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« Parolle Vive »… tout sur Kafka
Cinéma. Théâtre. Conférence.



Il y a cent ans disparaissait Franz Kafka. L’association, « Parolle Vive », dirigée par Raoul Locatelli et Virginie Cervoni a eu l’heureuse idée de nous faire revivre un peu, beaucoup du fantastique écrivain de la Mitteleuropa grâce à deux films, un de Soderbergh, l’autre d’Orson Welles, à deux lectures théâtralisées avec Xavier Tavera et Robin Renucci, accompagnés au piano par Nicolas Stavy. Une remarquable conférence d’Isabelle-Rachel Casta était également au programme de ce bel exercice de mémoire.




Isabelle-Rachel Casta a su tenir son assistance en haleine de bout en bout avec beaucoup de passion et des connaissances très fines, très exigeantes de l’auteur pragois de langue allemande. La conférencière nous a restitué cet écrivain majeur de façon vivante, imagée, révélant des pans fréquemment ignorés de sa biographie qu’on ne peut pas séparer de son œuvre.

Franz Kafka naît dans une famille juive germanophone dans ce qui est alors la capitale de la Bohême. Ses parents commerçants avides d’honorabilité n’ont de cesse de gravir l’échelle sociale, pour cela ils passent leur temps à déménager dans des immeubles de plus en plus cossus. A 14 ans Kafka commence à écrire régulièrement et continuera sans arrêt à le faire par la suite. Devenu à l’âge adulte très séduisant il aura énormément de succès dans les cercles littéraires des cafés huppés. Après des études de droit qui le conduisent au doctorat, il opte pour une carrière dans les assurances. Au bureau le matin, à la sociabilité ensuite, il consacre ses nuits à écrire.

Nouvelles, essais, romans, missives, journal il touche à tous les genres. On le dit en état de création continuelle. Tout lui parait sujet d’intérêt : l’évocation d’un animal le mènera sur la piste de bizarreries, une condition banale le poussera à inventer quelque objet invraisemblable, une situation vécue au travail l’entrainera à se moquer de la bureaucratie.Son cerveau continuellement en alerte, il pourra faire un sort à son entourage, en particulier à son père avec qui il est loin d’entretenir des rapports idylliques. Derrière les scènes les plus surprenantes, les plus déstabilisantes qu’il donne à lire, il faut comme dans « Alice u pays des merveilles » passer de l’autre côté du miroir.

Assureur, Kafka ne l’est pas seulement pour gagner sa vie car sa profession l’aide à mieux comprendre son environnement social. Il déploie ses fantasmagories pour mieux atteindre le vrai sinon un certain réel. Kafka cultive l’ironie tel un art majeur. La culpabilité, la perte d’identité sont aussi des thématiques qui imprègnent son œuvre.

Vers la fin de son existence alors qu’il séjourne à Berlin, Franz Kafka rencontre dans un parc de la ville une petite fille en pleurs : elle a perdu sa poupée ! Le grand échalas qu’est devenu l’écrivain, rongé par une tuberculose qui l’a terriblement amaigri, va la consoler en lui racontant que sa poupée est partie en voyage et qu’elle lui adressera une lettre tous les jours. Kafka promet et sa promesse il la tiendra… Touchante cette scène et révélatrice de son souci d’être attentif aux autres qu’ils soient enfants ou de pauvres miséreux estropiés par l’usine.

Michèle Acquaviva-Pache



                                         ENTRETIEN AVEC ISABELLE-RACHEL CASTA,CONFÉRENCIÈRE.


Pourquoi dit-on que Kafka est un représentant typique de la Mitteleuropa ?
La Mitteleuropa au XIX è siècle couvre en gros la superficie de l’Empire Austro-Hongrois, qui comprend plusieurs entités correspondant à des langues et à des religions. Kafka est un juif allemand de Prague. La Mitteleuropa se caractérise par un esprit moqueur, universaliste, cosmopolite où les minorités usent volontiers d’ironie et de sarcasmes par rapport au pouvoir. Chez Kafka on retrouve ces traits de caractère… Humour, liberté de pensée vont s’étioler à l’arrivée d’Hitler et des fascismes comme en Roumanie. L’antisémitisme, qui existait bien avant, devient alors de plus en plus violent.

Par quels ouvrages entrer dans l’univers de Kafka ?
A mon avis il faudrait commencer par les nouvelles dont « Le terrier », « Dans notre synagogue », « Un croisement » puis lire « La métamorphose » et « Le disparu », qui est un roman aimable aux dialogues de fine plasticité.

