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Quand la cagoule va à confesse

Confessions d'un patriote corse

Quand la cagoule va à confesse
Confessions d’un patriote corse : des services secrets français au FLNC par Jo Peraldi et Frédéric Ploquin



Impossible d’oublier Jo Peraldi qui après avoir travaillé pour Paris Match a été le photographe attitré du Provençal Corse. Voilà que dans un livre curieusement intitulé Confession il raconte grâce à la plume de Frédéric Ploquin journaliste spécialisé dans le grand banditisme, son aventure personnelle au sein des FLNC. Impressions de lecture et d’atmosphère.


Un ouvrage qui ne s’embarasse pas des détails


L’écriture est fluide et celui qui ne connaît rien au déroulé de la violence clandestine corse trouvera son content en parcourant le récit de ce Corse pied-noir qui commença par combattre les indépendantistes algériens pour finir dans les rangs des indépendantistes corses bien qu’il se défende paradoxalement d’avoir été pour l’indépendance. Quelques remarques dtout de même sur des erreurs de détail qui à force de se multiplier finissent par donner une impression de travail un rien bâclé par Frédéric Ploquin. Toutes les expressions corses sauf la dernière contiennent au moins une faute d’orthographe ou de traduction. L’horrible assassinat de deux Tunisiens rue des Trois Maries en janvier 1986 est ici présenté comme l’élimination de dealers. Le FLNC lui-même a concédé avoir « commis une erreur ». Les deux victimes n’ont pas été tuées chez l’un d’entre eux comme il est affirmé dans l’ouvrage, mais dans la rue par un seul tireur. Dans le cadre de la lutte contre la drogue il est question de « l’exécution d’une vingtaine de personnes en neuf mois » chiffre qui n’est étayé par aucune statistique. En tout et sur plusieurs années là « lutte contre la drogue » affiche un bilan largement inférieur à dix victimes. Fort heureusement. L’attentat contre Cavallo n’a pas été commis dans la nuit du 5 au 6 janvier 1990, mais le jour d’après. Le préfet Broussard censé avoir commenté cette action n’était plus en Corse depuis cinq ans. « La mafia n’a jamais riposté », écrit Jo Peraldi. Et pour cause, la CODIL société d’exploitation de l’îlot dirigée par Pier Luigi Vignuzzi puis par Lillio Lauricella, deux authentiques mafieux, a payé l’impôt révolutionnaire aux deux FLNC et n’a plus été inquiétée. Il y a confusion entre « les poussettes », façon de manipuler une situation et les « poucettes », anciennes menottes. Jean-Pierre Leca n’a pas été abattu le 17 février 1995, mais la veille. Luc Belloni n’a pas été assassiné le lendemain, mais le 23 avril de la même année. Le FLNC Canal habituel n’a pas annoncé officiellement sa dissolution en janvier 1996, mais un an plus tard le mercredi 29 janvier 1997 après deux ans d’agonie. Il y a erreur sur la conversion de francs en euros. Pierre Jean Massimi n’a pas été assassiné sur la route d’Asco, mais devant son domicile. Et cette liste n’est pas exhaustive, mais la place manque pour citer toutes les confusions, toutes les erreurs qui minent un récit et amènent à se demander quel a été le rôle exact de Frédéric Ploquin dans la rédaction de ce livre. C’était son rôle de vérifier de tels détails.

Deux affaires étrangement présentées


Intéressante et passionnante est la description que Peraldi fait de sa participation majeure à la cavale d’Yvan Colonna. Pour ce qui concerne la disparition de Guy Orsoni, Peraldi tangue entre la version officielle du FLNC et la version policière rendant au passage un étrange, mais honnête hommage au commissaire Broussard. Il donne des précisions sur la mort du militant qui auraient mérité qu’il livre ses sources, car même les rapports de police et de justice ne les mentionnent pas plus que le propre frère de la victime dans son ouvrage mémoire Le Maquis ardent. Pour ce qui concerne l’attaque de la prison d’Ajaccio, la version de Peraldi diffère de celle décrite par Alain Orsoni dans ce même ouvrage. A-t-il eu droit aux confidences d’un ou de plusieurs membres du commando ou a-t-il imaginé les scènes décrites ? Nous ne le saurons jamais.

Ces innombrables généraux d’une armée morte


L’ouvrage de Jo Peraldi vient s'ajouter à ceux déjà édités par d'anciens militants du FLNC et d'inégale qualité. Citons en tête le plus prolixe, Pierre Poggioli et ses 23 ouvrages, Jean-Pierre Santini avec trois livres dont FLNC de l’ombre à la lumière, Pantaleon Alessandri et sa Mémoire d’un franc-tireur, Alain Orsoni avec Un destin corse : le maquis ardent, Leo Battesti avec A Maffia nò sans oublier l’incontournable Pour solde de tous comptes de François Santoni et de Jean-Michel Rossi. Citons mais à part le récit livre par Michel Ucciani Natio du FLNC au grand banditisme. Ce maquis littéraire a les apparences d’une couronne mortuaire pour un FLNC défunt. C’est une page de l’histoire insulaire qui se tourne avec ses bilans mélancoliques et douloureux.

