"Le Mohican" , film de Frédéric Farrucci : L'homme qui dit << non >> !
Des paysages splendides de la Corse du sud, de ceux qui n’ont pas été violés par un tourisme ravageur. Un berger, Joseph, obstiné à ne pas céder à la mafia ce qu’elle veut lui arracher : sa terre et ce pourquoi il est vivant. Joseph, le seul, l’unique à e
« Le Mohican », film de Frédéric Farrucci
L’homme qui dit « non » !
Des paysages splendides de la Corse du sud, de ceux qui n’ont pas été violés par un tourisme ravageur. Un berger, Joseph, obstiné à ne pas céder à la mafia ce qu’elle veut lui arracher : sa terre et ce pourquoi il est vivant. Joseph, le seul, l’unique à exercer son activité pastorale dans ce qui est encore un Eden. Joseph, le seul, l’unique, « Le Mohican ».
Le film de Farrucci est bien sûr une référence au roman de James Fenimore Cooper, « Le dernier des Mohicans », qui évoque le sort des Amérindiens en butte à l’avancée de colons venant d’Europe s’installant sur leur territoire. Cette référence symbolise-t-elle la fin d’un monde, celui de la Corse ancestrale, autrement dit toujours. Mais le film ne se confit pas en nostalgie. Il est appel à la résistance, à ne pas se replier sur soi, à se battre.
Alexis Manenti est Joseph, le têtu, l’endurci, l’opiniâtre, le sauvage. Il adore son métier de berger, qui pour lui est liberté. Manenti est un Joseph, qui compose une lenteur sans lourdeur. Un Joseph qui sait ce que sont les liens d’amitié et d’amour familial. Le comédien incarne un berger maître de lui dont le calme saute en éclats quand, pris dans une bagarre, il abat un de ses assaillants. A partir de là il n’a qu’une solution : fuir. Joseph est conscient que son refus de vendre sa terre aux mafieux du coin va l’entrainer dans une cavale interminable.
Au secours de Joseph, Vannina, sa nièce, interprétée par Mara Taquin. Vannina, jeune femme énergique et intelligente ne va pas craindre de défier la jungle corse de la mafia ni la jungle des réseaux sociaux à qui elle est parvient à faire donner le meilleur d’eux-mêmes. Vannina, élevée à Paris, a la Corse dans le sang, ce qui l’autorise à écrire via le net la légende de Joseph, l’homme qui dit « non ». Une légende dans laquelle des insulaires d’aujourd’hui se reconnaissent et font leur.
Les personnages secondaires n’ont rien… d’accessoires car ils sont également le sel de l’histoire. Car ils rythment et ponctuent le suspense que devient la traque de Joseph. Parmi eux ces bergers du sud et du centre de l’île dont les physionomies sont vraies, non altérées par de médiocres calculs voulant qu’ils fassent bien. Il y a aussi le vétérinaire de Ponte Leccia à l’incroyable gueule semblant tout droit sortir du plus terrible conte d’Andersen. Il y a encore cette Stéphanie, incarnée par Marie Pierre Nouveau, au visage de femme crucifiée après l’assassinat de son époux.
On veut que « Le Mohican » soit un western moderne, je verrais plutôt ce film comme un thriller au héros magnifique : ce berger qui dit « non ». Le rythme du « Mohican » est haletant. Il joue de scènes d’intérieur, moments d’écoute et d’échanges alternant avec de larges perspectives ouvertes sur la montagne, avec des vues magnifiques de troupeaux ondoyant escaladant des flancs de collines, avec des déflagrations de manifestations où lalutte collective est complémentaire du cheminement individuel du berger.
« Le Mohican » traite d’une actualité brûlante : spéculation foncière et immobilière ainsi que de l’emprise mafieuse sur la Corse. « Le Mohican », œuvre singulière et œuvre emplie de beauté et d’émotion. Œuvre nécessaire. Œuvre à la réalisation puissante.
Michèle Acquaviva-Pache
• En salle à la mi-mars 2025.
ENTRETIEN AVEC FREDERIC FARRUCCI, cinéaste.
Votre film vous a-t-il été inspiré par une histoire vécue ?
J’ai tourné un documentaire sur un berger du sud de l’île qui m’a dit qu’il aurait du mal à transmettre son exploitation par craintes de menaces qui pourraient peser sur ses enfants tant la pression foncière et immobilière est forte et dangereuse dans son coin, Santa Manza. C’est cela qui m’a inspiré « Le Mohican ».
Dans « Le Mohican » votre berger est harcelé par des spéculateurs fonciers. Cette pression est-elle à vos yeux asphyxiante pour l’île ?
