Vie Chère : une vieille histoire
La vie chère.......
Vie chère : une vieille histoire
C’est une vieille, une trop vieille, et aussi très mauvaise, histoire corse : la vie chère. Elle est ancienne d’au moins un demi-siècle. Elle est une suite d’épisodes qui étaient censés aboutir à ce que, chez nous, la cherté soit compensée de façon satisfaisante ou ne soit pas supérieure à celle des provinces de l’Hexagone. Et n’ont abouti qu’à peu de chose. Core in Fronte a été l’initiateur et l’acteur du dernier en date de ces épisodes.
Depuis un peu plus d’un mois, 18 points de vente corses anciennement Casino - quatre hypermarchés, neuf supermarchés, trois cash & carry, deux drives - arborent l’enseigne Auchan. Ceci est intervenu après qu’Auchan France ait confié leur gestion au groupe Rocca (avec, il convient de le préciser, un maintien de l’emploi concernant les quelques 1200 employés en CDI). Le 23 novembre dernier, des élus et des militants de Core In Fronte se sont rassemblés dans la galerie commerciale d’Auchan Furiani (un des hypermarchés ex-Casino). Lors de ce rassemblement, ils ont d$tenu une conférence de presse qui a donné lieu au lancer de deux pavés dans la mare.
Deux pavés dans la mare
Le premier pavé lancé a consisté, avec exemples à l’appui, en la dénonciation de prix élevés. Les indications suivantes ont été données : début novembre, écart de prix atteignant 35 € entre le caddie type du supermarché Auchan Prunelli di Fium’Orbu (155 €) et celui de la concurrence (120 €) ; prix dans les deux supermarchés Auchan du Sartenais-Valincu plus élevés que ceux affichés dans les points de vente Auchan d’Aiacciu ; prix plus élevés dans l’hypermarché ex-Casino de Mezzavia que dans l’hypermarché de Baleone exploité depuis des années par le groupe Rocca ; avantages Consommateurs réduits ou supprimés. Le second pavé lancé a consisté en la dénonciation des conséquences déjà constatées ou probables que pourrait avoir la pérennisation d’une politique de prix élevés. Les constatations et craintes suivantes ont en effet été exprimées. Les clients sont pénalisés : « Les consommateurs corses ne peuvent être considérés comme des vaches à lait et n'ont pas un porte monnaie extensible ». Des ex-clients Casino se tournent vers la concurrence : « Ils désertent certains de ces nouveaux magasins qui restent beaucoup moins fréquentés qu'auparavant, même aux habituelles heures de pointe […] A Bastia, une surface de vente affiche une perte de 30 000 € / jour ». A terme, la désertion de la clientèle et la chute des ventes sont de nature à menacer les emplois des salariés Auchan, l’activité des prestataires et la viabilité des boutiques des galeries commerciales : « Si la désertion de ces magasins est un avertissement des consommateurs qui ont toujours, de leur côté, la possibilité de choisir l'enseigne la plus avantageuse économiquement pour eux, elle n'en demeure pas moins inquiétante pour les 1200 salariés du groupe […] Cette situation est, aussi, difficile pour les emplois induits des prestataires et pour les dizaines de commerçants des galeries commerciales, qui sont affectées par cette baisse de fréquentation ».
Souhait de dialogue et propositions
Les intervenants de la conférence de presse ont martelé que Core in Fronte jugeait la situation inacceptable car, outre représenter une menace pour l’emploi et de nombreuses activités commerciales, elle rendait plus difficiles les conditions de vie d’une partie importante de la population :
« La Corse a des bas salaires, un fort taux de pauvreté, et des prix plus élevés par rapport à la France : 7% en général et 14% sur les prix des produits alimentaires, selon une source INSEE de 2023 ». Ils ont aussi dénoncé des tentations monopolistiques et compradores : « Le choix d'Auchan en Corse est en partie lié à la création récente de la centrale d’achat « Aura Retail », créée par Auchan, Casino et Intermarché .Les intérêts des magasins et des consommateurs corses ont été balayés sur l’autel des intérêts économiques des grands groupes […] Cette politique tarifaire en cours est révélatrice de la mentalité prédatrice d'une partie du patronat corse, qui entend avoir le monopole de notre économie ». Les intervenants ont cependant affirmé que leur parti étant ouvert au dialogue et soucieux de réponses à l’urgence, souhaitait « rencontrer Patrick Rocca et le groupe Auchan pour qu'ils donnent une explication sur leur motivation et reviennent à une politique de prix non prédatrice au plus vite ». Ils ont aussi fait savoir que la démarche de leur parti n’avait pas pour objet de polariser l’attention et la critique sur l’enseigne Auchan et le groupe Rocca, mais relevait d’une recherche de réponses pérennes à la question de la cherté en Corse. En ce sens, ils ont fait état de trois propositions : « Blocage et encadrement des prix sur les produits de première nécessité comme cela existe en Outre-mer […] Contrôle public de la formation des prix et moratoire sur le développement de la grande distribution […] Création d'une centrale publique d'achat alimentaire ».
