Vins de Corse : des chiffres et des êtres
Les vins de Corse, tout comme la terre qui porte et nourrit leurs cépages, tout comme le peuple qui les produit et les boit, vivent une histoire longue qui a souvent été tourmentée.
Vins de Corse: des chiffres et des êtres
Les vins de Corse, tout comme la terre qui porte et nourrit leurs cépages, tout comme le peuple qui les produit et les boit, vivent une histoire longue qui a souvent été tourmentée.
Les quelques pages de ce dossier ne sauraient livrer une vision exhaustive de l’univers du vin corse. Même un livre ou une thèse ne suffiraient pas à détailler l’histoire, la philosophie, la mythologie, le sacré, la culture populaire, la convivialité, la joie partagée, l’environnement naturel, les terroirs, la climatologie, les sols, les cépages, l’engagement humain, l’éthique, le rêve, les savoir-faire traditionnels, la transmission, les technologies et les techniques modernes, la culture qualité, les compétences managériales, les exigences gestionnaires, la communication, le marketing, le design, les rêves, les tourments, les réussites et sans doute bien d’autres choses qui font le vin corse. La seule ambition de ce dossier, en cette période de vacances propice au loisir de la découverte, est de donner à chacune et chacun d’entre vous, chères lectrices, chers lecteurs, l’envie d’en savoir plus et d’ainsi aimer le vin corse non seulement pour des notoriétés, des renommées, des appellations, des goûts, des arômes, des robes, mais aussi pour tout ce qu’il a été, est et représente.
Des Phocéens au Second Empire
Les indices les plus anciens de la production de vin corse datent des années qui ont suivi l’an 565 avant Jésus-Christ. Pourquoi cette datation ? Elle s’impose car, cette année là, les Phocéens, peuple d’une cité grecque, qui ont fondé plusieurs cités en Méditerranée occidentale dont Massalia (Marseille), établissent un comptoir commercial nommé Alalia (Aleria) sur la côte orientale. Elle s’impose aussi car des artefacts, dont on devine l’usage ou interprète aisément la riche iconographie, témoignent de la culture de la vigne et de la production de vin dans les territoires mis en valeur par les habitants de cette cité nouvelle. Les Étrusques et surtout les Romains vont développer cette culture et cette production. Durant la Pax Romana, la viniculture corse va en effet bénéficier du savoir agronomique romain et de la consommation grandissante de vin au sein de l’ensemble de la société romaine. Le vignoble corse va ensuite connaître des hauts et des bas, au rythme des événements heureux ou malheureux que vivront les Corses au fil des siècles. Au Ve siècle, avec le déclin puis la chute de l'Empire romain d’Occident, l'exportation de vin se raréfie. A partir du XIe siècle, la Corse est administrée par la République de Pise. Les Pisans et l’Église incitent alors à la relance de la production et de l’exportation de vin. Ce renouveau dure jusqu’en 1285, date à laquelle la République de Gênes évince Pise de la Méditerranée et de Corse. La domination puis la présence génoises vont cependant donner lieu à une incitation à la production agricole et à un renforcement des échanges commerciaux avec l’Italie. Ce qui va profiter à la viniculture.
Au XVe siècle, dans le Cap Corse, en Castagniccia (notamment sur les coteaux bordant la Plaine orientale) et plus encore dans le Nebbiu, elle est florissante. Même durant les périodes troublées qui jalonnent la domination génoise, la viniculture reste une activité agricole importante car le vin accompagne les moments conviviaux et festifs et aussi les célébrations religieuses car, en Corse comme partout au sein de la Chrétienté, il représente le sang du Christ à l’occasion du sacrement de l'Eucharistie. Après la conquête de la Corse par la France en 1769, donc durant la seconde moitié du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe, la viniculture va particulièrement prospérer. Durant cette période, la production de vin double et profite notamment d’exportations vers l’Hexagone grâce à l'arrivée du chemin de fer à Sète (plus grand port pinardier du monde au XIXe siècle et jusqu'à la moitié du XXe).
De l’arrivée du phylloxéra à celles des rapatriés d’Afrique du Nord
Au XIXe siècle, le vignoble corse occupe 30 000 hectares, soit plus de trois fois la surface actuelle (8 000 hectares). Hélas, le vignoble corse est frappé par le phylloxera (insecte venu de l'Est des USA ayant dévasté le vignoble européen à partir de 1864). 85 % de la vigne corse est ravagé. Une fois la crise du phylloxera passée, la saignée de la Première guerre mondiale puis l’exode rural, empêchent la reconstitution du vignoble. En 1950, il ne couvre plus que 5 000 hectares. L’essentiel de la production est destinée à une consommation villageoise, souvent familiale. Au début des années 1960, intervient un imprévu : l’arrivée et l’installation de viticulteurs rapatriés d’Afrique du Nord. Ces derniers, à partir de cépages allogènes et usant de techniques viticoles et œnologiques productivistes, produisent en grande quantité du vin répondant à la demande de consommateurs peu exigeant.
