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Noëlle Vincensini : une femme corse qui est aussi un « grand homme » universel

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Noëlle Vincensini : une femme corse qui est aussi un « grand homme » universel



Le 26 janvier 2016 était projeté à l’Assemblée nationale, le documentaire historique de la formidable réalisatrice Jackie Poggioli, 70 ans après, résistantes corses déportées. Il dépeignait le portrait de 17 résistantes nées en Corse telles que Danielle Casanova déportées par les nazis dans les camps de Ravensbrück, de Mauthausen et d’Auschwitz. Et parmi ces grandes figures, celle de Noëlle Vincensini, déportée à 17 ans, combattante inlassable des droits de l’homme et aujourd’hui âgée de 97 ans.


Une Corse sans peur et sans reproche


Noëlle Vincensini est la quatrième d’une fratrie de neuf enfants. Elle a vu le jour en 1927 au couvent de Piedicroce où son père, gendarme, était stationné. En 1941, elle quitte l’île pour étudier dans un lycée de Montpellier où vit une tante. Anti nazie, elle devient une militante au sein des Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJOP). Puis elle rejoint le mouvement des Francs-tireurs et partisans (FTP), proche du parti communiste, pour qui elle transporte des valises contenant argent, armes, munitions ou tracts. Arrêtée par la Gestapo sur dénonciation en avril 1944 avec trois autres lycéennes, elle est torturée avant d’être déportée à Ravensbrück par le convoi parti de Paris le 4 juillet 1944 et envoyée dans le Kommando de travail de Neubrandenburg.

Elle s’évade pendant « la marche de la mort » en mai 1945. Elle épouse en 1947 l'écrivain cévenol Jean-Pierre Chabrol avec qui elle a quatre enfants parmi lesquelles Kikou et Elsa. Elle milite au PCF à Palaiseau dont elle devient adjointe au maire et tisse des liens d'amitié avec d’Aragon et d’Elsa Triolet, de Brel, de Brassens, de Montant et de Signoret. De retour en Corse en 1970 après un divorce douloureux, elle s’attaque à la fraude électorale qui sévit dans son village subissant menaces et intimidations. Mais tenace, elle gagne cette bataille et obtient la révision des listes électorales.

Pionnière en matière de Radio libre


En 1978, elle est à l’initiative de la première radio libre de Corse Radio Balbuzard, un an avant, en novembre 1979, la création de Radio Corse Internationale par Aimé Pietri, radio installée en île d'Elbe et plastiquée par des barbouzes françaises. Noëlle est alor sur tous les fronts dès lors qu'il s'agit des libertés fondamentales, descendant dans la rue pour dénoncer la répression qui frappe le mouvement nationaliste réalisant trois documentaires qui s’inscrivent dans le cadre du mouvement de réappropriation de la culture corse Riacquistu. En 1981, année de l’arrivée de la gauche au pouvoir, elle cofonde une association d’aide à la production, Sinemassoci afin de favoriser l'éclosion de jeunes réalisateurs En 1985 ; alors que de nombreux crimes racistes endeuillent la Corse parfois à l’intiative du FLNC, elle est à l'initiative avec d’autres personnalités telles que Danièle Jeammet, journaliste à France 3 Corse, Christian Leblanc, Sampiero Sanguinetti, Danièle Maoudj ou encore Henri Graziani du collectif antiraciste Avà basta lequel va jouer un rôle essentiel dans la lutte contre les discriminations au grand dam des nationalistes qui n'acceptent que les initiatives cornaquées par la clandestinité. Plus tard, elle prendra ses distances avec le mouvement nationaliste qui avait tenté de justifier l’assassinat de deux Tunisiens perpétré le 2 janvier 1986 par ses militants.

Noëlle Vincensini, passeuse de mémoire


Noëlle a participé un colloque pour la paix « à l’invitation de l’Église de Corse » et n’a eu de cesse de témoigner du drame de la déportation dans les écoles emmenant notamment des lycéens à Auschwitz afin qu’ils ressentent la réalité du lieu. Elle apparaît dans le très remarquable documentaire de Jacky Poggioli cité en introduction et celui du réalisateur Frédéric Vidal La mémoire et le silence, sorti en 2013 et consacré aux portraits de femmes résistantes déportées au camp de Ravensbrück. Noëlle est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages qui attestent de son désir de transmettre la mémoire de cette génération qui fut confrontée au minuit dans le siècle pour reprendre l’expression du révolutionnaire Victor Serge. Ce dernier faisait alors allusion au nazisme, mais aussi au stalinisme. Décorée du grade de chevalier de la Légion d’honneur en 2008, Noëlle Vincensini n’acceptera la décoration qu’à la condition qu’elle lui soit délivrée dans les locaux d’Avà Basta. Huit ans plus tard, elle sera élevée au grade d’officier de la Légion d’honneur. Si elle n’a pas été panthéonisée, Noëlle mérite de l’être dans notre mémoire intime et insulaire. Cette dame de 97 ans est assurément l’un des « grands hommes de la Corse ». Elle est de celles qui font honneur à notre histoire. Nous lui devons respect et remerciements elle qui a toujours vécu pour le combat en faveur de l’égalité entre êtres humains et s’est battue avec modestie et discrétion. Celles et ceux qui, comme moi, ont eu la chance et l’honneur de la côtoyer ne l’oublieront jamais.

GXC
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