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Les ravages de l'urbanisme en Corse

U Levante a publié la contribution n°72, anonyme, très argumentée, déposée le 20 septembre 2024 (à l’attention de Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les membres du conseil municipal, Madame la commissaire enquêtrice)
Les ravages de l’urbanisme en Corse


U Levante a publié la contribution n°72, anonyme, très argumentée, déposée le 20 septembre 2024 (à l’attention de Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les membres du conseil municipal, Madame la commissaire enquêtrice) dans le cadre de l’enquête publique relative au projet du plan local d’urbanisme (PLU) de Zonza. La longueur de cette contribution et la richesse de son contenu interdisant d’y apporter des coupures majeures, nous conduisent à le publier en deux fois. Voici la première partie.


Je suis frappé par l’absence de concordance entre d’une part : les objectifs affichés de l’élaboration du PLU qui sont soit de grandes généralités, comme la transition énergétique et le changement climatique, privées de toute traduction concrète ; soit des petites opérations ponctuelles et très ciblées (scierie, hippodrome, hôtel au village…) ; d’autre part, le contenu pratique et opposable du document réglementaire qui nous est présenté, qui consiste à laisser faire, par classement de centaines d’hectares en zone U, ce qui s’est fait ces dernières décennies, sans aucune maîtrise publique, ou alors totalement marginale, voire alibi. Mon observation va nécessairement adopter un ton un tantinet fâcheux, sans toutefois viser le mérite des personnes qui sont à l’origine de ce plan ou de la situation que nous connaissons aujourd’hui. Mon but n’est pas de régler des comptes ni de préparer un combat électoral, mais de faire en sorte d’arrêter la machine à détruire notre territoire et à obérer le potentiel de qualité de vie et de prospérité de ceux qui nous succéderont.

La situation sur la commune de Zonza

Les politiques publiques déployées en Corses ont totalement inefficaces. Elles se focalisent officiellement sur des secteurs sans dynamique, où les enjeux sont donc faibles. Elles démissionnent totalement des zones à forts enjeux, là où les initiatives individuelles peuvent réellement, en l’absence de maîtrise, saccager notre territoire…

La commune de Zonza illustre à elle seule la situation dans laquelle se trouve la Corse : un territoire montagnard faiblement habité mais qui conserve son statut officiel de cœur du territoire et de centre de toutes les attentions politiques (la mairie est au village, ça va de soi, mais n’y cherchez ni le maire ni les services, ils sont à la mairie annexe à Sainte Lucie) ; une plaine et un littoral desservis par les axes routiers principaux où s’opèrent toutes les transformations, sans que la puissance publique n’ait déployé le moindre effort pour maîtriser ce qui s’y passe, et encore moins pour ralentir ou empêcher.

A Zonza, on fait semblant de se préoccuper de l’intérieur, du rural, et peut-être fait-on sincèrement semblant, mais on laisse courir la plaine. Or la géographie impose ses évidences. C’est en plaine que se concentre le potentiel de création de richesses agricoles, industrielles, que la logistique peut déployer son efficacité. C’est sur le littoral, qu’on le veuille ou non, que le tourisme porte son attention. La montagne c’est magique, mais les randonneurs ont le défaut de consommer très peu, et surtout de payer des sommes modiques pour leur hébergement. Les touristes du littoral paient plus cher, consomment de l’eau, ont des voitures dont on peut faire payer le stationnement, etc, etc.

Littoral nord de la commune de Zonza :

Pinarellu en 2020 (image Google Earth)

Que fait la municipalité de Zonza dans la plaine et sur la côte ? Elle délivre beaucoup de permis de construire ou de lotir et accompagne, via le SIVOM, le développement des constructions en tirant des tuyaux, avec un bilan économique global désastreux, tant le linéaire de tuyaux est important par rapport au nombre d’habitants desservis. A Zonza, pas plus qu’ailleurs en Corse du Sud, on n’a jamais créé la moindre rue depuis un siècle. On se contente de disséminer des constructions le long des chemins départementaux ou vicinaux existant depuis des siècles, qu’on s’est contenté de bitumer. On a même transformé en voie routière l’ancienne voie ferrée dont la vocation était tout autre et l’usage aurait pu être bien plus moderne et durable, incapables que nous sommes de créer une rue nouvelle et de conserver un moyen de transport collectif !)… et on s’en remet à la région pour créer un contournement, tant le modèle de non-développement de la commune a entraîné l’augmentation du nombre d’automobiles en circulation… Les communes voisines ayant fait de même, avec la passivité complice de la région, la route Bastia / Bonifacio, anciennement nationale, en est réduite à servir de desserte locale et à être parfois saturée.