En Corse, je ne suis pas seulement un observateur car ce territoire est partie prenante de moi. Ce problème de spéculation qui touche au territoire me bouleverse, m’habite. Il y a là un problème majeur de l’île mais qui existe aussi ailleurs, si bien qu’aborder cette question ici c’est aborder cette question ailleurs et tendre à l’universel. Ce problème, c’est, pour moi, important de le traiter cinématographiquement.
Comment avez-vous choisi vos personnages principaux ?
Avoir tourner un documentaire sur un berger et un autre sur le vétérinaire de Ponte Leccia a nourri mon film. Alexis Manenti pour incarner le berger était une évidence, car c’est un comédien qui a une intensité et une justesse de jeu remarquable. Mara Taquin pour interpréter Vannina, la nièce de Joseph, le berger, s’est aussi vite imposé par son énergie, par son côté frondeur et anar. C’est également une militante, elle a donc très vite compris son personnage qui a des affinités avec elle. Joseph c’est l’homme qui dit « non » sans expliciter sa pensée. Vannina va décrypter l’histoire de son oncle et révéler son aspect politique. J’aime que ce rôle soit joué par une jeune femme.
Difficile de diriger des comédiens non professionnels et des comédiens « pros » ?
Il faut comprendre comment fonctionnent des amateurs en les plongeant dans des scènes de vie, qui sont plus importantes que des répétitions. Ensuite il est intéressant de les confronter avec des professionnels en demandant à ces derniers de se plier à eux. Alors on se trouve face à une passionnante dynamique… A tous on doit accorder beaucoup de liberté sans toutefois perdre le sens d’une scène…
Dans votre court-métrage « Entre les lignes » vous filmez merveilleusement des enfants. Dans « Le Mohican » vous capter formidablement les chèvres du troupeau de Joseph. Avez-vous dû vous entrainer longuement ?
Les chèvres ne sont pas des animaux dociles. Elles ont leur personnalité. Pour les filmer j’ai fait appel à Joseph Terrazonni, le berger de mon documentaire. J’ai demandé encore à MaraTaquin et à Alexis Manenti de s’imprégner des bêtes pour qu’elles les admettent parmi elles.
Votre film est une ode au maquis et aux grands espaces, a contrario la plage sur fréquentée est vue tel un enfer ridicule. Deux réalités inconciliables ?
C’est la complexité de la Corse : désert de l’intérieur et surpopulation du littoral… Cette opposition je l’illustre par une course-poursuite qui est fuite.
Vannina allie en elle l’archaïsme du monde agropastoral et la modernité par son usage des réseaux sociaux. N’est-elle pas un lien entre ces deux univers ?
Vannina est ce que j’appelle « une métis civilisationnelle ». Elle est bien un lien entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. Elevée à Paris elle a toujours gardé des rapports étroits avec ses racines corses. Elle parvient à reprendre le troupeau de son oncle et simultanément elle utilise les réseaux sociaux pour faire connaitre le sort injuste de Joseph et pour susciter de la solidarité à sa cause.
La cavale de Joseph ne rappelle-t-elle pas celle d’Yvan Colonna ?
Avec « Le Mohican » j’ai tourné un film sur la Corse contemporaine. Je suis dans le réel de cette île et j’en suis boulimique. Mais en même temps je suis dans la fiction ce qui implique que je laisse les choses advenir. Si la fuite de Joseph fait penser à celle d’Yvan Colonna je n’en suis pas conscient ! Le conflit de territoire dont je prends note en Corse entre intérieur et littoral provoque en moi de la colère car il y a en l’occurrence mise en danger de gens qui ne veulent pas céder aux pressions mafieuses malgré les conséquences qui peuvent en suivre. L’émeute des jeunes devant un commissariat et leurs manifestations sont là pour montrer que nous sommes en face d’une jeunesse qui n’est pas banale. En fait, je filme des moments haletant qui alternent avec des pauses qui relèvent d’un cinéma d’atmosphère où l’on voit simplement les gens parler, discuter.
Quelle musique avez-vous demander à Rone, César de la musique pour votre film « La nuit venue » ?
Rone en tant que compositeur est intervenu au montage. Il fallait qu’il s’adapte au territoire et aux gens pour trouver la juste mesure, être organique tout en restant lyrique.
La Corse fabrique-t-elle vraiment toujours des légendes ?
La Corse demeure terre de légende. Elle continue à en fabriquer à partir de personnages du quotidien ancrés dans la réalité présente. Cette mythologie populaire contemporaine m’intéresse à mettre en scène.
Propos recueillis par M.A-P
Photo : M.A.P