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Révision constitutionnelle : peut-on compter sur lui ?

Des obstacles importants font douter que l’on puisse compter sur le Président de la République pour relancer la révision constitutionnelle. Gilles Simeoni veut pourtant encore croire à une issue favorable.

Révision constitutionnelle : peut-on compter sur lui ?


Des obstacles importants font douter que l’on puisse compter sur le Président de la République pour relancer la révision constitutionnelle. Gilles Simeoni veut pourtant encore croire à une issue favorable.



Les conséquences pour la Corse des bouleversements politiques survenus à l’échelon national depuis la fin du printemps, ont été évoquées durant la réunion de l’Assemblée de Corse des 26 et 27 septembre derniers. Il en est ressorti l’expression par la plupart des élus, d’une grande inquiétude alimentée par l’incertitude, notamment, bien sûr, concernant la poursuite du processus de révision constitutionnelle devant aboutir à l’inscription de la Corse dans la Constitution et à la reconnaissance d’un statut d’autonomie. La présidente de l’Assemblée de Corse et le président du Conseil exécutif ont tenté de rassurer en faisant valoir que rien n’était perdu car la parole du Président de la République était engagée et le crédit de l’État en jeu. Nanette Maupertuis a affirmé que « L’État ne peut se dédire ! » et rappelé les propos encourageants tenus par Emmanuel Macron lors de sa venue à l’Assemblée de Corse en septembre de l’an passé : « Le président de la République était, il y a un an presque jour pour jour, dans cet hémicycle et y déclarait : « Pour ancrer pleinement la Corse dans la République et reconnaître la singularité, son insularité méditerranéenne, ce rapport au monde et son rôle dans l'espace qui est le sien, nous devons avancer, et il faut pour cela l'entrée de la Corse dans notre Constitution. C'est votre souhait, je le partage et je le fais mien, car je respecte et je reconnais l'histoire, la culture, les spécificités Corses dans la République, ce lien entre cette terre, cette mer, cette ambition enracinée.
La vocation de la Corse ne peut pas s'enfermer dans un texte, mais l'inscription dans un texte et en particulier celui de notre Constitution, désormais la plus vieille et la plus durable de notre histoire, est ce geste de reconnaissance indispensable et de la construction d'un cadre respectueux de la singularité insulaire et méditerranéenne ».Gilles Simeoni a abondé dans le sens de la présidente de l’Assemblée de Corse. Il a d’abord convenu être préoccupé car, du fait de la modifications des forces en présence à l’Assemblée Nationale, il n’avait pas la certitude que l’État persiste sur la voie de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle.
Ensuite, faisant valoir que le projet de texte relatif à la révision constitutionnelle avait été validé par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et par les élus de la Corse, il a dit avoir espoir que le Président de la République le soumette dans un délai raisonnable à l’Assemblée Nationale et au Sénat, et qu’il était possible de convaincre des majorités suffisantes - majorités simples à l’Assemblée Nationale et au Sénat, trois-cinquièmes des parlementaires lors de la réunion du Congrès - du bien-fondé d’une évolution de la Corse vers l’autonomie.


