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Relation entre le Pape et Macron, la Corse n'est pas le problème

Une venue en Corse relevant des priorités pastorales
Relation entre le Pape et Macron, la Corse n’est pas le problème


Le Pape François ne s’est pas rendu à Paris pour assister à la grandiose célébration de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame. Il a décidé de se déplacer à Aiacciu pour la conclusion du modeste colloque « La religiosité populaire en Méditerranée ». Faut-il y voir - comme veulent le croire et le faire croire quelques uns chez nous ; comme le redoutent et le persiflent quelques autres dans l’Hexagone - une immixtion dans les affaires corses (notamment un soutien à la sympathie que manifeste Monseigneur Bustillo envers des revendications de la mouvance nationaliste), et, collatéralement, la volonté de faire une mauvaise manière au Président de la République et à la France ? Rien n’est moins sûr.


Le Pape François absent à Paris et présent à Aiacciu. Les uns, s’en réjouissant et même exultant, y voient un soutien implicite à la spécificité corse ou au nationalisme corse. Les autres, s’en attristant et même s’en offusquant, considèrent qu’il s’agit d’un camouflet infligé à Emmanuel Macron, voire une offense faite à la France. Tout ceci ne reflète guère la réalité car ces contents et ces mécontents relativisent ou éludent différents éléments. D’abord, il convient de prendre en considération un élément contextuel : un agenda bien rempli rendait très difficile une venue à Notre-Dame de Paris. En effet, le 7 décembre, à Rome, le pape François était accaparé par un événement majeur : la tenue d’un consistoire ordinaire public ayant à l’ordre du jour la création de 21 cardinaux. En effet, le 8 décembre, aussi à Rome, le pape François était présent sur la Piazza di Spagna pour célébrer l’Immaculée Conception (étant aussi évêque de Rome, tout Pape doit en être). Ensuite, il faut prendre en compte deux éléments relevant de l’idée que le Pape François se fait de l’exercice du pontificat et de ses relations avec la France (ce qui sera développé et expliqué plus loin). Primo, il semble réaliste et même avéré qu’en ayant accepté de se rendre à Aiacciu et décliné aller à Notre-Dame, le Pape François se soit tout simplement inscrit dans le droit fil de ce qu’il considère être prioritaire dans sa mission pastorale : se tourner vers les périphéries européennes (Balkans, pays baltes, îles méditerranéennes) et les régions du monde démographiquement dynamiques (Afrique, Asie, Amsud) où la foi, l’observance de la morale chrétienne et l’évangélisation résistent ou progressent (et donc accorder moins d’attention aux grands centres de l’Europe démographiquement déclinante dont la plupart des populations, notamment celles de la France hexagonale, se complaisent dans le matérialisme, l’individualisme et l’hédonisme, et relèguent au second plan la spiritualité, la morale et la pratique chrétiennes). Deuxio, il est patent que, depuis plusieurs décennies, le Vatican est inquiet ou irrité de certaines orientations, notamment sociétales, de la société et du pouvoir politique de l’Hexagone.


Une venue en Corse relevant des priorités pastorales


Se rendre à Aiacciu pour clôturer le colloque « La religiosité populaire en Méditerranée », fait que le Pape François s’inscrit simplement - et ce, pour plusieurs raisons - dans ce qu’il considère être les priorités de sa mission pastorale. Il est phase avec le sens qu’il a d’emblée donné à son pontificat en prenant le nom de Saint François d’Assise surnommé « Il Poverello » (qui mettait l’accent sur le devoir de l’Église d’être avant tout au plus près des opprimés, des réprouvés et des plus démunis). Il confirme son intérêt marqué pour les thématiques mises au programme du colloque (les confréries professent une proximité religieuse et humaine avec les plus fragiles et les moins favorisées et apportent à celles-ci aide et assistance). Il affiche partager et soutenir la conception que met en pratique Monseigneur Bustillo, d’une évangélisation passant par une écoute attentive et compassionnelle des problèmes des populations, une solidarité avec toutes et tous. Il valorise une foi ou au moins une culture chrétiennes qui sont encore présentes dans l'identité corse, et même font preuve d’une dynamique nouvelle (renouveau des confréries, retour à une volonté de visibilité des rites et signes religieux, affluence en hausse lors des processions, participation à une préservation ou une restauration du patrimoine religieux…) Il s’engage en faveur d’une « périphérie » (la Corse) qui est aussi un pont avec une région du monde démographiquement dynamique (l’Afrique) où l’évangélisation est à protéger ou à développer, et pourrait, selon lui et certains Corses, être une terre de salut ou même d’accueil pour des hommes, des femmes et des enfants incités à quitter leur terre natale pour échapper à la guerre, à la répression politique, à la discrimination, à la persécution ou à la misère, ou même à l’ensemble de ces malheurs.


