux membres de la majorité, dont je suis, je dis qu’après 9 ans de pouvoir, s’il est normal d’attirer critiques et de fédérer les oppositions et si ces élections sont un avertissement, je sais aussi que nous avons les ressources, la volonté et l’ambition de comprendre, de rebondir et d’avancer ».
Le PNC préconise un dépassement du nationalisme
Président du groupe Avanzemu-PNC, Jean-Christophe Angelini considère que le nationalisme doit se dépasser, notamment en associant des non-nationalistes à l’élaboration d’un projet pour la Corse.
Après le deuxième tour des élections législatives, Jean-Christophe Angelini a exprimé une vision du changement dépassant un aggiornamento du nationalisme et prenant en compte l’ensemble des problématiques corses (Via Stella) : « J'entends ici et là parler d'aggiornamento du mouvement national. Je suis d'accord, mais il faut que ça aille au-delà. Si les nationalistes devaient commettre l'erreur fatale de se remettre dans une salle, à Corte ou ailleurs, pour discuter de leur avenir et dire “bon,était mieux quand on était unis, on se rassemble de nouveau”, ça ne réglerait rien. Qu'est-ce qui compte ? Les problèmes de la Corse ». Jean-Christophe Angelini a précisé que s’imposait une démarche inclusive et participative cassant les lignes pour élaborer un projet corse : « On paye le fait que durant dix années de pouvoir nationaliste, et j'inclus la période durant laquelle j'ai été partie prenante, nous n'avons pas eu de réalisation à la hauteur des attentes des Corses […] Donc, aujourd'hui, refaisons de la politique ! Déterminons un projet à 20 ou 30 ans et mettons autour de la table les compétences, les gens qui ont envie de travailler, les gens qui méritent d'être assis à cette table et redressons ce pays ». Jean-Christophe Angelini a confirmé sur RCFM : « Je ne crois pas qu'il soit bon que l'on s'enferme, y compris au sens propre, dans des discussions entre nationalistes […] il faut qu'on aille beaucoup plus loin et au-delà d'un aggiornamento de notre famille, je crois qu'il faut véritablement une recomposition totale de l'ensemble du champ politique, en incluant celles et ceux qui, sans être nationalistes, ont aussi contribué à nos victoires électorales ».
Core in Fronte veut un front patriotique qui transformera la société
Paul-Félix Benedetti et Corse in Fronte estiment que le nationalisme doit rester pluriel, s’unir au sein d’un front patriotique et se doter d’un projet collectif visant à changer la société.
Invité par Via Stella après le deuxième tour des élections législatives, Paul-Félix Benedetti a affirmé que l’aggiornamento du nationalisme souvent évoqué, doit passer par l’implication de toute la mouvance nationaliste : « Nous devons, collectivement, changer de politique. » Il a ainsi confirmé une option qui était exprimée dans un communiqué de son parti publié quelques jours auparavant : « Avant le premier tour, Core In Fronte avait fait un appel public à l'ensemble du Mouvement National pour aborder ces élections législatives de manière unitaire, afin que l'idée nationale corse reste la force motrice de l'émancipation du peuple corse […] Le Mouvement National, dans sa globalité, doit répondre à l’attente des Corses. Il doit être un moteur de changement et d’espoir ». Dans le même communiqué, Core in Fronte invitait le nationalisme à réaliser un changement de société à partir d’un projet national : « La victoire de 2015 était historique car elle concrétisait cinquante ans de poussée nationaliste […] En neuf ans, aucun résultat palpable n’a été observé par les Corses […] Les nationalistes au pouvoir ne sont pas là pour gérer le système, ils sont là pour transformer la société. Dans les semaines et mois à venir, il faudra créer des conditions nouvelles, pour un véritable projet de société et un programme politique cohérent en vue d’une vraie solution politique globale en Corse. »
Nazione ambitionne d’incarner l’alternative nationaliste
Petr'Antò Tomasi préconise un changement de stratégie et affirme que Nazione a vocation à devenir l’unique alternative nationaliste au colonialisme et à l’autonomisme.
