Festival Camera Pulitica an I
Des promesses tenues
Festival Camera Pulitica an I
Des promesses tenues
Initiative toute neuve ce festival du film politique aux réalisations pertinentes. Dénonçant les abus, les tours de passe-passe qui pèsent sur les plus faibles, les plus naïfs. Ouvrant des perspectives à ceux qui ne veulent plus subir.
Parmi les films inédits, originaux, tournés très récemment il faut s’attarder sur « Le système Victoria » – il a été projeté au festival – de Sylvain Desclous parce qu’il est tout ce qui fait un film, un vrai film : un beau scénario, une remarquable réalisation, des comédiens continentaux et corses hors pair. En effet, il ne faut pas qu’une pièce du puzzle soit frappée de nullité car alors c’est le ratage ! « Le système Victoria évite tous ces pièges avec bonheur. Un film c’est un travail d’équipe. Un acteur, une actrice ne suffisent pas à impulser une partition géniale tant un film c’est le travail d’un collectif !
« Le système Victoria » dévoile des situations trop souvent recouvertes d’un camouflage d’hypocrisie. A la patte du cinéaste s’ajoute l’excellence des interprétations, celles de Damien Bonnard et de Jeanne Balibar, incarnant les deux protagonistes principaux : David et Victoria.
David est sous-évalué, mésestimé, mis dans l’incapacité d’exercer son métier d’architecte, étouffé par son emploi de chef de chantier. Résultat, sa créativité bridée et une soumissionaux diktats de ceux, qui gèrent le secteur économique, qui le rudoie et met en danger son équipe d’ouvriers au prétexte de rentabilité et du profit immédiat.
Victoria, DRH puissante, elle, fait sa place, toute sa place dans un milieu dominé par la toute-puissance de la masculinité et de l’argent qui n’a qu’une vocation faire plier les petits, les sans grades. Malgré leurs statuts sociaux différents Victoria tombe amoureuse de David … surprenante idylle, qui éclaire cependant les questions de classe. Il y a dans ce film le savoir-faire du réalisateur qui sait user de nuances et accuser sans ambages ce qui rend malade une société à cause de travers insupportables.
En plus de sa réussite formelle et de la pertinence de sa substance, « Le système Victoria » nous offre le plaisir de voir jouer deux magnifiques comédiens corses : Vannina Buresi et Cédric Appietto. Actrice de théâtre Vannina Buresi nous avait donné, entre autres, une prestation remarquable dans « Bastia, l’hiver » par sa justesse, sa sensibilité et une nudité d’une pureté fascinante. Récemment au cinéma elle a percé l’écran dans « Rodéo » exprimant combien est grande son amplitude de jeu et son incroyable plasticité dans ses incarnations successives de personnages au point que parfois on ne la reconnait plus du tout tant son jeu est étionnant.
Cédric Appietto est une valeur sûre parmi les nombreux comédiens insulaires. Taiseux et explosif. Il peut subvertir des caractères contraires en affirmant néanmoins sa personnalité. Il se moule dans des rôles de costaud aussi bien que d’homme fragilisé par la vie. Il endosse avec aisance le costume d’être tout et son contraire.
De Sylvain Desclous on avait suivi précédemment, « De grandes espérances ». Un film vu avec beaucoup de régal. « De grandes espérances » mettait en scène une jeune femme douée et enthousiaste dont les espoirs étaient pulvérisés par un environnement droitier et sclérosé.
« Le système Victoria » sort en salles le 5 mars, un rendez-vous à marquer d’une pierre blanche
Michèle Acquaviva-Pache
Camera Pulitica : 17 films projetés dont 7 en avant-premières. Plus de mille entrées au SpaziuCarlu Rocchi. Une vingtaine d’invités d’honneur.
Un beau départ ! Vivement la deuxième édition…
ENTRETIEN AVEC SYLVAIN DESCLOUS, CINÉASTE
Quel est le point départ de votre film, « Le système Victoria » ?
Au point de départ il y a eu le roman éponyme d’Eric Reinhardt. J’ai découvert le livre en 2011. Il m’a plu et séduit par sa manière de camper des personnages et de parler de l’amour entre David et Victoria qui n’est pas banal. J’ai aimé aussi son décor : le chantier d’une tour, décor peu ordinaire situé dans un milieu que je connaissais mal. Des années plus tard l’écrivain m’a proposé d’en faire une adaptation pour le cinéma. L’auteur était intéressé par mon parcours précédent de réalisateur. On a beaucoup discuté ensemble et tombé d’accord pour procéder à quelques modifications du roman.
Qu’est-ce qui vous a parti particulièrement séduit dans le livre ?
Le monde des grands chantiers qu’il décrivait et des rapports de pouvoir qu’il développait etqui sont le reflet de notre monde à nous. L’histoire d’amour dépeint dans le roman, le personnage de Victoria, si forte, si libre, si cynique…
J’ai lu dans un générique que quatre scénaristes ont collaboré au scénario. C’est beaucoup… Comment-ont-ils travaillé ensemble ?
