Gilles Simeoni peut-il rebondir ?
Dissolution et résultats des législatives ont tout cassé
Gilles Simeoni peut-il rebondir ?
Le président du Conseil exécutif ne dispose plus de la perspective prochaine d’une « autonomie qui rend heureux » pour galvaniser ses partisans, donner à espérer au peuple et pousser sous le tapis le bilan peu satisfaisant de dix années aux responsabilités dont trois portant la marque de son seul pouvoir.
En juin 2021, à l’issue du deuxième tour du scrutin territorial, les électeurs lui ayant donné une majorité absolue et homogène à l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni avait matière à exulter. Sa réélection à la présidence du Conseil exécutif serait une formalité. Durant six ans, les débats et les votes dans l’hémicycle relèveraient de simples exercices imposés. Il avait politiquement de la marge pour gérer les grandes problématiques de la Corse. Il allait pouvoir traiter le dossier Autonomie à sa manière et selon ses propres objectifs. Corsica Libera ayant été mis hors-jeu dès le premier tour, ses interlocuteurs parisiens, et plus particulièrement le Président de la République, ne pourraient plus lui reprocher de gouverner la Corse avec le parti indépendantiste et ne seraient plus indisposés par les interventions de Jean-Guy Talamoni depuis le perchoir de l’Assemblée de Corse. Core in Fronte, le Partitu di a Nazione Corsa, la Droite et même le FLNC n’étaient qu’en situation de jouer les utilités. Cerise sur le gâteau, pouvant compter sur un député européen, un sénateur et deux députés Femu a Corsica, Gilles Simeoni disposait de relais pour se faire entendre à Bruxelles et Paris. En mars 2022, aucun progrès notable n’avait été réalisé. La mandature virait au splendide isolement d’un pouvoir ne risquant pas d’être contrarié, au bal des courtisans inhérent à toute gouvernance marquée par la toute puissance d’un lider massimo, à l’immobilisme imposé par Paris concernant le dossier Autonomie et au choix d’un « Il faut que tout change pour que rien ne change » afin de ne pas froisser quelques acteurs économiques, la bien-pensance et les conservatismes quand l’agenda imposait de mettre sur la table les grandes problématiques. Un mécontentement se dessinait mais ne représentait pas encore une menace susceptible de faire s’interroger le tout puissant président du Conseil exécutif. Gilles Simeoni a alors bénéficié d’une opportunité inattendue. La révolte de la jeunesse corse à la suite de l’assassinat d’Yvan Colonna, a contraint le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour obtenir un apaisement durable, à annoncer que l’État était prêt à ouvrir des discussions sur l’autonomie. Emmanuel Macron n’a pu qu’aller dans le sens de son ministre. La question de l’évolution institutionnelle a ainsi été sortie de l’immobilisme. Les péripéties du processus de Beauvau ont fait passer au second plan qu’au sein de la société, le président du Conseil exécutif et ses partisans commençaient à déplaire.
