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Gestion des ports et aéroports

On a traîné, on a crié , la Corse a trinqué

Gestion des ports et aéroports : on a traîné, on a crié, la Corse a trinqué


Les solutions envisageables ne sont pas légion. Il est probable que, pour éviter de passer par la case appel d’offre et ainsi conserver une gestion corse des ports et aéroports, on en viendra in fine à un choix entre deux scenarii : soit intégrer la CCI à la CDC ; soit organiser le passage de la CCI sous tutelle de la CDC selon un cadre statutaire prévoyant expressément que l’attribution de la gestion des ports et aéroports pourra se faire sans mise en concurrence.


Le 3 octobre dernier, les élus de la CCI de Corse (Chambre de commerce et d'industrie de Corse) sont réunis en assemblée générale. A l’ordre du jour, figure un point essentiel : le devenir de la gestion des installations portuaires et aéroportuaire insulaires actuellement assurée par la CCI. A priori, tout devrait se passer sereinement. En 2018, ce qui convenait alors et convient toujours à tout le monde en Corse, l’État a assuré être favorable à ce que cette gestion ne soit pas soumise comme dans l’Hexagone, à des appels d’offre et donc au risque de mainmise par un grand groupe (ce qui ferait perdre à la CCI la perception des taxes portuaires et aéroportuaires, au bas mot 100 M€ / an, soit la majeure partie de ses recettes). Ceci ayant été acté et du temps étant nécessaire pour élaborer une solution bordée juridiquement (c’est-à-dire inattaquable devant la Cour de Justice Européenne), l’État a accordé une dérogation courant jusqu’au 31 décembre 2024, autorisant la CCI à rester gestionnaire des installations portuaires et aéroportuaires.

La CDC et la CCI ont pris les choses en main

Cela laissait du temps pour se retourner, mais cela va traîner. Censé proposer une loi sécurisant juridiquement la gestion corse des installations portuaires et aéroportuaires - notamment à partir de la création d’une nouvelle institution consulaire ayant des statuts ad hoc - l’État n’a rien fait et n’a pas répondu aux demandes de la Collectivité de Corse l’invitant à agir. Les années ont passé. En 2023, la CDC (Collectivité de Corse) et la CCI ont décidé de prendre les choses en main. Deux scenarii ont en définitive été envisagés : l’absorption de la CCI par la CDC ; la création d'un établissement public placé sous la responsabilité de la CDC qui pourrait déléguer la gestion des ports et aéroports à la CCI sans procédure d'appel d'offre, et ce, sans encourir les foudres des magistrats européens. Ce dernier scenario a été retenu. Mais le temps ayant défilé, et le délai restant à l’État pour légiférer en ce sens étant bien trop court, il a été mis sur la table la proposition de créer à titre transitoire un SMO aéroportuaire et un SMO portuaire (syndicats mixtes ouverts CDC-CCI devant assurer la gestion des ports et aéroports). Ayant constaté que l’État avait pris tout son temps, la CDC et la CCI ont proposé que la durée de vie des SMO puisse être de sept ans. En mai dernier, le gouvernement a donné son feu vert. Le 22 septembre dernier, l’Assemblée de Corse a pris connaissance d’un rapport d’étape concernant la création des deux SMO et, après avoir débattu, a décidé de délibérer en ce sens lors de la session d’octobre pour mise en œuvre dès le 1er janvier 2025.