Quand Eric Reinhardt a fait appel à moi il avait déjà travaillé à une adaptation avec Laurent Bazin. Cette version je l’ai reprise avec Laurette Polmass. Le scénario n’a donc pas été rédigé à huit mains mais à deux par deux…
Quel rôle attribuez-vous à la musique dans votre film ?
Elle est pour moi très importante. J’ai demandé à Florencia Di Consilio, qui avait déjà été la compositrice de mon film précédent, d’écrire la musique du « Système Victoria ». Je souhaitais que sa composition fasse sentir la pression qu’il y avait sur les épaules de David et combien était forte la tension qu’il ressentait intérieurement. Il en est résulté une musique qui s’approche des films américains des années 70.
Le personnage de Victoria a quelque chose d’inquiétant. Est-elle inspirée d’une femme en particulier ?
Victoria rassemble en elle une pluralité de visions. C’est une femme fatale façon Hollywood. Une femme complexe. Une femme de pouvoir. Une femme à poigne. A cela j’ai ajouté l’impertinence, une liberté d’esprit, une légèreté, car je ne voulais pas tomber dans le cliché.Immédiatement j’ai pensé à Jeanne Balibar pour incarner Victoria car il y a chez elle de la folie, de l’humour et le goût de la liberté… Elle est spectaculaire !
Pourquoi le choix de Damien Bonnard pour jouer David ?
Parce qu’il y a chez David une bonhomie trompeuse, un côté solide, terrien, rond qui peut avoir quelque chose de rassurant. Mais sa carapace masque ses faiblesses. Architecte de profession il soit se contenter d’être directeur de travaux d’où son insatisfaction, d’où son désir de revenir à l’architecture. Sur le chantier il donne des ordres et en reçoit des dirigeantset cela lui coûte. Il est aussi en proie au doute. Au commencement de sa relation avec Victoria il est attiré et déstabilisé… Damien m’a paru parfait dans ce rôle.
Dans votre film il y a oppositions entre les scènes de lumière du chantier et scènes intimistes qui misent sur l’obscurité. Cette opposition renforcent-elle votre récit ?
Cette alternance lumière-obscurité je la voulais car elle reflète l’opposition entre le monde de David et celui de Victoria ainsi que la manière dont David passe de l’un à l’autre. Le monde de Victoria c’est la nuit, l’hôtel, les restaurants, le bar échangiste et j’ai pris beaucoup de soin à choisir ces endroits feutrés qui contrastent avec l’atmosphère de dureté du chantier. David a besoin d’être aimé, de se sentir regardé. Victoria est son Pygmalion en refaisant de lui un artiste.
Pour quelles raisons avoir retenu Cédric Appietto pour jouer Dominique, le second de David ?
Cédric jouait déjà dans mon précédent film, « De grandes espérances ». J’avais beaucoup aimé travailler avec lui et le rôle de Dominique lui allait bien ! Dans « Le système Victoria » il a une belle relation avec David. C’est lui qui le protège quand il voit que le chantier dérive. Dominique connait par cœur David. L’inverse n’est pas si sûr…
Pourquoi avoir choisi Vannina Buresi – autre comédienne corse – pour interpréter l’ex-femme de David ?
C’est une actrice formidable, très crédible dans son rôle d’ex-épouse de David. Vannina a de l’aplomb, je la trouve extra. Je l’ai découverte récemment dans le film, « Rodéo ».
A quel public s’adresse votre film ?
A des gens qui pense comme vous !... Mon film précédent s’adressait à des personnes plus jeunes par son sujet et par le milieu qu’il dépeignait. Dans « Le système Victoria » beaucoup de spectateurs peuvent se retrouver, ne serait-ce par la relation d’amour entre David et Victoria. Les lecteurs du roman également. Le décor du chantier, qui apparait rarement dans les réalisations cinématographiques, peut aussi attirer certains.
Les problèmes de société sont-ils le terreau qui vous inspire le plus ?
C’est compliqué de faire un film déconnecté du réel. Oui, les problématiques sociétales, politiques, sociales m’intéressent.
Préparez-vous un nouveau film ?
Je suis au stade de l’écriture. En douze ans j’ai tourné quatre longs-métrages. Un film exige du temps ! Les financements sont difficiles à réunir. La période politique actuelle est instable ce qui ne facilité rien bien qu’en France nous ayons un écosystème protecteur.
Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
J’ai toujours adoré le cinéma. Je me suis formé seul en tournant des courts-métrages. Les 4 è et 5 è ont déclenché une dynamique puisque j’ai rencontré une productrice. J’aime que le cinéma unisse les gens dans une salle et les incite à discuter ensemble.
Propos recueillis par M.A-P
Crédit Photos : 2023 CINEFRANCE STUDIO -MADISON FILMS