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Riscontra cù un'indiatura : Patricia Curcio (CGT)

Un quart de siècle au service des salariés

Riscontra cù un’indiatura
Patricia Curcio (CGT) : un quart de siècle au service des salariés


« Je ne peux regretter mon parcours, ni mon investissement. La satisfaction d’avoir pu aider des gens n’a pas de prix. Je recommencerais si j’avais une nouvelle vie »


Patricia Curcio est membre de la Direction de l’Union Départementale CGT de Corse du Sud. Elle a vu le jour à Aiacciu. Sa famille est originaire de Mesoraca, une petite ville de Calabre. Ses parents se sont établis à Aiacciu au début des années 1950. La mère s’est consacrée à l’éducation des six enfants du foyer. Le père a exercé les métiers de forestier puis de maçon. Après sa scolarité, Patricia Curcio a été salariée dans un commerce ajaccien d’ameublement. Elle a par la suite intégré les services de la Direction Départementale Corse du Sud de La Poste. C’est au sein de cette structure qu’a débuté son engagement syndical. Patricia Curcio a aussi fait quelques incursions, à gauche, dans l’action politique, notamment en tant qu’adjointe communiste au maire d’Aiacciu Simon Renucci ; en tant que candidate Front de Gauche lors d’une cantonale à Aiacciu ; en tant que chef de file d’une liste pluraliste de gauche et citoyenne (Ajaccio, citoyens) lors des dernières élections municipales. Elle ne cache pas son appartenance à La France Insoumise (LFI). Cependant, précise-t-elle, l’essentiel de son engagement quotidien d’une durée de plus d’un quart de siècle, a toujours été et restera une action syndicale exempte de toute ingérence d’un parti politique.


JDC / Quel a été votre parcours avant d’entrer de plain-pied dans l’action syndicale. Depuis quand et en quelles circonstances a débuté votre engagement au sein de la CGT ? Pourquoi avoir opté pour la CGT ?


Patricia Curcio / J’ai adhéré en 1996 quand j’ai été recrutée à la Direction Départementale Corse du Sud de La Poste. Dès 1997, j’ai pris la tête de la section syndicale. Avant, j’étais dans le privé où peu de gens étaient syndiqués. Mais j’étais déjà « formatée » pour le combat syndical car j’avais posé mes conditions auprès de mon employeur et car mes parents étant communistes, la lutte sociale était ancrée dans nos chairs. Par ailleurs, étant syndicaliste CGT à La Poste, mon frère m’avait fait venir sur des conflits et assister à des réunions syndicales bien avant que j’entre à La Poste. C’est donc très naturellement que j’ai choisi la CGT. Une circonstance particulière m’a fait toucher du doigt et vraiment comprendre ce qu’étaient les rapports de classe. Durant les grandes grèves de 1989 pour l’obtention de la prime de vie chère, je travaillais dans un magasin de meuble haut de gamme. Dans ce magasin, les épouses des différents préfets venaient pour choisir les nouveaux meubles de l’appartement de fonction. Or, alors que tous les secteurs étaient impactés par le conflit et que beaucoup ne percevaient pas de salaire, l’une de ces femmes rouspétait parce que la livraison du tapis sur mesure fait à l’étranger qu’elle avait commandé, était bloqué à cause de la grève. J’ai pris conscience de toute la mesure de l’écart entre ces personnes et les salariés. J’ai d’ailleurs fait remarquer à l’intéressée que des gens ne mangeaient pas à leur faim et qu’un tapis n’était pas une chose essentielle dans la vie.


Quel a été l’essentiel de votre parcours au sein de la CGT ?

Patricia Curcio / J’ai été secrétaire de la section syndicale à la Direction Départementale de la Poste puis membre de la commission exécutive du syndicat, l’organe décisionnaire. Quand j’ai été mutée au centre financier de la Banque Postale, j’ai rejoint le bureau de la section syndicale. J’ai été présidente du Conseil de Prud’hommes d’Ajaccio. Enfin, ayant pu bénéficier d’une formation juridique, entre autres à la Faculté de Droit de l’Université de Strasbourg, j’ai intégré, en charge du pôle juridique, la Direction de l’Union Départementale de Corse du Sud.


