• Le doyen de la presse Européenne

Patrick Martin, Président du Medef "Les entrepreneurs défendent une vision optimiste de l'avenir"

"Dans le contexte politique instable que nous connaissons, alors que la situation économique est tendue, il est impérieux que la décision publique comprenne les impératifs de l’entreprise et de la vie économique."

Patrick Martin, Président du Medef : « les entrepreneurs défendent une vision optimiste de l’avenir »


Patrick Martin est président du Medef depuis le 6 juillet 2023. Il est actionnaire principal et président-directeur général de Martin-Belaysoud (entreprise familiale fondée en 1829 devenue groupe, chiffre d’affaires de 1200 M€, 3000 salariés). Martin-Belaysoud est un des leaders de son secteur : la distribution aux professionnels d’équipements et services dans les domaines du BTP et de l’Industrie. Le groupe entreprend actuellement, par des acquisitions, une diversification dans le secteur des énergies renouvelables (distribution de matériel photovoltaïque, de pompes à chaleur...) Patrick Martin s’est engagé au sein du Medef durant les années 1990. Il a présidé le Medef Rhône-Alpes de (2006-2011) puis le Medef Auvergne-Rhône-Alpes (2016-2018). En juillet 2018, il est devenu trésorier et vice-président délégué du Medef puis président délégué. En 2023, il a été élu président. Le mandat est d’une durée de cinq ans. Ces jours-ci, lors de venue en Corse, il a rencontré les responsables du Medef Corse et de nombreux chefs d’entreprise.

JDC / La situation politique nationale et le contexte géopolitique sont marqués par l’incertitude et des conflits qui peuvent à tout moment provoquer, en France, une crise politique et sociale, au niveau mondial, une crise économique et financière majeure. Selon vous, globalement, l’économie française est-elle en mesure de faire face ? Ses points forts ? Ses faiblesses ? Des opportunités peut-être ?


Nos entreprises font face à un contexte géopolitique particulièrement tendu, du Moyen-Orient à l'Ukraine. Ces conflits font peser des risques sur le commerce international, à l'instar des attaques contre des navires commerciaux en Mer Rouge en janvier dernier. Parmi les drames de notre temps, la guerre en Ukraine et ses répercussions économiques – que ce soit sur le plan énergétique, que des mesures de rétorsion ou des tentatives de déstabilisation visant nos entreprises –, sans oublier la situation au Moyen-Orient et le risque d’extension du conflit, en sont des exemples concrets. A ce panorama géopolitique, s'ajoute une concurrence internationale particulièrement féroce qui fait peser sur la France et l'Europe un risque de décrochage inquiétant. Je pense à l'écart de productivité croissant avec les États-Unis, creusant le fossé en termes de production de richesse, de pouvoir d’achat, d’innovation et d'investissement. Sans oublier le drainage de l'épargne européenne en direction de projet américains ambitieux, eux-mêmes subventionnés via l’Inflation Réduction Act de 2022 (plan de subvention massif des entreprises). La France doit prendre ce virage de la compétitivité. Le moteur de la croissance ne pourra se rallumer que si le pays poursuit une politique économique lisible et stable, garante de la compétitivité des entreprises et seule capable de restaurer la confiance et d’assurer l’emploi. Si les politiques publiques de ces dernières années ont été salutaires, le redressement du pays n’est pas encore abouti. Les points de vigilance portent sur la dégradation inquiétante des comptes publics, et le déficit de notre balance commerciale. Cela affecte notre niveau de production, entretient les tensions de recrutement et altère l’équilibre des finances publiques.
La condition sine qua non à l’instauration d’un climat de confiance c’est la stabilité basée sur la constance de notre politique économique, la prévisibilité.


JDC) Vous avez écrit au Premier ministre pour demander que l’Etat, avant d'augmenter les impôts des entreprises, fasse des d'économies. Concrètement, quelles mesures devraient prendre l’État ?