Il y a quelques jours, à la tribune des Ghjurnate Internaziunale, Petr'Antò Tomasi, un de trois porte-paroles de Nazione, a affirmé que l’aggiornamento du nationalisme devra relever d’une nouvelle stratégie : « Il ne peut y avoir d’aggiornamento autre qu’une véritable refondation et un changement de stratégie de l’exécutif de Corse qui s’est soumis aux lignes rouges et au calendrier du ministère de l’intérieur » Le lendemain, il l’a redit (RCFM) : « Si c'est pour discuter de rafistolages institutionnels à l'Assemblée de Corse ; si c'est pour discuter de la perpétuation d'une stratégie qui a conduit à l'impasse, celle de l'acceptation des lignes rouges parisiennes, notamment à travers l'accord de Beauvau ; si c'est perpétuer une gestion de la collectivité, où les autonomistes cumulent les échecs patents sur quasiment toutes les politiques publiques ; cela ne servira à rien […] Aujourd'hui, il nous semble nécessaire d'avoir une stratégie nouvelle pour l'ensemble du mouvement national, qui est confronté à une impasse ». Dans la foulée, il a aussi redit que Nazione représente le noyau dur et le moteur du nationalisme : « Nazione a vocation à incarner l'alternative politique en étant au cœur du débat public, mais également en développant une stratégie de contre-pouvoir sur le terrain. Nous avons besoin de construire dès à présent une alternative en consolidant ces contre-pouvoirs sur les terrains économiques, sociaux, culturels, linguistiques et environnementaux pour faire changer les choses sans rien attendre d'un autre pays ».
Ghjuventu in lotta appelle à l’unité stratégique et à l’action de terrain
Les militants de l'Unione di a ghjuventù in lotta (Ghjuventù indipendentista, Ghjuventù libera, Ghjuventù in core, Ghjuventù paolina) veulent un renouvellement stratégique et initier des actions fortes sur terrain.
Les militants de l'Unione di a ghjuventù in lotta considèrent que la progression du Rassemblement National est rendue possible par les stratégies déficientes, la division et la démobilisation des partis nationalistes. Ils préconisent une réunification du nationalisme et une occupation du terrain à partir d’une stratégie de libération nationale prenant prioritairement en compte huit terrains de lutte : colonisation de peuplement ; corsisation des emplois et priorité aux corses pour le logement ; progrès social ; soutien aux victime de la répression ; coofficialité et enseignement de la langue corse ; développement de l’Università ; lutte contre la drogue ; soutien inconditionnel aux clandestins. « La jeunesse corse semble largement absente de la bataille pour la libération nationale. Nous avons ressenti le besoin de réagir » a précisé un des acteurs de la réunion ayant abouti à la création de Ghjuventu in lotta. Tout cela a été acté en ces termes dans un communiqué intitulé « L’avvene simu noi » : « Dès demain, l’unione qui est composée de Ghjuventù Libera, Ghjuventù in Core, Ghjuventù Indipendentista, Ghjuventù Paolina ainsi que de l’ensemble des militants se reconnaissant dans notre démarche, se verra œuvrer ensemble afin de mettre en place un calendrier d’actions fortes à mener sur le terrain. De cette manière, nous porterons un message fort à Paris et aux élus corses. Il est nécessaire de rétablir un vrai rapport de force, notre peuple en est capable. La lutte de masse a toujours accompagné la lutte institutionnelle, c’est à travers elle que les corses se sont toujours exprimés. »
Le FLNC veut contribuer aux évolutions du nationalisme
Le FLNC soutient et irrigue la ligne stratégique de Nazione qui affirme être la véritable alternative au colonialisme et à l’autonomisme et qui internationalise au plus haut niveau le combat nationaliste.
Avant les Ghjurnate Internaziunale d’août 2023, notamment en appelant au retour à une démarche stratégique rappelant la LLN (lutte délibération nationale) par la création d’une « plateforme de résistance patriotique» devant « transcender les partis politiques, les associations, les syndicats et tous les patriotes qui s'y retrouveront », le FLNC a initié la création de Nazione. En intervenant lors des Ghjurnate de cette année, il a affiché son soutien à la ligne politique, notamment à l’international, du parti indépendantiste et sa volonté de rester un acteur politique majeur du nationalisme. Petr'Antò Tomasi l’a relevé (RCFM): «Sur le fond, c'est une contribution constructive au débat politique. Si elle fait écho en grande partie aux orientations de Nazione, je crois que c'est quelque chose de naturel dans la mesure où il y a une convergence de fond. En terme d'objectifs politiques, il y a une solidarité de Nazione vis à vis du FLNC qui a été réitérée. Le FLNC, organisation politico-militaire, a la légitimité pour intervenir dans le débat ». Thierry Dominici, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux et fin connaisseur du nationalisme corse qui était présent aux Ghjurnate Internaziunale en tant que chercheur quand le FLNC s’est invité à la tribune, considère lui aussi que le FLNC veut se situer au cœur des débats politiques corses et plus particulièrement de ceux du nationalisme (Corse Net Infos) : « Dès 2014, il avait annoncé qu’il voulait continuer de jouer un rôle. À mon avis, l’idée que ses militants ont essayé de faire passer est que peut-être l’espace public n’est pas assez occupé et que de fait, en tant que citoyens corses, ils se doivent d’agir et d’amener un nouveau regard ».