Malheureusement et injustement un coup d’épée dans l’eau
Au jour où sont écrites ces lignes, il semble qu’aucune réponse ait été apportée par le groupe Rocca ou par Auchan France. Rien ne dit que cela viendra. Il est cependant permis de supposer qu’une politique des prix tendant à rendre l’offre plus concurrentielle est en train d’être élaborée, mais que rien ne se fera avant la finalisation de la mise en place de la stratégie d’achats groupés « Aura Retail» (association, dans de mêmes centrales d’achat, d’Intermarché, Auchan, Casino Monoprix et Franprix, respectivement 3ème, 5ème et 7ème distributeurs alimentaires français). Quant aux propositions formulées par Core in Fronte, au vu de leur caractère interventionniste que beaucoup jugeront collectiviste, il est douteux qu’elles soient retenues ou même examinées. Dans quelques semaines, il se dira sans doute que la conférence de presse Core in Fronte dans la galerie commerciale de l’hypermarché Auchan de Furiani, concernant la lutte contre la cherté en Corse, n’aura été malheureusement et injustement qu’un coup d’épée dans l’eau. Probablement d’ailleurs, d’autres épisodes, réaliséspar d’autres acteurs suivront, pour un même résultat. Pour mieux comprendre combien la vie chère risque de rester une mauvaise histoire corse appelée à encore durer, sinon à ne jamais finir, il suffit d’un petit rappel des épisodes les plus marquants visant à en compenser les effets ou à en venir à bout. Les voici, ci-dessous rapidement résumés.
Printemps1989 : tables rondes contre la vie chère et, au final, rien de concret
A la fin du mois de février 1989, un conflit social éclate et va durer du 22 février au 3 mai. Il donne lieu à un mouvement de grève qui s’étend progressivement à toute la fonction publique, à de grandes manifestations, à des occupations, à des perturbations des trafics ferroviaire, maritime et aérien. A l’origine de ce conflit initié par une intersyndicale comprenant la CGT, FO, la CFDT et la FSU (syndicats d’enseignants), deux revendications : revalorisation des traitements des fonctionnaires par le classement de la Corse en « zone zéro » de vie chère ; obtention d’une prime dite de vie chère de 1000 francs / mois. Pour justifier ces revendications, l’intersyndicale fait valoir qu’en Corse, selon l'Insee, les prix de détail sont supérieurs de 15 % à ceux de l’Hexagone. Étant alors Premier ministre, Michel Rocard obtient la fin du conflit en nommant un médiateur (Michel Prada) charge de rechercher, dans la concertation, des solutions à la vie chère (tables rondes) et accorde une petite compensation de vie chère (attribution d'une indemnité dite prime de transport de 2400 francs / an). Rien n’est réglé. Les « tables rondes » ne vont aboutir à aucune solution concrète. Le montant de la prime dite de transport ne compense pas grand-chose.