 L’image de la CGT est encore celle d’une organisation trop politisée, qui privilégie le conflit, qui trop souvent refuse de signer les protocoles d’accord. Comment l’expliquez-vous ? CGT et compromis sont-ils incompatibles ?

Patricia Curcio / L’image d’une CGT politisée, plus précisément proche d’un parti (le Parti Communiste Français, NDLR), est encore souvent évoquée par les médias, du moins par certains d’entre eux. Cette image ne reflète en rien la réalité. Ainsi, notre secrétaire générale, Sophie Binet, qui a des valeurs de gauche bien sûr sinon elle ne serait pas à la CGT, n’a jamais appartenu au « parti historique ». Ainsi, chez nous, en Corse du Sud, notre organisation syndicale comprend des sensibilités différentes. Concernant les protocoles d’accord, ce qui est trop souvent mis en avant, ce sont les protocoles non signés par la CGT. Or la CGT signe énormément d’accords dans les entreprises, 135 660 accords ont été signés par la CGT entre 2022 et 2024. C’est quand même conséquent. Cependant, si nécessaire, c’est-à-dire si les discussions sont bloquées par les employeurs, nous allons au conflit afin de parvenir à un accord car nous ne ferons jamais un compromis avec le patronat qui nuirait aux salariés, qu’ils soient syndiqués à la CGT ou non. Nous avons toujours été un syndicat de lutte, c’est notre ADN. Prenons par exemple un récent conflit. La société qui assurait la sécurité incendie et secours aux personnes sur l’aéroport d’Ajaccio avait perdu le marché de cette prestation et la société l’ayant emporté ne voulait pas reprendre les salariés. Après huit jours de conflit avec occupation symbolique jour et nuit dans des tentes, les salariés ont finalement été repris dans de bonnes conditions.


 La situation des salariés de l’île, notamment ceux du secteur privé, est souvent décrite comme étant particulièrement difficile. Quels sont, selon vous, les principaux problèmes auxquels ils sont confrontés ? Quelles revendications vous semblent-elles, à ce jour, les plus urgentes à satisfaire ?

Patricia Curcio / Les salariés du privé sont effectivement confrontés à de nombreux problèmes. On peut notamment citer le manque de formation, des horaires élastiques qui ne favorisent pas la vie de famille et le droit au repos, des jours de repos aléatoires et jamais le même jour, des heures supplémentaires non payées, des salaires qui ne dépassent pas le SMIC, ce problème étant d’ailleurs aussi à déplorer dans certains services publics. Aujourd’hui, la priorité doit être donnée à l’augmentation des salaires car ce que demandent les salariés, c’est plus de pouvoir d’achat afin de pouvoir vivre décemment. La CGT demande depuis plusieurs années un SMIC à 2000 euros. Nous avons d’ailleurs appelé à des actions sur ce thème. Nous attendons donc du prochain gouvernement qu’il mette le curseur à 2000 euros net.


 Chez nous, tout comme de l’autre côté de l’eau, les services publics, notamment l’éducation et la santé, sont sur la sellette. Les uns les jugent inefficients et trop coûteux, les autres estiment qu’ils sont débordés et manquent de moyens. Quelles évolutions vous semblent nécessaire ? Dans certains cas, ne serait-il pas plus pertinent de davantage privatiser ?