Place au doute



Des obstacles importants font cependant douter que l’on puisse vraiment compter sur le Président de la République.
Premier obstacle : Emmanuel Macron ne dispose d’une majorité ni à l’Assemblée Nationale, ni au Sénat.
Deuxième obstacle : le nombre important de députés Rassemblement national rend très aléatoire d’obtenir, au Congrès, la majorité des trois-cinquièmes des suffrages exprimés nécessaires à l’adoption d’une révision constitutionnelle.
Troisième obstacle :
le gouvernement et le Parlement sont confrontés à des dossiers relevant de l’urgence (sécurité, immigration, budget, problèmes économiques et sociaux), ce qui fait reléguer le dossier Corse en bas de la pile. Quatrième obstacle : le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, très influent au Sénat (particulièrement au sein du groupe Les Républicains qui compte 131 membres, soit plus d’un tiers des sénateurs) n’est pas un chaud partisan de la révision constitutionnelle.
En effet, il y a quelques mois, après que Gérald Darmanin et les élus corses aient trouvé un accord, Bruno Retailleau a confié qu’il s’agissait, selon lui, d’un « pas dangereux » et ajouté : « La communauté insulaire, linguistique, définie par une Histoire, une culture, une terre, est pour moi une reconnaissance du communautarisme ». Gilles Simeoni veut pourtant encore croire à une issue favorable. C’est pourquoi, il a proposé et obtenu et ce, à une quasi unanimité, l’adoption par l’Assemblée de Corse d’une résolution invitant solennellement le Président de la République à saisir l’Assemblée Nationale et le Sénat. Il apparaît d’ailleurs que cette résolution présentant la forme d’un rappel détaillé, frise de ce fait l’injonction. En effet, il y est énuméré : les circonstances ayant déterminé le lancement du processus Beauvau (assassinat d’Yvan Colonna et manifestations ayant suivi) ; le travail accompli et les concessions réciproques dans le cadre des négociations entre Gérald Darmanin et la délégation des élus de la Corse ; le discours du Président de la République devant l’Assemblée de Corse le 28 septembre 2023 ayant ouvert des portes ; la réunion conclusive du 11 mars 2024 au ministère de l’Intérieur, ayant débouché sur un accord politique dessinant l'armature d'un statut d'autonomie de la Corse au sein de la République ; la délibération de l’Assemblée de Corse du 27 mars 2024 validant le projet d'écritures constitutionnelles dans le cadre de la révision de la constitution consacrée à la Corse. En effet, il y est mentionné l’engagement pris par le Président de la République, au nom de l’Etat, de mener à son terme la procédure de révision constitutionnelle.
En effet, il y est fait part du retard pris : « Au mois de mai 2024, le projet d'écritures constitutionnelles devait être transmis à l'Assemblée nationale et au Sénat, dans la perspective d'une révision constitutionnelle qui était prévue pour déboucher, en cas de vote des deux chambres sur un texte identique, sur un Congrès avant la fin de l'année 2024 ». En effet et enfin, Emmanuel Macron y est quasiment sommé de respecter sa parole qui est aussi celle de l’État : « L’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif de Corse demandent solennellement au Président de la République de saisir au plus tôt le Parlement, sur proposition du Premier ministre, du projet de révision constitutionnelle sur la base des écritures constitutionnelles entérinées avec le ministre de l’Intérieur le 11 mars 2024, et validées par l’Assemblée de Corse dans sa délibération en date du 27 mars 2024 ».


Ne rien attendre d’Emmanuel Macron



Tout le monde n’est pas convaincu que la résolution incitera Emmanuel Macron à respecter l’engagement pris. Loin s’en faut. Cela vaut même parmi ceux qui ont voté pour cette résolution. Ainsi Paul-Félix Benedetti, au nom du groupe Core in Fronte, a souligné qu’Emmanuel Macron ne joue pas le jeu et qu’il va falloir remobiliser l’Assemblée de Corse et peut-être aussi l’ensemble des Corses : « Si le processus ne redémarre pas, c’est que le président de la République a décidé de le stopper [...] C’est à nous de chercher à faire avancer les choses ». Josepha Giacometti, l’unique élue Nazione, qui a rejeté l’accord politique conclu avec Gérald Darmanin et refusé de voter la résolution, reste persuadée que le processus Beauvau n’a été qu’un leurre et que la nouvelle situation politique commande de ne rien attendre d’Emmanuel Macron et de ce qui a été acté : « Il y a un marasme total à Paris, une forme de droitisation. Allons-nous, nous laisser porter par le marasme ambiant qui risque de durer ? » Hors les murs de l’hémicycle, Pierre Poggioli, fin observateur de la vie politique et qui a gardé une vision nationaliste des événements, ne cache pas son scepticisme. En effet, on peut lire sur sa page Facebook : « En appeler "solennellement" au Président de la République, logique, le dossier corse n'est pas réservé au ministre de l'Intérieur, Mais cela semble un peu vain au vu de la situation politique française actuelle et du manque flagrant de mobilisation collective des nationalistes au quotidien, hormis lors des échéances électorales ».


Pierre Corsi




PHOTO 1 : Crédit photo : Quirinale.it
PHOTO 2 : Crédit Photo : Présidence de la République
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