En 1971, la superficie du nouveau vignoble 30 000 hectares et la production vinicole 1 500 000 hectolitres. Cependant, depuis une vingtaine d’années, quelques vignerons corses font le choix de la qualité, de l’authenticité et de l’identité, en développant une production à partir de cépages locaux et traditionnels ayant survécu aux ravages du phylloxéra et à l’abandon des vignes ancestrales. Ils sauvent le vignoble corse et jettent les bases de son renouveau.
En 1942, les vignerons de « Patrimonio » déposent une première demande de reconnaissance d’appellation d'origine contrôlée. Durant les années 1960, ayant pris la suite de son père qui a créé un domaine à proximité de Pruprià en recourant à des cépages traditionnels et renouant avec des savoir-faire ancestraux, Antoine Abbatucci, alors président de la Chambre d’Agriculture de la Corse, décide de créer un conservatoire des cépages endémiques corses. Le 13 mars 1968, l'Institut National des Appellations d'Origine Contrôlée (INAO) reconnaît l'Appellation d’Origine Contrôlé Patrimonio. Le même jour, un décret accepte l’appellation d’origine VDQS Sartène (vin délimité de qualité supérieure). Un appui aux démarches qualité, identité et authenticité est apporté, à partir de 1959, par le Domaine de Vassal, centre de recherche sur la vigne abritant une collection ampélographique et relevant de l’antenne Montpellier de l'Institut National de Recherche Agronomique. Des cépages autochtones corses sont intégrés à la collection du domaine.
Tous les efforts de renouveau du vignoble corse vont être compromis par le scandale de la chaptalisation. Pour aider les viticulteurs en difficulté, le Parlement avait, en 1926, adopté une loi autorisant la chaptalisation sur l'ensemble du territoire français. Puis, progressivement, les dispositions de cette loi avaient été abrogées concernant le sud de la Loire. Mais la Corse avait échappé à cette évolution. Certains viticulteurs rapatriés d’Afrique du Nord vont sauter sur l’occasion. Ils vont produire, par simple ajout de sucre, du vin titrant 12 à 13 degrés à partir de cépages allogènes donnant des moûts titrant de 7 à 10 degrés.
En 1971, l’abrogation devient applicable en Corse. Mais du sucre et des moûts concentrés sont introduits frauduleusement. Le 26 février 1974, le scandale éclate et, dans les médias, des commentateurs affirment qu’en Corse « On sait fabriquer du vin sans raisin » en usant de produits chimiques, de sucre et d'eau. Le scandale entache durement l’image du vin corse et cela va durer plusieurs années. L’essentiel du préjudice affecte les vignerons produisant de l’AOC et du VDQS. Cependant, en 1976, les efforts des vignerons corses sont récompensés. Cette année là, est reconnue l’Appellation d'origine contrôlée Vin de Corse qui deviendra l’actuelle Appellation d’origine protégée, et à laquelle seront adjointes huit dénominations géographiques (c’était déjà fait pour Patrimonio) : « Calvi », « Coteaux du Cap-Corse », « Figari », « Porto-Vecchio », « Sartène », « Ajaccio », « Muscat du Cap Corse ».
Le renouveau
Au fil des années, alors que les remous du scandale de la chaptalisation vont cesser et que la viticulture productiviste va connaître l’arrachage, le renouveau du vin corse va s’affirmer. Niellucciu, Vermentinu, Sciaccarellu, Barbarossa, Muscat petits grains sont les premiers cépages autochtones intégrés à des degrés divers les appellations créées. Pas moins d’une trentaine de cépages peuvent ajouter à la typicité des vins produits en caves particulières ou en coopératives. En 2008, l’appellation « Vin de Corse » couvre 2760 hectares pour une production de 110 000 hectolitres, ainsi que 59 caves particulières et 6 caves coopératives. En 2022, la Corse compte (838 hectares de vignes en production. En 2023, une consécration parmi d’autres. Au Concours général agricole du Salon international de l’agriculture de Paris, le vin corse a obtenu 48 médailles dont 21 en or. Selon Joseph Colombani, président de la Chambre d’agriculture de la Haute-Corse : « Cela traduit une certaine recherche de la qualité et de l’excellence […]Ce n’est pas un hasard, on est passés d’n système productiviste à un système basé sur la qualité ».
Des chiffres, des chiffres
293 / Le nombre de producteurs : particuliers (133), caves coopératives (4), apporteurs (160).
1% / Le vin corse représente 1 % de la production française. (17 % rouges, 67 % rosés, 16 % blancs secs ou liquoreux). Commercialisation : France continentale (45 %), Corse (35 %), International (20%).