Patricia Curcio / Chaque fois que l’État a privatisé, cela s’est soldé par des dérives financières, des reculs sociaux, des pertes d’emplois, de savoirs et de compétences. Seul un financement adéquat pour les services publics pourra permettre de maintenir des salaires décents pour tous les salariés, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels. La privatisation de la santé génère des dérives dans l’utilisation des fonds publics et désavantage les salariés car les traitements de la fonction publique hospitalière sont plus décents que dans le secteur privé. Lors de la pandémie Covid, les personnels publics et privés ont été présents pour l’intérêt général et au service des malades pendant que des employeurs du privé ont brassé des millions d’euros qui n’ont profité ni aux salariés, ni à l’offre de soins. Nous savons bien que l’État veut arriver à une santé privée comme dans certains pays. Et que se passe-t-il dans ces pays, la réponse est connue : beaucoup de gens ne se soignent pas parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de le faire. Nous devons revenir à un système de santé disposant des moyens financiers nécessaires pour servir l’intérêt général, c’est à dire chacune et chacun d’entre nous. Concernant l’éducation, il faut plus d’enseignants aussi bien dans les petites sections que dans les collèges et lycées. Il en va de l’avenir de nos enfants. Pas tout le monde a les moyens - comme madame Oudera Castera, qui a été ministre éclair de l’Éducation - de mettre ses enfants dans le privé qui, soit dit en passant, dispose de financements publics, ce qui proprement scandaleux.


 Le processus qui devait conduire à une autonomie de la Corse est à l’arrêt mais reste sur la table. A ce jour, le volet social a été peu évoqué. Si le processus reprend, quelles seraient vos lignes rouges ? Et, à y bien réfléchir, l’autonomie ne serait-elle pas une opportunité de progrès social à partir d’une approche plus fine des réalités corses ?

Patricia Curcio / A ce jour, les organisations syndicales n’ont pas été franchement sollicitées pour un travail en concertation avec les services de la Collectivité de Corse. La CGT de Corse du Sud n’est toutefois pas fermée à la discussion concernant une autonomie si les salariés peuvent bénéficier d’avancées sociales. Dès l’annonce de la mise en place d’un processus d’autonomie, concernant le volet social, la CGT de Corse du Sud a d’ailleurs mis en place une commission ad’hoc de huit personnes venant de secteurs professionnels différents. Cette commission a pour mission de travailler à un document de propositions. Mais, pour nous, il est hors de question d’envisager un SMIC corse. Faisant courir le risque d’un minima à la baisse, cela ne servirait pas l’intérêt des salariés. Il n’est pas question non plus d’aller vers une sécu corse comme cela existe dans certaines îles. Cela serait une catastrophe sociale pour tout le monde, les salariés, les inactifs et les retraités car, aujourd’hui, les dépenses de santé en Corse sont très nettement supérieures aux rentrées des cotisations URSSAF devant les financer. Si le processus reprend, nous ferons des propositions à partir du document de la commission ad’hoc. Celles-ci devront bien entendu être validées en commission exécutive car, contrairement à ce que pensent certains, aucune décision n’est prise sans la validation de la commission exécutive. Ce qui est très démocratique.


La CGT en Corse n’échappe pas au phénomène de désyndicalisation qui affecte les grandes confédérations. Quelles sont, selon vous, les causes de cette situation ? Pensez-vous possible d’inverser la tendance et comment ? Chez nous, la CGT ne devrait-elle pas jouer la carte corsisation des enjeux et des revendications qui, depuis quatre décennies, fait le bonheur du STC ?

Patricia Curcio / La CGT comme toutes les organisations syndicales est affectée par un désengagement des salariés. C’est regrettable car, dans les entreprises où sont implantées des syndicats, les représentants du personnel obtiennent des avancées significatives concernant les salaires, les conditions de travail, la formation, et cetera. Les causes de ce désengagement sont multiples. La perte de certains secteurs d’activité, comme les mines et de grands bassins métallurgiques, a fait que des syndicats ont disparu. La société qui a évolué durant les cinquante dernières années, a modifié le mode de fonctionnement des salariés dans les entreprises, le patronat peut miser sur l’individualisme. Ce qui ne permet pas de faire avancer les négociations, ne serait-ce que les négociations annuelles obligatoires. Dans les entreprises locales alliant un Comité Social et Économique avec des élus du personnel d’une organisation syndicale , il y a des avancées. Par contre, dans les grosses entreprises où l’employeur a mis en place des élus de Comité Social Économique au deuxième tour des élections, en règle générale avec des proches, cela ne se passe pas bien et les salariés ne bénéficient que très rarement d’œuvres sociales. Localement, après une période stagnation, la CGT recréé des bases syndicales. Vous parlez de la carte de la corsisation des emplois, je vous rappelle que la CGT a toujours prôné le « Vivre et travailler au pays » et cela bien avant la corsisation des emplois qu’a lancée le STC lors de sa création. D’ailleurs nous avions manifesté ensemble en 2023 sur ce sujet, avec chacun notre façon de l’exprimer.