Un Vatican inquiet ou irrité


Comme évoqué plus haut, il est patent que, depuis plusieurs décennies, le Vatican est inquiet ou irrité de certaines orientations, notamment sociétales, de la société et du pouvoir politique de l’Hexagone. Ceci a d’ailleurs été clairement exprimé, il y a plus de quarante ans, par Jean-Paul II en conclusion de l’homélie qu’il a prononcée au Bourget, le 1er
juin 1980, devant des dizaines de milliers de fidèles : « Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger. France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander :France, Fille de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle? Pardonnez-moi cette question. Je l’ai posée comme le fait le ministre au moment du baptême. Je l’ai posée par sollicitude pour l’Église dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l’homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père Fils et Saint-Esprit ». D’une part, le Vatican estime que la France, fille aînée de l’Église, se déchristianise. Ce qu’il perçoit dans la désaffection affectant les sacrements ainsi que la présence aux offices et autres célébrations, ainsi que dans l’adoption (mariage pour tous) et la demande (libéralisation envisagées dans les domaines de l’assistance à la fin de vie, de la transition de genre, de la procréation médicalement assistée...) de certaines réformes sociétales. D’autre part, le Vatican estime que le pouvoir politique en mettant en avant et imposant une conception de plus en plus rigoriste de la laïcité, fait dans l’effacement la culture chrétienne qui prévaut en France depuis au moins la fin de l’ère gallo-romaine et la conversion de Clovis. Il peut être ajouté que certaines initiatives disruptives d’Emmanuel Macron ne contribuent pas à dissiper l’inquiétude et l’irritation vaticanes.


Fragilisation ?


En définitive, tout ce qui précède fragilise la relation entre le Saint-Siège et la France alors que celle-ci fonctionne plutôt bien ; autant pour ce qui concerne le respect de la tradition diplomatique et historique (visites présidentielles au Vatican ; échanges diplomatiques ; délégations françaises de haut niveau se rendant à Rome à l’occasion des grandes cérémonies de canonisation de saints français ; conformément à une tradition remontant à Henri IV, président de la République acceptant la charge d’« Unique Chanoine d’Honneur » du Chapitre de la basilique majeure de Saint-Jean de Latran…), que pour ce qui concerne l’approche de grands dossiers (respect des droits de l’Homme, défense de la paix et de la stabilité, protection des minorités religieuses, soutien au développement des pays les plus pauvres, lutte contre les inégalités, protection de l’environnement et action contre le réchauffement climatique, vision d’un Moyen-Orient multiconfessionnel et respectueux des libertés religieuses, protection du Liban…) Peut-être la bonne relation entre le Saint-Siège et la France est-elle aussi fragilisée par une disposition adoptée par l’Église depuis Vatican II qui distend quelque peu les fils reliant le Vatican et le pouvoir politique des États. En effet, le Saint-Siège s’appuie désormais largement, dans la gestion de ses relations avec les États, sur les conférences épiscopales nationales ou régionales (celles-ci assument une part importante du dialogue entre l’Église et les autorités de ces États). Ainsi, des questions qui étaient auparavant traitées à Paris par la nonciature et le gouvernement ou au Vatican par l’ambassade de France et le Saint-Siège, le sont désormais entre les autorités françaises et la Conférence des Évêques de France.


Conclusion


Il apparaît nettement que le choix du souverain pontife de ne pas assister à la célébration de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris et celui de se déplacer à Aiacciu pour la conclusion du colloque « La religiosité populaire en Méditerranée » n’ont effectivement pas grand-chose à voir avec la question Corse et une volonté vaticane de s’en mêler de près ou de loin, ou avec une mauvaise manière à l’encontre d’Emmanuel Macron. Ces choix sont tout simplement en cohérence avec les lignes directrices qu'a fixées le Pape François à son pontificat (promouvoir une Église agissant avant tout au plus près des opprimés, des réprouvés et des plus démunis selon la voie tracée par Saint François d’Assise ; maintenir et développer l’Église catholique en la tournant vers les périphéries européennes et les régions du monde démographiquement dynamiques) ainsi qu’avec la vision vaticane de sa relation avec la France.


Pierre Corsi
Photo: (CCO ) Pexels
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