Jo Peraldi l’incarnation du soldat français déçu


Ce qui est particulièrement intéressant chez Peraldi est cette nostalgie omniprésente d’une France impériale qui a peu à peu abandonné ses colonies et notamment l’Algérie. Comme beaucoup de clandestins, il est l’enfant perdu de ces Corses qui formaient les premières lignes de régiments coloniaux. Jo Peraldi, qui a appartenu aux services de renseignement de la Territoriale en Algérie, exprime une fascination partagée par beaucoup de clandestins pour l’armée française et plus particulièrement ses corps d’élite… Méthodes, habillement, armement, le FLNC — d'abord le secteur V du a chercher à récréer l’armée morte de la France fantasmée. Peraldi se raconte avec une émotion sincère l’Algérie de son enfance, son engagement sans frein dans la lutte contre l’insurrection puis celui aussi passionnel au sein du FLNC. Il a pris cette décision qui allait le marquer à vis en constatant, écrit-il, le sort des paysans corses était peut-être pire que celui des indigènes algériens — une exagération évidente — et au passage il sa fraternité admirative pour deux anciens paras, Marcel Lorenzoni et Pierre Albertini. Fait pour le moins paradoxal : la défaite algérienne a précipité bon nombre de Corses pieds-noirs dans la clandestinité insulaire, ceux-là même qui, de façon schizophrène, lancèrent une campagne tournée contre les pieds-noirs, comme si en définitive le vrai reproche adressé à la France était d’avoir été assez faible pour perdre sa splendeur impériale et coloniale. Ainsi le secteur V de l’organisation clandestine, celui auquel appartenait Peraldi, avait été créé sur le modèle des commandos Delta de l’OAS. Le FLNC serait donc né de la rencontre entre un authentique sentiment national et l’amère déception des grands perdants de la décolonisation. En poussant plus loin la réflexion, on a le sentiment que la bataille de Peraldi en Corse est la revanche en effet miroir sur celle qu’il a perdue en Algérie. Lors de son procès, Jo Peraldi a répondu avec panache au procureur qui l’accusait d’avoir trahi le combat mené en Algérie que c’était la France qui avait trahi la Corse et non le contraire. Étonnante rhétorique qui décrit mieux les contradictions profondes de la Corse que mille discours.

La sublimation d’une réalité plus maussade


Jo Peraldi décrit un mouvement clandestin idéal jusqu’à la fin des années quatre-vingt, cimenté par une franche camaraderie, agissant comme une armée. Il ne manque pas de sincérité même si le besoin de préciser en permanence l’importance du rôle qu’il a pu jouer semble exprimer la crainte d' être oublié. En bon général de l’ombre qu'il dit avoir été, il dirige les opérations militaires, protégé par son métier de photographe, mais exhibe quand il le faut… sa carte de retraité des services spéciaux de la territoriale. Il est tout de même regrettable que l’ouvrage ne comporte, pas un mot sur le racket généralisé, l’exécution d’opposants, les assassinats de gendarmes, de policiers abattus comme des chiens parce qu’il portait cet uniforme que Peraldi glorifie par ailleurs. Et s’il est prolixe sur Guy Orsoni, il oublie le seul « martyr » officiellement revendiqué par le FLNC : Ghjuvan Battista Acquaviva, tué en 1986 lors d’une opération nocturne… par un rapatrié plongé dans le drame que la famille de Peraldi avait vécu. Nostalgique, il écrit avec un orgueil naïf que jamais la clandestinité corse n’a été infiltrée par les services de renseignement. Il oublie les militants et non des moindres « traités » par François Casanova, officier des RG dont il cite d’ailleurs le rôle là encore bien ambigu, les nombreux indicateurs de l’anti terrorisme à commencer par ceux qui ont donné le commando Erignac. Il tait les aveux de nombreux détenus : Jo Peraldi en sait quelque chose lui qui a été donné par trois de ses camarades ce qu’il dénonce d’ailleurs mettant en exergue son attitude intransigeante face à ses juges. L’ouvrage de Jo Peraldi possède un souffle qui est celui du personnage.
C’est désormais un vieux monsieur qui ne voulait pas quitter ce monde sans avoir apporté son témoignage à l’histoire de cette Corse qu’il a aimée et servi jusqu’au sacrifice de sa liberté. Sa conclusion est douce-amère. Les pages sur son retour à la liberté sont parmi les plus émouvantes de l'ouvrage.En achevant cet ouvrage, on ne peut s’empêcher d'être attristé par le résultat somme toute bien modeste produit par autant de détermination et de courage. On se dit : tout ça pour ça ce que Jo Peraldi reconnaît bien volontiers en conclusion tout en assumant son parcours qui appelle irrésistiblement la formule de François 1er après la défaite de Pavie : « Tout est perdu fors l'honneur. » C'est déjà une victoire morale. Jo Peraldi veut être enterré comme un preux des temps anciens son cercueil recouvert du drapeau corse orné du logo du FLNC tiré, précise-t-il bien, d’une photo qu’il a lui-même prise route des Sanguinaires, ultime façon se replacer au centre d'une aventure historique qu'il a confessé dans cet ouvrage parfois comme un fantasme héroïque et paradoxal. Il mérite bien cet honneur lui qui n'a pas flanché.

GXC

Photos : D.R
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