 Après toutes vos années d’engagement, quel conflit gardez vous plus particulièrement en mémoire?

Patricia Curcio / Des conflits, il y en a beaucoup, plus ou moins importants. Celui qui peut-être m’a le plus particulièrement marquée, est celui de 1999 à La Poste. Trois mois et demi de grève. Trois mois et demi d’occupation de la Direction Régionale concernant les restructurations et les créations de tournées de distribution sur la Corse du Sud et des postes supplémentaires dans les bureaux de poste. Seule la CGT était en grève. A l’issue du conflit, nous avons pu obtenir la création de plus de cent emplois sur la Corse du Sud alors que la Poste envisageait d’en supprimer.


 Pour vous, essentiellement, le patron est-il un adversaire de classe ou un interlocuteur, les autres organisations syndicales sont-elles des concurrentes ou des partenaires ?

Patricia Curcio / Un patron sera toujours un adversaire Je le constate au quotidien dans les permanences juridiques que j’effectue au syndicat. Des salariés travaillant dans des conditions très précaires, des conditions de sécurité exécrables, des salariés non déclarés, des salariés non payés de leur salaire, ni de leurs heures supplémentaires, et cetera, et cetera, cela ne fait pas des patrons des interlocuteurs. Il y a toutefois des employeurs qui sont corrects, qui heureusement respectent le droit du travail et la qualité des relations humaines, mais ils ne sont pas majoritaires. D’ailleurs leurs salariés ne viennent pas voir un syndicat. Concernant les autres organisations syndicales, des intersyndicales se sont créées quand il s’agissait de défendre l’intérêt des salariés. Nous avons bien sûr des divergences de fond mais cela n’empêche pas d’avoir des relations cordiales.


Pour conclure, que diriez-vous et conseilleriez vous à qui veut s’engager aujourd’hui dans le syndicalisme et y consacrer, comme vous le faites, l’essentiel de son existence ? Et, au fond, au vu de la désyndicalisation et de l’individualisme ambiant, ne regrettez-vous pas un peu d’avoir beaucoup sinon trop donné ?

Patricia Curcio / Je dirais à celles et ceux qui veulent s’engager - aujourd’hui d’ailleurs il y a beaucoup plus de jeunes femmes qui s’engagent, du moins à la CGT - de venir voir comment fonctionne un syndicat, car souvent ils ne savent pas. Il y a beaucoup de secteurs dans lesquels ils peuvent s’investir et pas que le conflit comme le pensent beaucoup. Il y a notamment aussi l’international, la communication, le juridique et bien d’autres secteurs qui peuvent permettre d’évoluer et d’acquérir des compétences même sans avoir de diplômes car la CGT dispose d’un centre de formation en région parisienne, dans la vallée de Chevreuse, qui permet d’acquérir les bases du syndicalisme et de se perfectionner. Et après, c’est l’école de de la vie et des luttes qui vient en complément. Je dis souvent aux jeunes qui arrivent « Investissez vous dans vos entreprises ». Le syndicat est là pour leur permettre d’évoluer et les soutenir. Je ne peux regretter mon parcours, ni mon investissement, cela m’a permis de m’enrichir, à titre personnel, d’un savoir que je n’aurais pas eu autrement. Même si cela m’a coûté dans ma vie personnelle, je ne regrette rien et même si certaines fois, on veut baisser les bras, il y a toujours quelque chose qui vous rebooste. La satisfaction de voir que j’ai pu aider des gens, n’a pas de prix et je recommencerais si j’avais une nouvelle vie.


Propos recueillis par Jean-Pierre Bustori
Crédit photo CGT
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