Printemps 1995 : compensation significative pour les seuls fonctionnaires, toujours la vie chère
En mars 1995, débute un conflit social qui va durer cinq semaines et se traduire par des grèves dans le public et le privé, des occupations, des manifestations, un arrêt total de l’activité économique. CGT, FO et FSU mènent le bal dans la fonction publique. CFDT et STC font entrer dans l’action les salariés de nombreuses entreprises. La revendication d’une compensation de la vie chère est mise sur la table. Le gouvernement finit par céder aux revendications des fonctionnaires. Il accepte que le taux de l'indemnité de résidence servie aux fonctionnaires affectés en Corse soit porté à 3 %. Est ainsi satisfaite la revendication des fonctionnaires d’un classement de la Corse « en zone zéro » de vie chère (ce que l’intersyndicale CGT, FO et FSU n’avait pas réussi à arracher en 1989). Autre concession, il est annoncé que l'indemnité dite de transport sera revalorisée. Les fonctionnaires ont obtenu du concret mais les retraités ne bénéficient de rien et les salariés du privé sont invités à négocier l’obtention de la prime de transport avec le patron au sein de l’entreprise. L’État annonce par ailleurs la création d’un Observatoire des prix dont la mise en place n’apportera rien de concret à une maîtrise des prix et à leur alignement sur ceux pratiqué en province dans l’Hexagone. Indolore pour la vie chère
Septembre 2012 : chou blanc pour le FLNC-Storicu
A la mi-septembre, le FLNC-Storicu revendique sept attentats ayant visé la grande distribution. Il affirme avoir agi « dans le droit fil des luttes sociales et syndicales du peuple corse ». Il explique que ces actions ont été motivées par les prix « qui n'ont jamais été aussi élevés en Corse » pratiqués par les enseignes visées. Il assène que « le peuple corse n'a pas vocation à supporter les excès des appétits des grands actionnaires de la grande distribution». Il somme ses cibles de « baisser significativement les prix pratiqués avant la fin de l’année ». Cela n’aura aucune incidence perceptible. La vie chère continuera de bien se porter. Chou blanc !
Février 2019 : une résolution solennelle de plus
L'Assemblée de Corse adopte à l’unanimité une résolution solennelle concernant les prix des carburants et des produits de consommation courante. Déposée par les Présidents de l'Exécutif de Corse, de l'Assemblée de Corse et du Conseil économique, social, environnemental et culturel, elle énonce une somme de propositions ayant émergé d’une Conférence sociale. Seule aura une suite concrète la validation par la résolution, de la future charte signée avec les enseignes corses de la grande distribution portant création d’un panier de plus de 200 produits de première nécessité à des prix garantissant un accès facilité à ces produits pour les consommateurs. Une résolution solennelle de plus. Et, c’est mieux que rien, une mesure portant petite réduction de la vie chère.
Mars 2019 : enfin, un petit peu de concret
Le charte garantissant des prix bas pour 233 produits de première nécessité est signée. La liste des produits a été approuvée par Auchan, Carrefour, Casino et Leclerc. Le document « n'a pas un caractère juridiquement contraignant » mais « engage moralement les signataires » durant deux ans. Il prévoit que « les prix pratiqués sur les produits du panier feront partis des 25 % des prix les plus bas pratiqués sur le continent, hors Île-de-France ». Un point d'étape est prévu « à la fin de la première année d'entrée en vigueur de la charte pour dresser le bilan qualitatif et quantitatif de sa mise en œuvre ».Cette mesure aura le mérite de garantir un peu de moins cherté durant plusieurs mois.
Novembre 2020 : avis remis, aucune suite concrète ou presque
18 mois plus tôt, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, a saisi l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis portant sur le niveau de concentration de l’économie corse et son impact sur la concurrence locale, et l’a notamment invitée à formuler des recommandations. En clair : il a demandé qu’elle contribue à une véritable compréhension des mécanismes de formation de la vie chère et émette des recommandations pour y remédier. Après avoir interrogé les acteurs économiques, politiques, institutionnels, syndicaux, l’Autorité a fourni une analyse détaillée et un ensemble de recommandations visant à dynamiser la concurrence et de ce fait lutter contre la vie chère : réforme des outils visant à identifier et traiter les situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement ; préconisations spécifiques visant à susciter ou garantir la concurrence dans quatre secteurs particulièrement importants (transport maritime, distribution de carburants, grandes et moyennes surfaces alimentaires, gestion des déchets). Avis remis. Aucune suite concrète ou presque.
La vie chère, ça continue
En 2022, les prix relevés en Corse étaient plus élevés que ceux relevés en province dans l’Hexagone. Les surcoûts concernaient surtout les produits alimentaires, l’hôtellerie et la restauration, les dépenses d’aménagement du logement, les assurances, les prix de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des déchets. Concernant les prix des carburants, les prix fin 2022 étaient à un niveau significativement plus élevé que dans l’Hexagone. La vieille histoire Vie chère continuait. Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé.
