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Cultura : << Mothership >> ou sauver des vies

L'espoir VS des cremous nauséabonds

« Mothership » ou sauver des vies
L’espoir vs des remous nauséabonds


La projection de « Mothership », qui restitue des sauvetages de migrants en Méditerranée, aurait dû être un moment d’intense émotion, de réflexion sur un monde qui va de travers, sur une humanité en quête de repères… ça l’a été… si ce n’est une brève foire d’empoigne doublée de menaces sournoises de néofascistes décidés à bâillonner la liberté d’expression.


Les sauvetages de SOS Méditerranée, dans la partie la plus large du Mare Nostrum, doivent être mieux connus et reconnus, tel était le but de la venue à Bastia de Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de l’ONG ainsi que du visionnage du documentaire, « Mothership » de Muriel Cravatte.

Le film nous offre des séquences qui vous serrent la gorge et qui ensuite fortifie votre espoir en un lendemain plus vivable. Voilà, par exemple, le soulagement de voir un enfant sorti in extrémis de l’eau. L’étonnement d’un jeune ravi d’être hissé à bord de l’Ocean Viking, le navire de l’ONG. Le sourire d’une femme réalisant qu’elle n’a plus à craindre les gardes côtes libyens, exploiteurs, violeurs, racketteurs.

Violence de la mer et des éléments. Violence des Libyens traquant ceux qui fuient sur des canots brinquebalants pour leur échapper. Violence des sociétés qui ne respectent pas le droit maritime qu’elles ont édictées. Violence ambiante accoucheuse de servitude. A l’inverse l’Ocean Viking et son équipe de militants concrétisent la libération, les retrouvailles avec l’humain… Retrouvailles qui rassurent, qui protègent…

Le film nous montre comment procèdent les sauveteurs pour se porter au secours de ceux qui se noient et sont voués à la mort. Repérage des canots à la dérive, bateau de sauvetage envoyé sur place, puis transfert sur l’Ocean Viking. Le répit enfin…

Les scènes, vrai de vrai, avec les femmes - souvent des subsahariennes – sont baume au cœur. Elles remercient Dieu qui a guidé la main de l’équipe de l’Ocean Viking. Soulagées des peurs, qui les ont tellement étreintes, on les voit à leur coiffure. On assiste aux discussions détendues entre elles. Elles disent ce qu’elles ont enduré sur le trajet qui les a conduits jusqu’au Mali puis dans l’enfer libyen. En lieu sûr elles sont tout à la joie. Elles confient qu’elles sont parties pour que leurs familles échappent à la misère. Elles osent la gaité. Le rire.

Sur l’Ocean Viking les jeux des petits enfants sont pure réjouissance quand ils font des parties de ballons avec des gants de plastique qu’ils ont eux-mêmes gonflés. Comme quoi de petits riens peuvent métamorphoser un quotidien bien ordinaire… Le bonheur se met alors à exister sur l’Ocean Viking.

Sophie Beau, directrice générale de SOS Méditerranée, aurait dû donner une conférence au Parc Galea, qui avait gentiment accueilli l’événement, puis s’est rétracté devant des menaces aussi obscures que malsaines. Pourquoi avoir céder aux pressions ? L’attitude du parc le regarde. On nous permettra de constater qu’elle ne déborde pas d’élégance ni de courage ! Bref…

Le surlendemain bis repetita, l’ultradroite mécontente de la projection du film au Régent de Bastia, bombant le torse et durcissant les biceps, prétendaient interdire la séance. Les défenseurs du débat d’idées étaient présents également. In fine « Mothership » put se dérouler sans plus d’incident !

Michèle Acquaviva-Pache




128 collectivités de toutes tailles soutiennent SOS Méditerranée dont les régions de Bretagne, Occitanie, Centre-Val de Loire, Bourgogne-France Comté ainsi que la plupart des grandes villes françaises. A quand le soutien solidaire de la CdC ?


                   ENTRETIEN AVEC SOPHIE BEAU, cofondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée.

Quand a été créé l’ONG SOS Méditerranée ?Le 9 mai à Berlin à la suite de ma rencontre avec Klaus Vogel, capitaine de marine marchande ému par les noyades de migrants traversant la Méditerranée. Nous rédigeons une charte, qui indique nos missions : sauver des gens en mer, protéger les rescapés, témoigner de ce qui se passe dans les eaux méditerranéennes. Klaus Vogel a une vision maritime des choses. Je me charge du volet humanitaire : montage de dossiers administratifs et recherche de fonds car j’ai une expérience en la matière ayant travaillé à Médecins du monde et Médecins sans frontières. Klaus et moi sommes complémentaires, ensemble nous nous lançons dans le recrutement d’une équipe… Il faut que je rappelle qu’à partir de 2015 gardes côtes et réseaux mafieux libyens – ce sont souvent les mêmes – prennent la haute main sur le trafic d’êtres humains.