Pour quelles raisons a-t-on appelé Kafka, « l’amant épistolier » ?
Il aimait les femmes et surtout leur écrire. A Felice Bauer, à laquelle il s’est fiancé, il a écrit 500 lettres et cinq ans. C’est à distance qu’il a préféré lui déclarer dans ses missives qu’il l’aimait à la folie ! Avec Milena Jesenkà, écrivaine et journaliste, après quatre jours de passion érotique il a mis les mots entre elle et lui, optant pour un désir d’échange plutôt que pour l’amour physique. Un court moment il s’est fiancé avec Julia Wohryzek à laquelle il adresse quelques lettres. Sa passion érotique, spirituelle, affective c’est Dora Diamant, une très jeune femme qui travaillait dans un home d’enfants juifs. Elle était belle, intelligente, cultivée et complètement soumise à Kafka. Contrairement à ses trois dames de cœur précédente, qui exerçaient une profession et étaient indépendantes financièrement, elle était démunie d’argent. Avec Dora il se trouvait en terre féminine…


Vous avez intitulé votre conférence, « Kafka l’intranquille ». Quelle ressemblance entre lui et l’immense écrivain portugais, « Pessoa », qui s’était qualifié ainsi ?
Plutôt que d’une ressemblance je parlerais d’un air de famille ! Les deux sont des éternels marginalisés dans leurs sociétés dont ils sont des observateurs moqueurs. Pessoa veille à garder une intégrale autonomie. Il n’obéit pas au gouvernement portugais. Au bureau on l’appelle « Monsieur Personne ». Il multiplie les pseudonymes et cette multiplicité de noms nous renvoie à une multiplicité d’identités… L’intranquillité de Kafka est d’ordre familial, amoureux, religieux. Il a d’ailleurs beaucoup de mal à devenir un vrai juif !

On avance que Kafka aurait laïcisé le judaïsme. Il n’en a pas moins été attiré par le sionisme et a appris l’hébreu et le yiddish. Y-a-t-il contradiction ?
Pas du tout. Le judaïsme est une religion sans Dieu. A ce sujet on cite souvent Albert Cohen : « Sois sans Dieu Israël peuple de Dieu ». Le judaïsme est une religion de la question, non de la réponse sous cet aspect on peut parler de laïcité.


Assureur de profession Kafka était docteur en droit. Quelle est l’importance de cette discipline dans son œuvre ?
Il était un excellent assureur et ses rapports sont encore étudiés aujourd’hui. Le droit était pour lui structuration de la pensée et ouverture au monde. Sa connaissance aigue du droit lui permettait d’aider les petites gens victimes d’accidents du travail dans les usines et les ateliers. Dans son bureau il voyait défiler toute la misère du monde et devint le meilleur défenseur des miséreux. Pendant la guerre de 14 – 18 il a bien connu les ravages endurés par les soldats.


Dans « Les soucis du père de famille » l’écrivain invente Odradek, un curieux personnage-objet. Quelle est sa symbolique ?
Odradek est une personne, un animal, une chose. Il a une forme d’étoile, évocation de l’étoile de David. Cette créature appartient à tous les règnes. Il est encore éternel, parfois il disparait, parfait il réapparait. Il est la synthèse de toutes les interrogations qu’on peut se poser sur Kafka.


Dans certains de ses livres le prénom du protagoniste principal se réduit à une initiale. Qu’est-ce que cela signifie ?
Pour Kafka c’est une manière de s’éloigner d’une conception classique du roman, d’effacer tout naturalisme, d’éliminer les détails véristes, de se limiter à l’essence de l’identité contenue dans l’initiale.


Comment interpréter « La métamorphose » ?
Le récit raconte la transformation du personnage principal en monstre, transformation qui découle de sa culpabilité d’avoir voulu prendre la place du père et de l’émasculer. Puis l’éviction du monstre va favoriser la restauration de la famille qui voit le père de famille réintégrer la place qui était la sienne lorsqu’il apportait à la maison l’argent du pain quotidien. Au final, la femme de ménage va balayer le reliquat du monstre devenu chosifié.


De quelle façon appréhender l’histoire des lettres à la petite fille qui a perdu sa poupée dans un parc de Berlin ?
Cette histoire a été racontée à Max Brod, le grand ami de Kafka, par Dora Diamant. Dans cette anecdote l’écrivain, consolateur de l’enfant, prend une extraordinaire dimension humaine. Elle montre toute sa sensibilité aux humbles, tout son amour de l’humanité.


Propos recueillis par M. A-P
Photos : Michèle Acquaviva -Pache
Isabelle-Rachel Casta est professeure émérite de l’université d’Artois, spécialiste de littératures noire, fantastique et criminelle.









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