Dissolution et résultat des législatives ont tout cassé
En mars dernier, bien que le processus de Beauvau ait été conclu par un texte dont le contenu n’ouvrait ni sur une autonomie de plein-droit et de plein exercice, ni sur une prise en compte des fameux fondamentaux du nationalisme, Gilles Simeoni n’était pas pour autant dans une situation délicate. Comme se profilaient une inscription de la spécificité corse dans la Constitution, des transferts de compétence conséquents, un pouvoir normatif et un volet fiscal et financier important, et comme il fallait encore passer plusieurs obstacles (Conseil d’État, Assemblée nationale, Sénat, Parlement, Conseil Constitutionnel), il pouvait répondre aux nationalistes qui faisaient les difficiles, qu’il avait beaucoup obtenu mais que rien n’était acquis. Devant l’ensemble de la population corse, il était en mesure de se présenter comme un décideur politique responsable et raisonnable ayant préféré le dialogue à l’affrontement, et d’affirmer qu’avec l’autonomie tout irait mieux pour tout le monde. Au début du printemps dernier, Gilles Simeoni était même dans une position des plus confortables. Le soutien de Laurent Marcangeli au texte devant être présenté à l’Assemblée Nationale avivait les divisions de la droite corse et augmentait les chances d’une issue favorable. Le report à l’automne de la mise à l’ordre du jour de l’examen du texte par l’Assemblée Nationale et le Sénat, offrait aux quatre députés corses et au sénateur Parigi le temps d’aller vers leurs pairs pour expliquer et convaincre qu’existait une réelle chance de sortir par le haut d’un problème corse datant d’un demi-siècle. Patatras, la dissolution de l’Assemblé nationale et le résultat des élections législatives ont tout cassé. Gilles Simeoni a perdu un député considéré comme étant son plus proche lieutenant et son principal bretteur et, comme le disait Jacques Chirac « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », il est clair que le vainqueur de Jean-Félix Acquaviva n’est guère favorable à une grande avancée institutionnelle. Les tensions opposant les différentes familles politiques ainsi que la perspective d’une longue crise politique (« La France est un bateau ivre » a pertinemment affirmé le député Michel Castellani) rendent quasiment impossible l’obtention de majorités favorables à l’obtention par la Corse d’une évolution institutionnelle.
Écouter, oser, trancher, prioriser
En quelques semaines, pour le président du Conseil exécutif, l’horizon s’est plus qu’assombri. Gilles Simeoni ne dispose plus de la perspective prochaine d’une « autonomie qui rend heureux » pour galvaniser ses partisans, donner à espérer au peuple et pousser sous le tapis le bilan peu satisfaisant de dix années aux responsabilités dont trois portant la marque de son seul pouvoir. Peut-il rebondir ? Incontestablement, il lui reste quelques atouts. Sa popularité et surtout celle de ses partisans sont certes érodées mais, sauf par ses ennemis de toujours, par certains nationalistes auxquels il fait de l’ombre ou qui lui reprochent d’avoir bradé la lutte et par des aigris qu’il a oublié de servir ou pas assez servi lors de la distribution de prébendes, il n’est pas encore détesté. Comme il dispose d’une majorité à l’Assemblée de Corse, ni la droite, ni les opposants nationalistes ne sont en mesure d’entraver son action. Enfin, l’agenda électoral lui est favorable car 2028, année du prochain scrutin territorial, c’est encore loin et laisse du temps pour agir sereinement. Le roi n’est donc pas nu. Mais pour rebondir, l’électorat le lui a signifié lors du récent scrutin législatif, il va devoir changer au moins quatre choses. D’abord la gouvernance : il est demandé de la proximité et de l’écoute à la Collectivité de Corse, moins d’arrogance et de suffisance à certains responsables ou élus de Femu a Corsica. Ensuite la cadence : il est exigé que procrastiner soit enfin proscrit. Bien sûr le cap : des besoins urgents sont ressortis ou sont évidents et des réponses ou des prises de position claires, quitte à ne pas plaire à tout le monde, sont attendues concernant une longue liste de problématiques (la liste qui suit n’est pas exhaustive) : les dépenses de fonctionnement et l’endettement de la Collectivité de Corse, le traitement des Déchets (une première réponse a récemment été apportée, reste à la rendre concrète), le réseau routier du rural, la difficulté pour les corses de se loger, la politique de l'eau, le prix des transports (plus particulièrement dans le maritime), le prix des carburants, la constitution de monopoles qui mettent en coupe réglée l’économie et les consommateurs, l’intrusion du banditisme dans les affaires publiques, le tourisme de masse, les nouveaux arrivants… Enfin, l’ordre des priorités : il est apparu que pour la population, l’aggiornamento du nationalisme et l’autonomie ne relèvent pas de l’urgence absolue. Le président du Conseil exécutif peut donc rebondir. Mais il lui faudra écouter, oser, trancher, prioriser.