Mossa Palatina préconise un nationalisme identitaire
Parti classé à l’extrême droite car s’inscrivant dans la mouvance identitaire, Mossa Palatina revendique une appartenance au nationalisme corse et y est considéré comme un intrus encombrant. D’autant plus qu’il assume vouloir faire bouger les choses.
Mossa Palatina se réclame du nationalisme corse contemporain. Il refuse cependant que le peuple corse soit identifié aux peuples ayant été ou étant encore colonisés ou opprimés et s’inscrive dans leurs combats. En effet, Mossa Palatina considère que tout cela relève d’une vision tiers-mondiste n’ayant rien à voir avec la réalité, notamment la situation politique, économique, sociale et culturelle des Corses. En effet, au roman national corse forgé par le Riacquistu, montrant des Corses opprimés et résistants, dans le camp des pauvres et des perdants, il oppose le roman de Corses se faisant respecter à Paris dont beaucoup ont été dans le camp de la victoire et de la gloire, des héros et des gagnants. Mossa Palatina déroule un message identitaire qui tranche avec les idées nationalistes dominantes de communauté de destin, de Corse fabriquant des Corses et de langue faisant peuple. Nicolas Battini, le leader du parti, s’en est expliqué il y a quelques mois (Vinti minuti, Via Stella) : « La communauté de destin peut apparaître comme un concept tout à fait pertinent dès lors que 95% de la réalité démographique de la Corse est une réalité autochtone, c'est-à-dire que la Corse est peuplée essentiellement par des Corses. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Des et dès lors que l’on est minoritaires, on n'intégrons plus, pire on tend à s'intégrer à ce que les dynamiques démographiques imposent ». Il convient d’ajouter que pour Mossa Palatina l’identité corse ne consiste pas uniquement en une adhésion au nationalisme, à l’histoire de la Corse et aux expressions intellectuelles, artistiques et linguistiques de la culture corse. Pour ce parti, l’identité corse relève aussi et surtout d’un vécu accepté des valeurs traditionnelles corses. .
A Manca veut le pouvoir au peuple et la transformation de la société
Le positionnement d’A Manca peut être ainsi résumé : être une alternative populaire reconnaissant le droit à l’autodétermination du peuple corse, fondée sur un socialisme autogestionnaire et écologiste, porteur de désaliénation pour les femmes, les LGBT et le monde du travail.
Le positionnement d’A Manca la situe entre le nationalisme et la gauche. Elle a néanmoins son mot à dire concernant l’aggiornamento ou la recomposition du nationalisme car, même si elle ne revendique pas être nationaliste, elle reconnaît le peuple corse et le droit de celui-ci à l’autodétermination. Elle a d’autant plus sa place dans le débat que, ne cachant pas son jeu, elle est tenue à l’écart par les partis de gauche hexagonaux même quand elle leur apporte ses suffrages. Ce que déplore un de ses responsables Serge Vandepoorte sur sa page Facebook : « Nous savons que notre positionnement en faveur du droit à autodétermination du peuple corse est la cause de cet ostracisme permanent de la part de plusieurs organisations dites de gauche. Fidèles à nos principes et à nos valeurs et engagements, nous ferons néanmoins voter pour les candidats du Fronte Populare. Rien ne nous fera dévier de cette prise de position ». Par ailleurs, encore sur le réseau social, Serge Vandepoorte critiques clairement la frilosité contre-productive des partis de gauche hexagonaux concernant la question corse, qui a encore été vérifiable lors des récentes élections législatives : « Le candidat titulaire du Fronte Populare dans la première circonscription de la Corse du Sud multiplie à l’envi des comportements et des déclarations qui flinguent la campagne C’est ainsi, qu’interrogé par la presse au sujet de l’évolution institutionnelle de la Corse, il n’a fait valoir que la seule position du PCF, laquelle est de fait hostile à ce processus. Il se positionne à rebours de la marche de l’histoire en ne voyant qu’une seule tête de Dunkerque à Bunifaziu. Nous qui par loyauté faisons la campagne sur le terrain, constatons que le profil de cette candidature repousse des électrices et des électeurs de gauche et écologistes qui nous le font savoir avec fermeté. »
Pierre Corsi