Pierre Corsi
crédit photos : Core in Fronte
C’est une vieille, une trop vieille, et aussi très mauvaise, histoire corse : la vie chère. Elle est ancienne d’au moins un demi-siècle. Elle est une suite d’épisodes qui étaient censés aboutir à ce que, chez nous, la cherté soit compensée de façon satisfaisante ou ne soit pas supérieure à celle des provinces de l’Hexagone. Et n’ont abouti qu’à peu de chose. Core in Fronte a été l’initiateur et l’acteur du dernier en date de ces épisodes.
Depuis un peu plus d’un mois, 18 points de vente corses anciennement Casino - quatre hypermarchés, neuf supermarchés, trois cash & carry, deux drives - arborent l’enseigne Auchan. Ceci est intervenu après qu’Auchan France ait confié leur gestion au groupe Rocca (avec, il convient de le préciser, un maintien de l’emploi concernant les quelques 1200 employés en CDI). Le 23 novembre dernier, des élus et des militants de Core In Fronte se sont rassemblés dans la galerie commerciale d’Auchan Furiani (un des hypermarchés ex-Casino). Lors de ce rassemblement, ils ont d$tenu une conférence de presse qui a donné lieu au lancer de deux pavés dans la mare.
Deux pavés dans la mare
Le premier pavé lancé a consisté, avec exemples à l’appui, en la dénonciation de prix élevés. Les indications suivantes ont été données : début novembre, écart de prix atteignant 35 € entre le caddie type du supermarché Auchan Prunelli di Fium’Orbu (155 €) et celui de la concurrence (120 €) ; prix dans les deux supermarchés Auchan du Sartenais-Valincu plus élevés que ceux affichés dans les points de vente Auchan d’Aiacciu ; prix plus élevés dans l’hypermarché ex-Casino de Mezzavia que dans l’hypermarché de Baleone exploité depuis des années par le groupe Rocca ; avantages Consommateurs réduits ou supprimés. Le second pavé lancé a consisté en la dénonciation des conséquences déjà constatées ou probables que pourrait avoir la pérennisation d’une politique de prix élevés. Les constatations et craintes suivantes ont en effet été exprimées. Les clients sont pénalisés : « Les consommateurs corses ne peuvent être considérés comme des vaches à lait et n'ont pas un porte monnaie extensible ». Des ex-clients Casino se tournent vers la concurrence : « Ils désertent certains de ces nouveaux magasins qui restent beaucoup moins fréquentés qu'auparavant, même aux habituelles heures de pointe […] A Bastia, une surface de vente affiche une perte de 30 000 € / jour ». A terme, la désertion de la clientèle et la chute des ventes sont de nature à menacer les emplois des salariés Auchan, l’activité des prestataires et la viabilité des boutiques des galeries commerciales : « Si la désertion de ces magasins est un avertissement des consommateurs qui ont toujours, de leur côté, la possibilité de choisir l'enseigne la plus avantageuse économiquement pour eux, elle n'en demeure pas moins inquiétante pour les 1200 salariés du groupe […] Cette situation est, aussi, difficile pour les emplois induits des prestataires et pour les dizaines de commerçants des galeries commerciales, qui sont affectées par cette baisse de fréquentation ».
Souhait de dialogue et propositions
Les intervenants de la conférence de presse ont martelé que Core in Fronte jugeait la situation inacceptable car, outre représenter une menace pour l’emploi et de nombreuses activités commerciales, elle rendait plus difficiles les conditions de vie d’une partie importante de la population :
« La Corse a des bas salaires, un fort taux de pauvreté, et des prix plus élevés par rapport à la France : 7% en général et 14% sur les prix des produits alimentaires, selon une source INSEE de 2023 ». Ils ont aussi dénoncé des tentations monopolistiques et compradores : « Le choix d'Auchan en Corse est en partie lié à la création récente de la centrale d’achat « Aura Retail », créée par Auchan, Casino et Intermarché .Les intérêts des magasins et des consommateurs corses ont été balayés sur l’autel des intérêts économiques des grands groupes […] Cette politique tarifaire en cours est révélatrice de la mentalité prédatrice d'une partie du patronat corse, qui entend avoir le monopole de notre économie ». Les intervenants ont cependant affirmé que leur parti étant ouvert au dialogue et soucieux de réponses à l’urgence, souhaitait « rencontrer Patrick Rocca et le groupe Auchan pour qu'ils donnent une explication sur leur motivation et reviennent à une politique de prix non prédatrice au plus vite ». Ils ont aussi fait savoir que la démarche de leur parti n’avait pas pour objet de polariser l’attention et la critique sur l’enseigne Auchan et le groupe Rocca, mais relevait d’une recherche de réponses pérennes à la question de la cherté en Corse. En ce sens, ils ont fait état de trois propositions : « Blocage et encadrement des prix sur les produits de première nécessité comme cela existe en Outre-mer […] Contrôle public de la formation des prix et moratoire sur le développement de la grande distribution […] Création d'une centrale publique d'achat alimentaire ».