Pierre Corsi
Le président du Conseil exécutif ne dispose plus de la perspective prochaine d’une « autonomie qui rend heureux » pour galvaniser ses partisans, donner à espérer au peuple et pousser sous le tapis le bilan peu satisfaisant de dix années aux responsabilités dont trois portant la marque de son seul pouvoir.
En juin 2021, à l’issue du deuxième tour du scrutin territorial, les électeurs lui ayant donné une majorité absolue et homogène à l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni avait matière à exulter. Sa réélection à la présidence du Conseil exécutif serait une formalité. Durant six ans, les débats et les votes dans l’hémicycle relèveraient de simples exercices imposés. Il avait politiquement de la marge pour gérer les grandes problématiques de la Corse. Il allait pouvoir traiter le dossier Autonomie à sa manière et selon ses propres objectifs. Corsica Libera ayant été mis hors-jeu dès le premier tour, ses interlocuteurs parisiens, et plus particulièrement le Président de la République, ne pourraient plus lui reprocher de gouverner la Corse avec le parti indépendantiste et ne seraient plus indisposés par les interventions de Jean-Guy Talamoni depuis le perchoir de l’Assemblée de Corse. Core in Fronte, le Partitu di a Nazione Corsa, la Droite et même le FLNC n’étaient qu’en situation de jouer les utilités. Cerise sur le gâteau, pouvant compter sur un député européen, un sénateur et deux députés Femu a Corsica, Gilles Simeoni disposait de relais pour se faire entendre à Bruxelles et Paris. En mars 2022, aucun progrès notable n’avait été réalisé. La mandature virait au splendide isolement d’un pouvoir ne risquant pas d’être contrarié, au bal des courtisans inhérent à toute gouvernance marquée par la toute puissance d’un lider massimo, à l’immobilisme imposé par Paris concernant le dossier Autonomie et au choix d’un « Il faut que tout change pour que rien ne change » afin de ne pas froisser quelques acteurs économiques, la bien-pensance et les conservatismes quand l’agenda imposait de mettre sur la table les grandes problématiques. Un mécontentement se dessinait mais ne représentait pas encore une menace susceptible de faire s’interroger le tout puissant président du Conseil exécutif. Gilles Simeoni a alors bénéficié d’une opportunité inattendue. La révolte de la jeunesse corse à la suite de l’assassinat d’Yvan Colonna, a contraint le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour obtenir un apaisement durable, à annoncer que l’État était prêt à ouvrir des discussions sur l’autonomie. Emmanuel Macron n’a pu qu’aller dans le sens de son ministre. La question de l’évolution institutionnelle a ainsi été sortie de l’immobilisme. Les péripéties du processus de Beauvau ont fait passer au second plan qu’au sein de la société, le président du Conseil exécutif et ses partisans commençaient à déplaire.