Approbation d’aller vers la création de SMO

La démarche a été avalisée malgré les critiques des oppositions à l’encontre du Conseil exécutif : retard pris, volonté supposée d’accaparer un pouvoir de plus, attitude trop timorée face à l’État. Le groupe Soffiu Novu a déploré : « Nous regrettons votre procrastination » et accusé concernant la position prépondérante qu’occuperaient les élus de la majorité siméoniste au sein des deux SMO : « Les départements, la Chambre des territoires pour encadrer les intercos, maintenant le monde économique en privilégiant un scénario avec une représentation consulaire dépourvue de pouvoir mais vous permettant de disposer d’un organe courroie, cela vous donne un pouvoir important sur des prérogatives qu’a toujours gérées la CCI ». Le groupe Core in Fronte, après avoir lui aussi critiqué une grande lenteur, a ensuite sous-entendu que celle-ci avait peut-être eu pour cause une volonté de ménager la chèvre et le chou du pouvoir sur les ports et aéroports (entre élus consulaires et élus de la CDC) et, enfin, a dénoncé une tentation hégémonique : « Vous avez eu de la chance d’obtenir une prolongation exceptionnelle […] Vous avez écarté l’exploitation directe […] Tous les groupes doivent pouvoir siéger ». Le groupe Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa a précisé qu’il donnerait son aval à la création des SMO pour préserver une gestion corse des ports et aéroports mais que, pour l’avenir, il était opposé à une intégration de la CCI à la CDC : « Nous ne pouvons pas confier la gestion des infrastructures dont nous sommes propriétaires à des opérateurs guidés par d’autres intérêts que ceux de la Corse. [….] La CDC n’a pas vocation, en tant qu’autorité concédante et propriétaire des infrastructures, à gérer cette question-là de manière directe. Elle a depuis des décennies, un partenariat fécond avec les CCI. Nous considérons que ce partenariat doit demeurer. »

Retour à la case dérogation

Malgré les critiques, il paraissait que la création des SMO se ferait sûrement et sereinement. Patatras, le 3 octobre dernier, lors de l’Assemblée générale de la CCI devant entériner cette création, le représentant de l’État a signalé « un potentiel risque juridique ». Était ainsi sous-entendu que s’ils étaient saisis, les magistrats de l’Union Européenne pourraient considérer que mettre en place des SMO n’était qu’un stratagème étant destiné à contourner l’obligation d’appel d’offre afin de conserver la gestion des ports et aéroports à la CCI. Cette intervention a mis le feu aux poudres (le Préfet de Corse l’a, quelques heures plus tard, justifiée par le devoir d’information dû aux élus par les services de l'Etat). Immédiatement, le président du Conseil exécutif a vu rouge. En effet, Gilles Simeoni a dénoncé haut et fort une « déclaration de guerre de l’État à la Corse » et martialement prévenu : « Il n’y aura pas de groupes internationaux qui géreront les ports et les aéroports de Corse. » Spontanément, les agents de la CCI se sont mis en gréve et ont bloqué ports et aéroports. Résultat de ces montées de fièvre : la Corse a été coupée du reste du monde durant plus de 24 heures, ce qui a laissé sur le carreau des milliers de touristes et aussi quelques centaines de corses. Heureusement, une sortie de crise a été trouvée. Mais elle a abouti à une conclusion pour le moins déconcertante après des années de de recherche d’une solution : un retour à la case dérogation. En effet, l’État a accordé une rallonge de temps pour trouver une solution et rien de plus n’a été acté. Le protocole d’accord ne dit mot concernant ce que ce que sera demain la gestion des ports et aéroports. On est donc encore loin de « la grande victoire sociale, économique et politique » dont s’est félicité Gilles Simeoni.

A suivre…

Les solutions envisageables, quelles sont-elles ? Elles ne sont pas légion. Il est probable que, pour éviter de passer par la case appel d’offre et ainsi conserver une gestion corse des ports et aéroports, on en viendra in fine à un choix entre deux scenarii : soit intégrer la CCI à la CDC ; soit organiser le passage de la CCI sous tutelle de la CDC selon un cadre statutaire prévoyant expressément que l’attribution de la gestion des ports et aéroports pourra se faire sans mise en concurrence (formule que la Cour Européenne de Justice accepte). Ces scenarii sont connus depuis des mois, direz-vous. Oui, mais aucun des deux n’a pu être mis en œuvre ; d’une part, du fait des lenteurs de l’État ; d’autre part, du fait du peu d’empressement de la CDC à assumer qu’il lui faudra assurer, au moins formellement, quel que soit le scenario retenu, la direction de la gestion des ports et aéroports au détriment des élus consulaires. Ce qui, c’est certain, fera des mécontents ! Et quel bilan tirer des événements de ces derniers jours ? Réponse : on a traîné, on a crié, l’image touristique de la Corse a trinqué. Et aussi : à suivre...

Pierre Corsi
Crédit photo : Journal de la Corse
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