Conséquences et causes à Zonza et

ailleurs

Cette transformation de l’espace a des conséquences. Elle est coûteuse en infrastructures. Elle a aussi des impacts forts sur les émissions de gaz à effets de serre puisqu’elle condamne à la disparition une espèce menacée qu’on ne trouve déjà quasiment plus en Corse : le piéton ; les derniers spécimens de cette espèce appartiennent à la sous-espèce des randonneurs, ils ne viennent plus en Corse qu’en été, depuis le continent ou l’étranger, ils se limitent à la montagne, la plaine n’étant pas accueillante pour eux. Enfin, elle affecte la qualité de vie des gens qui, habitant ici toute l’année, sont obligés en saison de subir les nuisances liées à la disproportion entre le nombre de personnes présentes et la capacité d’accueil du territoire. Pourtant, si ce phénomène délétère pour les générations futures existe, ce n’est pas pour rien ou par l’action du démon, c’est bien qu’il a aussi des avantages. Du moins pour certaines personnes des générations présentes ou passées. Elles sont assez faciles à identifier. Du fait de l’attractivité touristique de la Corse (et principalement du goût des clientèles continentales pour un certain type d’hébergement dans un certain type de destinations, dont la Corse fait partie), celui qui fait construire une maison répondant à certains critères de standing, d’accessibilité, d’orientation (vue mer), d’isolement par rapport aux voisines, a la possibilité de la louer tellement cher ou de la vendre tellement cher qu’il devient riche sans délais. Le prix de vente d’une maison, de luxe ou pas, est immédiatement supérieur à ce que coûte sa construction, sous réserve que le prix d’acquisition du terrain n’excède pas un certain plafond.

On peut facilement identifier deux modes de calcul de la rentabilité d’une construction. Ceci, selon qu’on envisage : sa vente immédiate (forcément pour des résidences secondaires puisqu’il n’y a pas à Zonza un tissu économique suffisant pour verser des salaires permettant aux gens qui y travaillent de loger dans des villas de luxe…) ou sa location saisonnière (qui suppose d’emprunter le montant de la construction et de rembourser les traites pendant quelques années avant d’encaisser de disposer d’un énorme patrimoine net de dettes).

Dans notre région, la période de taux d’intérêts extrêmement bas que nous avons connus depuis 20 ans a permis aux gens qui faisaient construire des maisons sur des terrains peu coûteux (c’est-à-dire les terrains dont ils étaient déjà propriétaires de longue date, car mécaniquement, les terrains « à vendre » se sont alignés sur le prix maximal que pouvait supporter l’équation), de s’enrichir vite. Ils ont pu le faire de deux façons différentes : en vendant immédiatement leurs réalisations (parfois même sur plans !) ; en restant propriétaires et en percevant des loyers généralement supérieurs au montant des remboursement d’emprunt (l’économie de rente au sens premier du terme). L’extrême sud de la Corse en particulier est truffé de personnes physiques, Corses d’origine pour l’immense majorité d’entre elles, Corses d’adoption pour une minorité, qui vivent grassement des fruits de ce système. Ce système a aussi enrichi des gens qui n’habitent même pas ou même plus en Corse.

Au-delà des coûts pour la collectivité publique déjà évoqués, ce système à un inconvénient majeur pour les populations locales. En créant des références de prix élevées, il tire vers le haut le marché immobilier et renchérit l’accès au logement des gens qui n’ont que depuis 20 ans a permis aux gens qui faisaient construire des maisons sur des terrains peu coûteux (c’est-à-dire les terrains dont ils étaient déjà propriétaires de longue date, car mécaniquement, les terrains « à vendre » se sont alignés sur le prix maximal que pouvait supporter l’équation), de s’enrichir vite. Ils ont pu le faire de deux façons différentes : en vendant immédiatement leurs réalisations (parfois même sur plans !) ; en restant propriétaires et en percevant des loyers généralement supérieurs au montant des remboursement d’emprunt (l’économie de rente au sens premier du terme). L’extrême sud de la Corse en particulier est truffé de personnes physiques, Corses d’origine pour l’immense majorité d’entre elles, Corses d’adoption pour une minorité, qui vivent grassement des fruits de ce système. Ce système a aussi enrichi des gens qui n’habitent même pas ou même plus en Corse.