180 / Nombre d’hectares de vigne plantés durant la période 2019-2020 (création de domaines, augmentation de surfaces).
30 à 50 / C’est l’ordre de grandeur, en hectares, de la superficie des grands domaines.
407 000 / Nombre d’hectolitres produits en 2023 (+13 % par rapport à 2022) dont 120 287 hl AOP et 222 103 IGP
9 / C’est le nombre d’AOP. Ils ont respectivement produits en 2023 : Corse (76 747 hl), Patrimonio (13 783 hl), Sartène (9600 hl) ; Calvi (7995 hl), Ajaccio (8212 hl) ; Figari (5265 hl), Porto Vecchio (2623 hl), Côtaux du Cap Corse (882 hl) ; Muscat du Cap Corse (557 hl)
1 sur 3 / C’est la proportion de femmes parmi les vignerons.
Principaux cépages
● Niellucciu / Origines principalement Patrimonio et localement Balagne, Côte orientale, Cap Corse et Porto-Vecchio. Aussi dénommé Agnellucciu(a), Negretta, Niellone, Niella, Nielluccia.
● Sciaccarellu / Origines principalement Ajaccio et Sartène et localement Porto-Vecchio, Figari, Balagne et Côte orientale. Aussi dénommé Muntanaccia et Sciucchittaghjolu.
● Vermentinu / Origines toute la Corse. Aussi dénommé Barmintinu, Barbintina, Cermentinu, Vermentile, Vermentini, Uvavermentina, Varmintina, Malvasia, Garbessu.
● Muscat petits grains / Origines toute la Corse. Aussi dénommé Muscadella, Moscatella.
● Barbarossa / Origines Ajaccio, Sartène, Figari et Corte. Aussi dénommé Barbirossa, Barbirossu.
Classification
La classification des vins comporte trois grandes catégories : Appellation d’Origine Protégée (AOP), Indication Géographique Protégée (IGP) et Vins Sans Indication Géographique (VSIG). Pour AOP, c'est la notion de terroir qui fonde le concept (zone géographique particulière où une production tire son originalité directement des spécificités de son aire de production, d’un savoir-faire collectif dont découle l'originalité et la typicité du produit). IGP est un signe de qualité qui couvre la totalité des surfaces de l’île. Cela désigne des vins produits soit en mono-cépage, soit en bi-cépage, soit encore en assemblage. Certains producteurs choisissent cette dénomination pour élaborer des cuvées « plus personnelles » avec des cépages autochtones qui ne figurent pas encore dans les cahiers des charges des AOP, ce sont souvent des cuvées, dites « haut de gamme ». Les VSIG représentent l’ensemble des vins non-classés en AOP ou IGP. Un vin classé en VSIG n’est pas moins qualitatif qu’un vin en AOP ou IGP.
Bio bio, bio...
La viticulture corse fait une place de plus en plus importante aux modes de culture biologique ou biodynamique. Plus de 80 domaines (pour une surface de 1 455 ha, soit 26 % des surfaces) sont certifiés AB ou en conversion vers l’agriculture biologique
Des sols qui accentuent l’identité des vins
L'île se divise alors en quatre grandes régions géologiques. La Corse Granitique (Ouest) occupe les deux tiers de l'île et s'étend sur toute la haute montagne. Sa richesse en silice, alumine, potasse et parfois en calcium apporte aux vins une grande finesse mêlée à des arômes intenses et floraux. La Corse Alpine (Nord, Est) ne dépasse pas les 1700 mètres. Elle est riche en carbonate de calcium. Elle donne naissance à des vins ronds et charnus aux notes minérales, florales et fruitées. La Corse ancienne de l’Ouest, espace granitoïde, couvre les 2/3 de l’île. Ses sols riches en silice, alumine, potasse et parfois calcium donnent des vins de grande distinction, des couleurs légères, du brillant, des arômes intenses et souvent au vieillissement un bouquet de « pierre à fusil ». La Côte Orientale est constituée de piedmonts, de collines et de petits plateaux composés de dépôts tertiaires et d’alluvions. Les sols argileux garantissent au vin de la douceur et de l’harmonie.
La promotion
En 1997, a été créé le Conseil Interprofessionnel des Vins de Corse (CIVCorse), interlocuteur de l’ensemble de la filière Vin. Le CIVCorse assure à l’échelle nationale et à l’international, une communication de promotion du vignoble corse et de conquête de marchés à partir de la marque ombrelle « Vins de Corse ». Le CIVCorse est présent dans les grands salons internationaux, tels que Vinisud à Montpellier, Vinexpo à Bordeaux, London Wine Trade Fair à Londres, WINEPARIS et Prowein à Düsseldorf.
www.vinsdecorse.com