Au regard de la situation économique et budgétaire, je me suis adressé en effet au Premier Ministre, Michel Barnier pour lui faire des propositions visant à baisser durablement les dépenses publiques. Des réformes structurelles permettraient d’économiser plus de 30 milliards d’euros par an dans la sphère publique. Le Medef a défini 5 axes prioritaires de réformes permettant de faire des économies substantielles : il faut renforcer la lutte contre la fraude sociale qui s’élève à plus de 13 milliards d’euros, réformer le fonctionnement des opérateurs de l'Etat qui représente 81 milliards de dépenses, réformer le régime social des travailleurs frontaliers qui ne cotisent pas en France estimé à 800 millions par an. De plus il faut finaliser la transformation numérique des administrations publiques dont le potentiel d’économies est estimé à 12 milliards d’euros et renforcer le contrôle de l’absentéisme dans la fonction publique dont les coûts atteignent 15 milliards. Par ailleurs, il est urgent de simplifier nos procédures administratives et réglementaires. La surrèglementation nous coûte, selon l’OCDE, près de 60 milliards. Simplifier drastiquement la vie des entrepreneurs, comme les Allemands l’ont fait en économisant 12 milliards, est absolument prioritaire. C’est ainsi que l’on enrayera la spirale de la dépense publique sans mettre l’économie à genoux.


JDC) L’après crise Covid est douloureuse pour les entreprises. Beaucoup peinent à rembourser le Prêt Garanti par l'État (PGE). La hausse des faillites est une constante ces derniers mois. Est-ce que cela vous inquiète ?


En juillet dernier, on a battu le record historique de dépôts de bilan avec 5800 défaillances dont une bonne partie dans la filière de la construction, atteinte par une crise du logement particulièrement vive. NA l’exception de l’amélioration des conditions de financement, on observe une dégradation des indicateurs : pour 55 % des petites entreprises, le niveau de demande est devenu le principal frein à l’activité, suivi par les difficultés à recruter et une concurrence de plus en plus féroce. De plus en plus d’entreprises prévoient un recul de leur marge nette en 2024, étant dans l’incapacité de relever leurs prix. L’un des points les plus inquiétants est la baisse d’intentions d’investissements. Seules 46 % des PME et TPE affirment avoir investi ou ont l’intention de le faire en 2024. Dans ce contexte, rappelons que les entreprises françaises supportent le niveau de prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux le plus élevé au monde, soit 364 milliards par an. Les entreprises ont plus que jamais besoin de visibilité et de stabilité. Au regard de la situation économique, ce n’est pas le moment d’imposer aux entreprises des mesures qui ne tiendraient pas compte de ce contexte.


JDC / Pour réduire l’impact de la dette, il y a les économies, la fiscalité mais heureusement peut-être aussi une partie du produit fiscal tiré de la croissance et de la consommation. Quelles mesures faudrait-il prendre d’urgence pour relancer l’activité et la confiance, et en conséquence l’emploi pérenne et le pouvoir d’achat ?


L’enjeu du pouvoir d’achat est intrinsèquement lié à la création d’emplois et à une hausse de la productivité. On ne peut évoquer la question du pouvoir d’achat sans parler de création de richesse, de croissance. Cela implique d’adopter une vision plus large de la politique de l’offre qui s’appuie sur l’amélioration de l’éducation, la politique de logement et une incitation à l’innovation et à la recherche. Pour créer de la croissance, il faut augmenter le nombre d’heures travaillées. Avec 610 heures, la France affiche la durée la plus faible de la zone euro, contre 700 heures en Allemagne. Augmenter le taux d’emploi de 8 points assurerait à la France une hausse de son PIB de près de 10 points, un retour à l’équilibre des finances publiques.


JDC / La Rencontre des entrepreneurs de France (université d’été du Medef sur l’hippodrome de Paris Longchamp) a abordé de nombreux thèmes. Parmi ceux-ci, la simplification des normes, le pouvoir des marchés, le pouvoir vert, les avancées scientifiques et technologiques. Concrètement que préconise le Medef pour simplifier les normes souvent imposées par l’Union Européenne ?


Cette dérive technocratique pèse énormément sur les entreprises. Entre 2017 et 2022, les entreprises françaises se sont vu imposer un total de 850 nouvelles obligations par Bruxelles. Et la France a une fâcheuse tendance à les surtransposer, contrairement à l’Allemagne qui transcrit le strict nécessaire dans son droit national. Pour obtenir des autorisations pour étendre ou créer une usine, notre lenteur administrative est rédhibitoire. Face à ce constat, nous avons fait de la simplification un défi prioritaire qu’il faut traiter urgemment. Avant de créer une nouvelle norme, l’Union européenne doit au préalable mener de véritables études d’impact. On note que l’absence de ces études peut aboutir à des décisions absurdes, voire inapplicables. En outre, les entreprises doivent être davantage consultées en amont de l’élaboration de normes pouvant les impacter. Nous souhaitons qu’il y ait de véritables « test PME » avant toutes décisions de réglementation nouvelle.


6) Les entreprises françaises ont-elles vraiment anticipé ou aujourd’hui au moins intégré, le caractère incontournable de l’intelligence artificielle ?