Malheureusement et injustement un coup d’épée dans l’eau
Au jour où sont écrites ces lignes, il semble qu’aucune réponse ait été apportée par le groupe Rocca ou par Auchan France. Rien ne dit que cela viendra. Il est cependant permis de supposer qu’une politique des prix tendant à rendre l’offre plus concurrentielle est en train d’être élaborée, mais que rien ne se fera avant la finalisation de la mise en place de la stratégie d’achats groupés « Aura Retail» (association, dans de mêmes centrales d’achat, d’Intermarché, Auchan, Casino Monoprix et Franprix, respectivement 3ème, 5ème et 7ème distributeurs alimentaires français). Quant aux propositions formulées par Core in Fronte, au vu de leur caractère interventionniste que beaucoup jugeront collectiviste, il est douteux qu’elles soient retenues ou même examinées. Dans quelques semaines, il se dira sans doute que la conférence de presse Core in Fronte dans la galerie commerciale de l’hypermarché Auchan de Furiani, concernant la lutte contre la cherté en Corse, n’aura été malheureusement et injustement qu’un coup d’épée dans l’eau. Probablement d’ailleurs, d’autres épisodes, réaliséspar d’autres acteurs suivront, pour un même résultat. Pour mieux comprendre combien la vie chère risque de rester une mauvaise histoire corse appelée à encore durer, sinon à ne jamais finir, il suffit d’un petit rappel des épisodes les plus marquants visant à en compenser les effets ou à en venir à bout. Les voici, ci-dessous rapidement résumés.
Printemps1989 : tables rondes contre la vie chère et, au final, rien de concret
A la fin du mois de février 1989, un conflit social éclate et va durer du 22 février au 3 mai. Il donne lieu à un mouvement de grève qui s’étend progressivement à toute la fonction publique, à de grandes manifestations, à des occupations, à des perturbations des trafics ferroviaire, maritime et aérien. A l’origine de ce conflit initié par une intersyndicale comprenant la CGT, FO, la CFDT et la FSU (syndicats d’enseignants), deux revendications : revalorisation des traitements des fonctionnaires par le classement de la Corse en « zone zéro » de vie chère ; obtention d’une prime dite de vie chère de 1000 francs / mois. Pour justifier ces revendications, l’intersyndicale fait valoir qu’en Corse, selon l'Insee, les prix de détail sont supérieurs de 15 % à ceux de l’Hexagone. Étant alors Premier ministre, Michel Rocard obtient la fin du conflit en nommant un médiateur (Michel Prada) charge de rechercher, dans la concertation, des solutions à la vie chère (tables rondes) et accorde une petite compensation de vie chère (attribution d'une indemnité dite prime de transport de 2400 francs / an). Rien n’est réglé. Les « tables rondes » ne vont aboutir à aucune solution concrète. Le montant de la prime dite de transport ne compense pas grand-chose.
