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La crémation et la corse

Une île où la mort est omniprésente

La crémation et la Corse



Les rumeurs persistantes selon lesquelles le Pape pourrait venir en Corse a amplifié un mouvement de riacquistu cultuel et culturel qui a été amplifié par la création du cardinalat de Mgr Bustillo. Néanmoins, la Corse n’est pas isolée du reste du monde où la perte de religion s’accompagne d’un engoument destructeur pour la matérialité et son apparat. Un récent article de Corse Matin, mais surtout une étude de Jérôme Fourquet avec pour sujet l’incinération semble indiquer que la progression de ce type de pratique funéraire est un marqueur d’un dépérissement de la culture judéo-chrétienne.


Une île où la mort est omniprésente


Il est difficile de détacher la Corse de l’idée de la mort. Sans remonter aux voceri, aux lamenti nul ne peut échapper ici à la mort omniprésente, celle des êtres humains, celle des villages, celle de la religion. Ce sentiment est d’autant plus puissant que notre région détient le record de France de personnes âgées et qu’elle accueille en plus un nouveau public continental riche et âgé qui se fait enterrer localement. La planète vit une métamorphose multi factorielles qui touche peu ou prou toutes les populations. Mais le monde judéo-chrétien se sent en danger du fait de la montée de l’islam et de l’amoindrissement d’une population activement religieuse. Les églises sont vides et la prêtrise connaît une crise de vocation inédite. Et l’un des signes de ce malaise civilisationnel est vraisemblablement le succès que connaît la crémation. S’il est vrai qu’en Corse l’inhumation continue d’être dominante, il ne fait aucun doute que la crémation année après année gagne du terrain. Selon les chiffres officiels, en France, 46 % des funérailles sont désormais des crémations. En Corse, ce chiffre se situe plutôt autour des 40 %, mais tend à rejoindre la moyenne nationale.

La crémation, un mode opératoire plus économique


Légalisée en France depuis 1887, la crémation ne représentait qu’un petit pour cent des obsèques en 1980. Selon une étude Ipsos de mars 2024, elle est passée de 35 % en 2014 à désormais 46 %. Autre chiffre significatif, si en 1975, il n’existait que sept crématoriums en France ; on en compte désormais plus de 214 aujourd’hui, dont deux en Corse, à Bastia et à Ajaccio. C’est dire si la pratique autrefois interdite par les religions s’est imposée jusque dans les coins les plus reculés de France. En Corse la pratique de la création a gagné six points depuis l’année dernière. La crémation revient beaucoup moins cher qu’une inhumation à cause de l’absence de caveau ou de tombe. C’est aussi une façon plus intime de conserver la personne disparue avec soi. Et pourtant, il a fallu passer bien des obstacles religieux, mais aussi civilisationnels dans une île où la présence du corps lors de la cérémonie religieuse était incontournable. L’une des pires offenses qui pouvaient être faite à une famille était de brûler le corps d’une personne assassinée et s’ainsi le soustraire à de véritables funérailles.

Ce rejet du feu comme moyen de mort se retrouve dans le lamentu de Ghjuvan Cameddu Nicolai écrit dans un corse très toscanisé : « Io son banditu / je suis bandit
Nel più bel fior di li anni / dans la plus belle fleur de l’âge
Per mio fratellu / Pour mon frère
Morti cun tanti affanni /Mort avec tant d’angoisse
Dopu di avellu ammazzatu / Après l’avoir assassiné
Fù brusgiatu in i so panni / Il fut brûlé avec ses vêtements
Ma speru ch'ognunu dica / Mais j’espère que chacun dira
Ch o sò natu cù li sanni. / Que je suis né avec des crocs.

Un basculement anthropologique


Jérôme Fourquet qui a aussi écrit sur la Corse voit dans cet essor de la crémation « un basculement anthropologique » auquel il donne une signification précise : « un changement du rapport à la mort et aux défunts et la montée en puissance d’un discours hygiéniste et écologiste plaidant contre l’enterrement. » Autrefois chez nous, on mourrait chez soi entourré des siens. Aujourd’hui une majorité de décès se produisent à l’hôpital. Dans son ouvrage Redonner une place à nos morts, Marion Waller écrit que « la mise à l’écart des lieux de mort est le miroir d’un affaiblissement des mythes et des rites qui accompagnent aujourd’hui ce passage. » Notre société, et plus encore depuis la rupture causée par la COVID, cherche à fuir l’idée de la mort. On discute sur la fin de vie, mais la vieillesse devient un sujet douloureux. Signe des temps : si les églises se vident, 44 % des jeunes croient en une vie après la mort. Ailleurs qu’en Occident, d’autres formes de croyance notamment l’Evangelisme connaissent une recrudescence.

Une affaire de lieux


En Corse il continue d’exister pour les Corses de vieille origine et issus des villages, un lien encore réel avec la terre des morts. De plus notre île ne manque pas de surface libre. Mais ailleurs dans les grandes villes, combien de tombes sont oubliées et attendent d’être vidées par les services municipaux. En ce sens la crémation est aussi une façon de se réapproprier ses morts. Justement pour ne pas oublier.

GXC
Photo /D.R
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