Quel a été le fait déclencheur de la création de SOS Méditerranée ?

Il y a eu la fin de l’opération « Mare Nostrum » dont se chargeaient les Italiens. L’Europe a été sollicitée pour prendre le relai : refus. Pareil de la part des Etats membres pris séparément. A leurs yeux prêter assistance à ceux qui se noyaient revenait à provoquer un appel d’air poussant de plus en plus de migrants à s’en aller de chez eux… Ce qui est faux.


Dans quelle partie de la Méditerranée naviguez-vous ?

Entre la Sicile et les côtes libyennes et tunisiennes, soit dans la partie la plus centrale, la plus large et la plus mortelle de Méditerranée.


D’où sont venus vos soutiens ?

En octobre 2013, au large de Lampedusa, un naufrage s’était produit provoquant la mort de 368 personnes. Une caméra avait enregistré cette tragédie. Elle suscita une énorme émotion engendrant un soutien citoyen. Celui-ci s’est manifesté lors de notre crowdfunding qui recueille 270 000 euros en six semaines en France, en Allemagne, en Italie. Dans la foulée des comités de soutien se sont constitués, formés d’écrivains, artistes de musiciens dont Jean Claude Acquaviva. Des skippeurs ont également répondu à notre appel. En 2016 notre navire L’Aquarius a pu procéder à notre premier sauvetage. L’Aquarius, entravé par de multiples problèmes, nous avons continué notre tâche avec L’Ocean Viking.


Quelle est votre organisation sur L’Ocean Viking
Notre équipe compte 23 membres dont 13 marins-Sauveteurs. Nos soignants sont au nombre de quatre qui donnent leurs soins dans une petite clinique aménagée à bord. Les blessées les plus gravement atteints sont évacués par hélitreuillage. Notre personnel nous est fourni par La Fédération Internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, indépendante du CICR qui opère en zone de guerre.



Quelle est la nationalité de votre équipe ?Il y a des Français, des Allemands puis sont venus des Italiens et des Suisses. Notre recrutement est le reflet du mouvement citoyen qui nous appuie.



A quelles difficultés vous heurtez-vous le plus ?Jusqu’en 2018, dans la zone centrale où nous patrouillions, il y avait par l’entremise des Italiens une coordination des secours, qui était très efficace. Ce dispositif n’a pas été pérennisé. Les Libyens ont mis la main sur cette zone centrale et les réseaux de ce pays, qui contrôlent la traite humaine, ont pris les commandes avec l’aide de l’UE. Résultats : les secours sont devenus de plus en plus difficiles : les bateaux des gardes côtes libyens n’hésitent pas à nous tirer de dessus et traquent à mort les migrants. En 2018 toujours, Salvini est nommé ministre de l’Intérieur en Italie. Contrairement au droit maritime international il va fermer tous les ports de son pays à ceux qui portent assistance à ceux qui sont en train de se noyer. Notre navire L’Aquarius est condamné à l’errance. Il est finalement recueilli par l’Espagne… A cette époque nous subissons aussi un harcèlement administratif éprouvant.



Qu’arrive-t-il à l’arrivée de Georgia Meloni à la tête du gouvernement italien ?Elle empêche l’Ocean Viking de débarquer dans un port de son pays ce qui va à l’encontre du droit maritime international et suscite un tollé. Elle prend alors un décret imposant aux bateaux tel L’Ocean Viking de rejoindre le port qui lui est désigné sans déviation et sans délais sous peine d’amende et de saisie. Cette mesure va obliger L’Ocean Viking à accoster et à débarquer ses passagers dans des ports situés au nord de l’Italie, soit un surcoût en fioul de 24 000 euros par jour…



Pensez-vous qu’il faudrait faire des campagnes d’information, en particulier en Afrique subsaharienne, pour dissuader les jeunes de courir le risque de l’émigration ?Ce serait opportun, mais notre association n’en n’a pas les moyens. Il faudrait surtout qu’ils évitent l’étape libyenne qui se traduit par des coups, des tortures, des viols, par être trop souvent réduit en esclavage, et par être tués.



Votre bilan d’activité en huit ans ? Où avez-vous votre port d’attache ?Nous avons sauvé 40 115 personnes. Quant au nombre de noyés il s’élève, dans la zone centrale méditerranéenne à 23 890 personnes sur dix ans. Ce nombre ne comprend que les corps qui ont été repéchés… Notre port d’attache est Syracuse avec qui nous avons de bonnes relations.



Qu’attendez-vous des Corses ? Nous souhaitons qu’ils établissent une antenne de SOS Méditerranée – excluant un local physique. Cette antenne aurait pour vocation de faire connaitre ce qui arrive en Méditerranée et de sensibiliser les jeunes et les enfants.


Propos recueillis par M.A-P

Photos/ Michèle Acquaviva -Pache
Mothership /temps noir

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