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Frédéric Benetti, "Le modèle économique proposé est devenu vieillissant, voire obsolète"

Frédéric Benetti, président du Tribunal de Commerce d’Ajaccio et de la Corse-du-Sud

Frédéric Benetti, président du Tribunal de Commerce d’Ajaccio et de la Corse-du-Sud



« Le modèle économique proposé est devenu vieillissant, voire obsolète »



Au terme de deux mandatures -la deuxième s’achèvera fin décembre- Frédéric Benetti, actuel président du Tribunal de Commerce 2A, passera le relais. Pour autant, il doit faire face, à quelques mois de cette échéance, à une situation économique qui semble préoccupante. Il en analyse les causes avec une certaine inquiétude.



Comment se présente la rentrée de septembre au Tribunal de Commerce d’Ajaccio et de la Corse-du-Sud ?

Le ton de mes prochains propos concernant cette rentrée de septembre peut se résumer en un mot : l’inquiétude.
La situation économique et sociale est plus que préoccupante, ce qui occasionnera, très certainement dans les semaines à venir, une activité judiciaire très dense dans ce dernier quadrimestre 2024. Jusqu’alors et selon les dernières statistique judiciaires, l’activité était stable avec 189 demandes d’ouverture de procédures collectives contre 195 l’an dernier à la même période. Cependant, les assignations en cette rentrée continuent de progresser.


Vous évoquiez l’an dernier à pareille époque, une relance progressive de l’économie. Pourquoi s’est-elle estompée ?


En ma qualité de Président du Tribunal de Commerce d’Ajaccio et de la Corse-du-Sud et en tant que premier observateur économique de Corse, je ressentais le début d’une croissance relative. Lente mais progressive, la saison touristique avait été satisfaisante et beaucoup de voyants étaient au vert. Ce qui présageait une reprise, mais nous vivons une époque fluctuante où nous pouvons passer du blanc au noir en un clin d’œil et cette reprise timide a débouché d’abord sur un arrêt, puis un net recul.
Aujourd’hui, les acteurs économiques nationaux comme régionaux sont confrontés, de nouveau, à une période trouble où l’instabilité politique est de mise.Je rappelle, au passage, que nous avons vécu sans gouvernement décideur durant près de trois mois. On ressent, de manière générale, une certaine inertie des pouvoirs publics, tant nationaux que régionaux.


On parle d’une crise mondiale, de quelle façon va-t-elle impacter la Corse ?


Le monde tel que nous le concevions en 2019 n’existe plus. Il a subi une profonde mutation, tant économique que sociale. Et sans ressasser les diverses crises passées dont les effets persistent et se multiplient aujourd’hui sur le territoire européen, nous sommes, d’une certaine manière, face à un dérèglement économique général. La Corse, elle, n’est pas épargnée par cet état de fait. Plusieurs facteurs entrent en jeu comme la baisse de la consommation, la réduction du pouvoir d’achat, la hausse des prix des matières premières, de l’énergie, des transports et l’inflation.
A cela, s’ajoutent plusieurs particularités propres à la Corse, notamment son insularité qui pèse près de 15 % sur les bilans sociaux des entreprises. Et enfin, une saison touristique noire.


Justement, les indicateurs semblent, selon nombre d’acteurs économiques, au rouge dans ce domaine.

Il faudra attendre les chiffres de l’INSEE fin octobre pour tirer une conclusion fidèle de la saison et la confronter aux saisons passées. Cependant, il ne faut pas se voiler la face et, outre mon poste de Président du Tribunal de Commerce, je suis aussi un consommateur qui voit et entend. L’analyse fine des causes n’est pas de mon ressort, cependant il est évident de constater que le modèle économique proposé est devenu vieillissant, voire obsolète.


Est-ce à dire que la Corse n’est plus attractive ?


La Corse a toujours pu compter sur sa beauté, sa diversité géographique, sa nature et son soleil pour en faire sa promotion. Aujourd’hui force est de constater que cela ne suffit pas, il est sans doute temps de progresser et d’en améliorer les attributs attractifs, qui sont nombreux. Le modèle économique actuel a vécu, il faudrait en changer...


Pourquoi ne parvient ton pas à étaler la saisonnalité ?

La question est bien difficile. Elle est au cœur du débat politique depuis de nombreuses années. Pour autant, les avancées dans ce domaine sont mineures, voire insignifiantes. Il semble que l’histoire de l’attractivité de la Corse se limite, aujourd’hui, au soleil et ses paysages alors qu’elle peut offrir plus. Il faudrait, pour cela, se concentrer autant sur les infrastructures que sur sa promotion.
« Le tribunal de Commerce est faussement considéré comme l’antichambre de l’échec alors qu’il est, au contraire, un levier important au service des entreprises »


Quel chiffre au niveau des éventuelles sanctions ?

La sanction, bien que le mot soit fort, est un outil destiné à sauvegarder le tissu économique. Cependant, il est de plus en plus utilisé. À ce jour, 35 demandes sont en cours de traitement et je pense, malheureusement, que cela ne s’arrêtera pas là.


Pourquoi n’a-t-on pu anticiper au niveau judiciaire ?


Le « on » me gêne un peu car l’anticipation est une clé personnelle du chef d’entreprise. C’est à lui de prendre la décision d’actionner les leviers nécessaires au sauvetage de son nentreprise afin d’éviter le pire.
Le tribunal peut, dans le cadre de la détection, inviter le chef d’entreprise à un rendez-vous confidentiel qui a pour objectif de lui faire prendre conscience que l’état de sa société se dégrade. Très souvent, l’aspect psychologique de la démarche convainc le chef d’entreprise à l’inertie.
Le tribunal de Commerce est faussement considéré comme l’antichambre de l’échec alors qu’il est, au contraire, un levier important au service des entreprises. Je souhaiterais en profiter pour annoncer que nous avons mis en place une association intitulée « Apesa Corse-du-Sud », susceptible d’aider les chefs d’entreprise à surmonter psychologiquement les périodes de stress intense provoquées par les procédures judiciaires. Cette association sera active début novembre.


Quels sont les secteurs les plus touchés ?


Bien évidemment, et au risque de me répéter, le tourisme est durement impacté, tant pour ses acteurs directs qu’indirects. Le bâtiment est au ralenti, mais nous pouvons affirmer, d’une manière générale, que cette récession touche tous les secteurs de l’activité économique.
Nous aurons, à cet effet, les chiffres précis d’ici quelques temps mais la situation semble très délicate.


En clair, vous tirez une sonnette d’alarme ?

Je suis en fin de mandature et depuis 2017, mon axe maje
ur a été l’anticipation et la prévention. J’ai toujours, plus ou moins, tiré la sonnette d’alarme en argumentant que le Tribunal de Commerce était un outil au service des entreprises. Il n’est pas dans ma nature d’être pessimiste, je me considère plutôt comme un réaliste mais force est de constater, notamment à travers les rendez-vous qui vont s’enchaîner, que la situation est préoccupante. J’engage, donc les chefs d’entreprise à s’armer de patience et d’anticipation afin de passer ce cap difficile.

Interview réalisée par Philippe Peraut
photo PH.P
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