Au-delà des coûts pour la collectivité publique déjà évoqués, ce système à un inconvénient majeur pour les populations locales. En créant des références de prix élevées, il tire vers le haut le marché immobilier et renchérit l’accès au logement des gens qui n’ont que différente et pourtant très proche du continent européen qui reste la plus grande concentration au monde de gens à forts revenus), la recherche d’enrichissement sans travail ni créativité particulière, par le seul maniement des équations de la promotion et de l’inves-tissement immobilier, tendra à favoriser la dispersion de villas sur la frange littorale et à proximité des axes routiers (proximité de l’aéroport et du supermarché). Le modèle valorise l’habitat diffus, sans vis-à-vis, plus facile à louer cher. Il favorise tout ce qui rapporte à l’opérateur individuel, en renvoyant les coûts, ce qu’on appelle les externalités, sur la collectivité. D’un point de vue macroé-conomique, il est tout sauf optimal, puisqu’il pénalise le bon fonctionnement du territoire, donc sa capacité à accueillir croissance durable de la population et des emplois. Et la rente qu’il verse dans la durée à celui qui en profite est très faible par rapport à l’inves-tissement initial qu’il implique pour l’ensemble de la chaîne. A la différence d’un investissement productif, qui induit l’apparition d’emplois et/ou d’entreprises avec une création pérenne de richesses, un investissement immobilier résidentiel ou paratouristique ne crée réellement d’emplois qu’au moment de la construction. Si ce modèle a tant de succès, ce n’est pas parce que ses vertus seraient supérieures à ces inconvénients et que la société aurait décidé collectivement de l’adopter. Bien au contraire, la société a régulièrement décidé de s’y opposer à chaque fois qu’elle a eu à se prononcer globalement.

Effet de la décentralisation : des élus

locaux sous pression

Si ce modèle a colonisé la Corse et l’a transformée depuis quelques décennies, c’est parce que ceux dont il sert les intérêts immédiats, à savoir les propriétaires fonciers en premier lieu (une part importante des électeurs), les promoteurs et entreprises du BTP en second, contrôlent directement ceux qui valident la réalisation des opérations, ceux qui donnent le droit de faire : les élus locaux. L’élu local, si désintéressé soit-il, si motivé soit-il par la défense de l’intérêt général, celui de la collectivité dont il parvient en général à se faire une idée plus ou moins précise, est NÉCESSAIREMENT enclin à tenir compte des doléances de ceux qui viennent le solliciter pour leur accorder permis de construire ou zone constructible. Ce n’est pas criminel, c’est normal. L’élu local voit le verre au quart plein, c’est-à-dire la satisfaction du besoin ou de l’envie de son administré, plutôt que les trois quarts vides, à savoir le coût environ-nemental et social de l’opération… et c’est comme cela qu’une succession de petits intérêts particuliers prennent le pas sur un seul intérêt général, si gros et prioritaire soit-il, car ce dernier n’a personne dans nos institutions démocratiques pour le défendre solidement face à la conviction affutée des pétitionnaires individuels.

Tout observateur avisé constatera qu’en Corse, l’épopée du béton coulant à flot presque partout n’a pas commencé n’importe quand, et a pris une forme singulière. En effet, dans d’autres régions touristiques de Méditerranée, le développement immobilier touristique a émergé dans les années 1960, et a pris la forme de grandes opérations impulsées par l’État et portées par de grands opérateurs. Cette vague a quasi intégralement épargné la Corse. Les nationalistes chercheront à valoriser l’influence du FLNC (né en 1976) dans ce sursis, au mépris des dates. Mais si certains veulent croire que le FLNC a préservé la Corse d’un phénomène qui faisait déjà rage de l’autre coté de la mer et menaçait donc déjà potentiellement la Corse quinze ans avant sa création, grand bien leur fasse. Avec un peu plus d’objectivité, on constatera que mis à part le cas particulier ajaccien, le désordre immobilier a conquis la Corse seulement à partir du début des années 1980, date des lois de décentralisation et du transfert de compétence aux maires en matière d’application du droit des sols. Avant ça, il était plus difficile de maîtriser les décideurs (préfets et sous-préfets), pour deux raisons : ils étaient moins proches donc moins accessibles au commun des électeurs, et moins influençables puisque nommés par le gouvernement et non élus. Et ils pouvaient au final, même si ça peut paraître choquant, mieux défendre l’intérêt général que l’élu de proximité, dans le cas d’espèce. Ce schéma général peut connaître des exceptions bien sûr, mais il faut en retenir l’essentiel : avec un pouvoir de décision concentré et lointain, seuls les plus gros opérateurs pouvaient influencer la délivrance des autorisations. C’était l’époque des gros ensembles, dont la Corse n’a connu que quelques exemples, le plus souvent inachevés par rapport aux ambitions initiales (marines de Balagne et de Saint Florent / Patrimonio notamment). La population dans son ensemble et les élus locaux avaient, dès cette époque, conscience que ce modèle de développement immobilier n’était pas souhaitable pour la Corse, et ils s’y sont opposés. Il était logique, en démocratie, d’exprimer des positions opposées à un modèle contraire à l’intérêt général, et ne profitant qu’à quelques gros opérateurs, fussent-ils publics et censés servir les intérêts de la Corse comme la SETCO. Les grands ensembles touristiques n’ont donc pas conquis la Corse.

Fin de la première partie (suite dans le prochain numéro)



Association U Levante

Photo : Association U levante
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