Dissolution et résultat des législatives ont tout cassé
En mars dernier, bien que le processus de Beauvau ait été conclu par un texte dont le contenu n’ouvrait ni sur une autonomie de plein-droit et de plein exercice, ni sur une prise en compte des fameux fondamentaux du nationalisme, Gilles Simeoni n’était pas pour autant dans une situation délicate. Comme se profilaient une inscription de la spécificité corse dans la Constitution, des transferts de compétence conséquents, un pouvoir normatif et un volet fiscal et financier important, et comme il fallait encore passer plusieurs obstacles (Conseil d’État, Assemblée nationale, Sénat, Parlement, Conseil Constitutionnel), il pouvait répondre aux nationalistes qui faisaient les difficiles, qu’il avait beaucoup obtenu mais que rien n’était acquis. Devant l’ensemble de la population corse, il était en mesure de se présenter comme un décideur politique responsable et raisonnable ayant préféré le dialogue à l’affrontement, et d’affirmer qu’avec l’autonomie tout irait mieux pour tout le monde. Au début du printemps dernier, Gilles Simeoni était même dans une position des plus confortables. Le soutien de Laurent Marcangeli au texte devant être présenté à l’Assemblée Nationale avivait les divisions de la droite corse et augmentait les chances d’une issue favorable. Le report à l’automne de la mise à l’ordre du jour de l’examen du texte par l’Assemblée Nationale et le Sénat, offrait aux quatre députés corses et au sénateur Parigi le temps d’aller vers leurs pairs pour expliquer et convaincre qu’existait une réelle chance de sortir par le haut d’un problème corse datant d’un demi-siècle. Patatras, la dissolution de l’Assemblé nationale et le résultat des élections législatives ont tout cassé. Gilles Simeoni a perdu un député considéré comme étant son plus proche lieutenant et son principal bretteur et, comme le disait Jacques Chirac « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », il est clair que le vainqueur de Jean-Félix Acquaviva n’est guère favorable à une grande avancée institutionnelle. Les tensions opposant les différentes familles politiques ainsi que la perspective d’une longue crise politique (« La France est un bateau ivre » a pertinemment affirmé le député Michel Castellani) rendent quasiment impossible l’obtention de majorités favorables à l’obtention par la Corse d’une évolution institutionnelle.
Écouter, oser, trancher, prioriser
En quelques semaines, pour le président du Conseil exécutif, l’horizon s’est plus qu’assombri. Gilles Simeoni ne dispose plus de la perspective prochaine d’une « autonomie qui rend heureux » pour galvaniser ses partisans, donner à espérer au peuple et pousser sous le tapis le bilan peu satisfaisant de dix années aux responsabilités dont trois portant la marque de son seul pouvoir. Peut-il rebondir ? Incontestablement, il lui reste quelques atouts. Sa popularité et surtout celle de ses partisans sont certes érodées mais, sauf par ses ennemis de toujours, par certains nationalistes auxquels il fait de l’ombre ou qui lui reprochent d’avoir bradé la lutte et par des aigris qu’il a oublié de servir ou pas assez servi lors de la distribution de prébendes, il n’est pas encore détesté. Comme il dispose d’une majorité à l’Assemblée de Corse, ni la droite, ni les opposants nationalistes ne sont en mesure d’entraver son action. Enfin, l’agenda électoral lui est favorable car 2028, année du prochain scrutin territorial, c’est encore loin et laisse du temps pour agir sereinement. Le roi n’est donc pas nu. Mais pour rebondir, l’électorat le lui a signifié lors du récent scrutin législatif, il va devoir changer au moins quatre choses. D’abord la gouvernance : il est demandé de la proximité et de l’écoute à la Collectivité de Corse, moins d’arrogance et de suffisance à certains responsables ou élus de Femu a Corsica. Ensuite la cadence : il est exigé que procrastiner soit enfin proscrit. Bien sûr le cap : des besoins urgents sont ressortis ou sont évidents et des réponses ou des prises de position claires, quitte à ne pas plaire à tout le monde, sont attendues concernant une longue liste de problématiques (la liste qui suit n’est pas exhaustive) : les dépenses de fonctionnement et l’endettement de la Collectivité de Corse, le traitement des Déchets (une première réponse a récemment été apportée, reste à la rendre concrète), le réseau routier du rural, la difficulté pour les corses de se loger, la politique de l'eau, le prix des transports (plus particulièrement dans le maritime), le prix des carburants, la constitution de monopoles qui mettent en coupe réglée l’économie et les consommateurs, l’intrusion du banditisme dans les affaires publiques, le tourisme de masse, les nouveaux arrivants… Enfin, l’ordre des priorités : il est apparu que pour la population, l’aggiornamento du nationalisme et l’autonomie ne relèvent pas de l’urgence absolue. Le président du Conseil exécutif peut donc rebondir. Mais il lui faudra écouter, oser, trancher, prioriser.
Pierre Corsi