La majorité des grandes entreprises françaises ont pris conscience de l’importance de l’intelligence artificielle, en particulier dans des secteurs tels que la finance, l’industrie, les télécommunications et la santé. Elles investissent massivement dans des projets liés à l’IA pour améliorer l'efficacité, réduire les coûts, ou encore innover dans leurs offres de services et produits. Cependant, l’adoption de l’IA par les PME reste plus modeste. En raison de ressources limitées, d’un manque de compétences internes ou d'une hésitation à investir dans des technologies perçues comme complexes, de nombreuses PME françaises sont encore dans une phase de réflexion. Certaines ne considèrent l’IA que comme un outil et n'ont pas encore franchi le pas. L’un des défis majeurs reste la formation. Le manque de compétences dans ce domaine ralentit l’adoption de ces technologies, en particulier au sein des PME et des secteurs moins technologiques. Face aux enjeux de l’intelligence artificielle, considérée comme la prochaine révolution industrielle, il est capital d’accélérer sur le financement, la formation et la recherche. C’est la raison pour laquelle, le Medef lance dès cet automne un Tour de France de l’IA pour identifier les bonnes pratiques et les partager à ses entreprises adhérentes.


7) Votre venue en Corse à la rencontre d’un tissu d’entreprises essentiellement composé de PME-TPE, est-elle un signe que le Medef, davantage qu’hier, est plus attentif aux problématiques des « petits » ? Quel sera votre message ?


Je suis moi-même à la tête d’une entreprise familiale et provinciale, qui était une PME quand j’en ai pris les rênes. Je vis au quotidien ce que vivent nos 200 000 adhérents. L’adhérent moyen du Medef est une entreprise de 47 salariés. Notre mouvement représente plus de 200 000 entreprises de tous secteurs, de toutes tailles, dont une majorité de TPE et PME ! Le Medef est la première organisation patronale, forte de ses 400 fédérations et groupements professionnels et de ses 119 organisations territoriales. C’est au service de ce collectif unique, présent partout sur le territoire hexagonal et dans les outre-mer, que je tiens mon mandat de président. Il est donc essentiel, et c’est un plaisir pour moi, de venir rencontrer le Medef Corse et son président, Jean-Louis Albertini, comme je vais chaque semaine partout ailleurs à la rencontre des chefs d’entreprises. Cela me permet de me nourrir de leur énergie et de leurs réussites, mais aussi de les écouter, de comprendre leurs contraintes et leurs inquiétudes – prix de l’énergie, difficultés de recrutements, trésorerie qui se tendent, réponses aux mutations, etc. Ces réalités sont autant d’arguments pour que l’exécutif et nos élus nationaux et locaux partagent leurs préoccupations, et comprennent qu’il est essentiel de défendre les conditions de création de richesse, pierre angulaire du bien commun. Mon message ? Il naît des témoignages que je reçois chaque jour : quelles que soient les difficultés rencontrées, les entrepreneurs défendent une vision optimiste de l’avenir, ils savent qu’une grande partie des solutions est entre leurs mains.


JDC / Le Medef est souvent méconnu par le grand public. Comment envisagez- vous, au niveau national et local, d’agir concrètement pour mieux faire entendre et connaître votre organisation et modifier son image ?


L’image du Medef s’est considérablement améliorée ces dernières années, comme d’ailleurs celle des entreprises, reconnues comme un pôle de responsabilité et de respect mutuel. Nous sommes fiers de compter tous nos champions nationaux dans nos rangs, car ils contribuent massivement à la prospérité de la France. Mais 200 000 entreprises adhérentes, c’est beaucoup plus que les seules entreprises du CAC 40 ! Nous voulons faire inlassablement la pédagogie de l’entreprise, de sa contribution à l’intérêt général et des conditions nécessaires à sa réussite. Car un débat public serein et argumenté, qui permette aux Français sur tout le territoire de se forger une opinion est indispensable à la démocratie. Nous voulons y prendre part. C’est pourquoi le Medef a décidé de lancer un « front économique », collectif de chefs d’entreprise, d’économistes et de think-tanks dont les travaux vont formaliser des diagnostics et des propositions pour nourrir le débat économique. Dans le contexte politique instable que nous connaissons, alors que la situation économique est tendue, il est impérieux que la décision publique comprenne les impératifs de l’entreprise et de la vie économique.


Propos recueillis par Jean-Pierre Bustori
Crédit photo : Medef- Romuald Meigneux


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