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Le philosophe -roi

Olivier Battistini , le philosophe- poète
Olivier Battistini, le philosophe-poèteOlivier Battistini, depuis sa terre de Sartène, qui devient ainsi le centre du monde, telle la gare de Perpignan pour le grand Salvador Dali, nous donne à lire son Platon, le philosophe-roi[1] que la critique unanime salue comme un ouvrage majeur.





Des générations d’étudiants à la Faculté des lettres de l’Université de Corse ont le souvenir de ses fulgurances et de son approche passionnée du monde grec et de ses philosophes. Ils sont allés ainsi par la grâce d’un médiateur hors pair à la source de ce qui nous constitue, même si aujourd’hui il est de bon ton de vouloir obscurcir nos esprits avec un sabir incompréhensible mêlant diversités et « droit de l’hommisme » triomphant pour mieux nous asservir.

La lecture de cet ouvrage est roborative dans notre époque déliquescente, car, plus que jamais, « il faut fuir la sécheresse d’une pure raison ennemie d’une harmonie essentielle »[2]. Raison qui nous fait rejeter la divinité et son mystère, ainsi, « la méconnaissance du rôle de la divinité est la menace la plus grave qui pèse sur la sauvegarde et l’excellence de la cité. Dans les Lois, le législateur doit donner de la voix pour se faire l’auxiliaire de l’antique tradition qui veut qu’il y ait des dieux. L’âme “antérieure à tous les corps” est le principe de leur changement et de leurs métamorphoses, la cause des causes. »[3]

Alors que partout tous n’ont que le mot démocratie à la bouche que l’on oppose naturellement à celui de fascisme, Olivier Battistini nous guide vers la pensée subtile. Il nous rappelle qu’un mot n’est rien s’il ne correspond pas à la réalité. Ainsi, nous indique-t-il, pour Platon, la perversion de la cité commence avec la fraude des mots.

Il nous rappelle ainsi que la démocratie dont parle Platon, au IVe siècle, n’est plus celle d’un peuple souverain qui débattait au nom d’une abstraction, la cité qui se mirait dans le ciel des mathématiques, mais celle du « gros animal » flatté et dressé par les démagogues, les conducteurs de peuple, une démocratie qui s’éloigne de celle, idéale dans sa pureté originelle.

Ainsi, nous indique Olivier Battistini, Platon, qui est « toujours prêt à l’action, à la lutte politique », ne pouvait que s’opposer à ces situations de
démocratie
d’apparence, où tout est faux, en ce qu’il est « l’ennemi farouche de [cette] démocratie, de son hybris et de son désordre qui brisent l’unité de la polis », parce qu’avec ces systèmes dévoyés « les institutions démocratiques sont fondées sur l’égalité isonomique de chaque citoyen dans sa participation aux affaires de la cité, qu’il soit compétent ou non en matière politique ou juridique, qu’elles privilégient l’opinion au détriment de la sagesse et de la connaissance »[4]. Et il poursuit en citant le Maître lorsqu’il indique : « La démocratie
est une constitution politique séduisante, anarchique et hétéroclite, assignant indistinctement une égalité bien particulière tant aux égaux qu’aux inégaux » [5].

En ce cela l’antique pensée nous exhorte à sortir des manichéismes ordinaires, et de l’usage de concepts que l’on a, au préalable, vidés de leur sens, comme a pu le constater Platon, et qui sont par trop la marque de notre temps.

Dans cet ouvrage foisonnant et iconoclaste, mais toujours fidèle aux sources qu’il nous permet de retrouver, Olivier Battistini ne perd jamais le lien avec le réel. Mais comment le pourrait-il d’ailleurs sans se renier ?

Il nous appelle à retourner vers le sensible, car « le sensible conduit à l’intelligible, ce dernier ne devant pas nécessairement supprimer le premier [6], pour nous éloigner des faussetés d’une appréhension factice du monde, telle que celle que veulent nous donner des médias complaisant à travers notamment les poubelles de la télé dite… « réalité ».

Parce que, comme le souligne Olivier Battistini, « ce que nous aimons, c’est être, être en acte, et parce que, animal politique, l’homme ne peut atteindre son energeia sans les autres, la philia s’avère le lieu où s’échangent nos possibilités d’être. La philia commence par l’être et se termine par lui ».[7]

C’est l’homme, dans ses interactions et dans sa nature, qui est ainsi remis au centre la construction sociale, dans son animalité – essentielle – aussi, loin du prêt-à-penser, ou plutôt de l’ersatz, soupe immonde que l’on nous présente quotidiennement comme devant être ingurgitée jusqu’au gavage.

C’est un Platon,vivant que nous propose de rencontrer Olivier Battistini, un Platon ancré dans la modernité car intemporel, un philosophe-roi dans notre monde de marionnettes dans lequel on nous veut faire accroire que nous avons atteint le sommet de la civilisation et la plénitude du vivre.

Mais, ce faisant, nous oublions que, comme nous le rappelle l’auteur, « Homère, Thucydide et Platon le savaient, les civilisations meurent de l’intérieur, comme jadis Ilion fut prise »[8].


Jean-François Poli


[1] O. Battistini, Platon, Le philosophe-roi, Préface de Michel Maffesoli, Ellipses, « Biographies & mythes historiques », Paris, 2024.
[2] O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p.14.
[3]Ibid.
[4] O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p.162
[5] Platon, République, VIII, 558 c, trad. A. Sokolowska in O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p.162.
[6] O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p. 232
[7] O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p.166.
[8] O. Battistini, Platon, le philosophe-roi, ibid., p.460.

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