Printemps 1995 : compensation significative pour les seuls fonctionnaires, toujours la vie chère
En mars 1995, débute un conflit social qui va durer cinq semaines et se traduire par des grèves dans le public et le privé, des occupations, des manifestations, un arrêt total de l’activité économique. CGT, FO et FSU mènent le bal dans la fonction publique. CFDT et STC font entrer dans l’action les salariés de nombreuses entreprises. La revendication d’une compensation de la vie chère est mise sur la table. Le gouvernement finit par céder aux revendications des fonctionnaires. Il accepte que le taux de l'indemnité de résidence servie aux fonctionnaires affectés en Corse soit porté à 3 %. Est ainsi satisfaite la revendication des fonctionnaires d’un classement de la Corse « en zone zéro » de vie chère (ce que l’intersyndicale CGT, FO et FSU n’avait pas réussi à arracher en 1989). Autre concession, il est annoncé que l'indemnité dite de transport sera revalorisée. Les fonctionnaires ont obtenu du concret mais les retraités ne bénéficient de rien et les salariés du privé sont invités à négocier l’obtention de la prime de transport avec le patron au sein de l’entreprise. L’État annonce par ailleurs la création d’un Observatoire des prix dont la mise en place n’apportera rien de concret à une maîtrise des prix et à leur alignement sur ceux pratiqué en province dans l’Hexagone. Indolore pour la vie chère
Septembre 2012 : chou blanc pour le FLNC-Storicu
A la mi-septembre, le FLNC-Storicu revendique sept attentats ayant visé la grande distribution. Il affirme avoir agi « dans le droit fil des luttes sociales et syndicales du peuple corse ». Il explique que ces actions ont été motivées par les prix « qui n'ont jamais été aussi élevés en Corse » pratiqués par les enseignes visées. Il assène que « le peuple corse n'a pas vocation à supporter les excès des appétits des grands actionnaires de la grande distribution». Il somme ses cibles de « baisser significativement les prix pratiqués avant la fin de l’année ». Cela n’aura aucune incidence perceptible. La vie chère continuera de bien se porter. Chou blanc !
Février 2019 : une résolution solennelle de plus
L'Assemblée de Corse adopte à l’unanimité une résolution solennelle concernant les prix des carburants et des produits de consommation courante. Déposée par les Présidents de l'Exécutif de Corse, de l'Assemblée de Corse et du Conseil économique, social, environnemental et culturel, elle énonce une somme de propositions ayant émergé d’une Conférence sociale. Seule aura une suite concrète la validation par la résolution, de la future charte signée avec les enseignes corses de la grande distribution portant création d’un panier de plus de 200 produits de première nécessité à des prix garantissant un accès facilité à ces produits pour les consommateurs. Une résolution solennelle de plus. Et, c’est mieux que rien, une mesure portant petite réduction de la vie chère.
Mars 2019 : enfin, un petit peu de concret
Le charte garantissant des prix bas pour 233 produits de première nécessité est signée. La liste des produits a été approuvée par Auchan, Carrefour, Casino et Leclerc. Le document « n'a pas un caractère juridiquement contraignant » mais « engage moralement les signataires » durant deux ans. Il prévoit que « les prix pratiqués sur les produits du panier feront partis des 25 % des prix les plus bas pratiqués sur le continent, hors Île-de-France ». Un point d'étape est prévu « à la fin de la première année d'entrée en vigueur de la charte pour dresser le bilan qualitatif et quantitatif de sa mise en œuvre ».Cette mesure aura le mérite de garantir un peu de moins cherté durant plusieurs mois.
Novembre 2020 : avis remis, aucune suite concrète ou presque
18 mois plus tôt, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, a saisi l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis portant sur le niveau de concentration de l’économie corse et son impact sur la concurrence locale, et l’a notamment invitée à formuler des recommandations. En clair : il a demandé qu’elle contribue à une véritable compréhension des mécanismes de formation de la vie chère et émette des recommandations pour y remédier. Après avoir interrogé les acteurs économiques, politiques, institutionnels, syndicaux, l’Autorité a fourni une analyse détaillée et un ensemble de recommandations visant à dynamiser la concurrence et de ce fait lutter contre la vie chère : réforme des outils visant à identifier et traiter les situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement ; préconisations spécifiques visant à susciter ou garantir la concurrence dans quatre secteurs particulièrement importants (transport maritime, distribution de carburants, grandes et moyennes surfaces alimentaires, gestion des déchets). Avis remis. Aucune suite concrète ou presque.
La vie chère, ça continue
En 2022, les prix relevés en Corse étaient plus élevés que ceux relevés en province dans l’Hexagone. Les surcoûts concernaient surtout les produits alimentaires, l’hôtellerie et la restauration, les dépenses d’aménagement du logement, les assurances, les prix de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des déchets. Concernant les prix des carburants, les prix fin 2022 étaient à un niveau significativement plus élevé que dans l’Hexagone. La vieille histoire Vie chère continuait. Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé.
Pierre Corsi
crédit photos : Core in Fronte