• Le doyen de la presse Européenne

2024 : le siméonisme de l'espoir au doute

Le dloute s'installe.......
2024 : le siméonisme de l’espoir au doute


Fin mars 2024, Gilles Simeoni et ses partisans peuvent verser dans l’optimisme. Les victoires électorales se sont succédées depuis la « victoire historique » de décembre 2015. La révision constitutionnelle prévoyant « un statut d’autonomie » de la Corse « au sein de la République » semble sur la bonne voie. Quelques mois plus tard, le doute s’installe.


27 mars au soir, à Aiacciu, à l’Assemblée de Corse, l’écriture constitutionnelle prévoyant « un statut d’autonomie » de la Corse « au sein de la République » est soumise au vote des 63 conseillers. Le texte a été scindé en trois parties dont les dominantes sont : notion de communauté corse, possibilité d’un pouvoir normatif, consultation des électeurs de Corse. Ce texte est celui sur lequel, quelques jours plus tôt à Paris, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et des élus représentant les principales forces politiques de Corse s’étaient entendus. Seuls Jean-Martin Mondoloni représentant la majorité du groupe politique de droite Un Soffiu Novu et Jean-Jacques Panunzi, le sénateur Les Républicains de la Corse-du-Sud, avaient fait entendre une voix dissonante. Ils l’avaient fait non pas en rejetant l’intégralité du texte qui avait été rédigé et validé, mais en manifestant qu’ils étaient en désaccord avec la partie où il était mentionné qu’un pouvoir de légiférer en certains domaines de compétence pourrait être accordé à l’Assemblé de Corse.
Dans l’hémicycle, après un long débat et des interruptions de séance, on passe au vote. 62 conseillers (groupes nationalistes Fà Populu Inseme, Avanzemu et Core in Fronte, groupe de droite Un Soffiu Novu) votent pour la partie du texte qui prévoit « la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République française qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ». Seule la nationaliste indépendantiste Josepha Giacometti-Piredda (Nazione) vote contre. Il en est de même concernant la partie prévoyant la consultation des électeurs de Corse. En revanche, la partie du texte relative au pouvoir législatif fait l’objet d’une opposition conséquente : 49 votes pour, 13 contre (la majorité du groupe Soffiu novu, Josepha Giacometti-Piredda), 1 abstention. Un quatrième vote actant que le texte adopté sera transmis à l’Assemblée Nationale puis au Sénat, obtient logiquement 62 votes pour et 1 contre (celui de Josepha Giacometti-Piredda). Gilles Simeoni et ses partisans peuvent être satisfaits. La majeure partie du groupe de droite Un Soffiu Novu n’a certes pas voté pour le pouvoir législatif. Mais l’essentiel est acquis : un texte finalisant ce qu’on a appelé le processus Beauvau, a été adopté à une large majorité. Gilles Simeoni et ses partisans peuvent enfin envisager que devienne réalité le grand dessein qui a été porté par leur famille politique depuis un demi-siècle : l’accession de la Corse à un statut d’autonomie. Pour le président du Conseil exécutif, cette perspective revêt une forte dimension affective car, l’autonomie, il est tombé dedans quand il était petit. En effet, toute son enfance et toute son adolescence ont été marquées par l’action de son père Edmond et de son oncle Max qui visait à l’obtention de cette évolution institutionnelle. Gilles Simeoni a cependant aussi conscience que, si selon son expression, « un pas décisif » a été franchi, il ne s’agit pas encore de dénommer cette avancée : LE pas décisif ; c’est-à-dire le pas permettant d’aboutir à une victoire validée et définitive. Il lui revient sans doute en mémoire, ces mots qu’il a prononcés quelques jours plus tôt, au sortir de l’Hôtel de Beauvau, après l’accord trouvé avec le ministre de l’Intérieur : « Ce soir, nous sommes en demi-finale. Il reste à gagner la demi-finale et la finale ». Le président du Conseil exécutif sait très bien que, pour être adopté, tout texte portant la révision constitutionnelle pouvant conduire à l’autonomie, devra franchir au moins trois obstacles de taille : être voté à l’identique par une Assemblée nationale a priori favorable et un Sénat où il faudra convaincre une partie de la droite de dire oui ; obtenir une majorité des trois cinquièmes au Congrès de Versailles ; convaincre une majorité d’électeurs de Corse quand viendra l’heure de les consulter. Gilles Simeoni ne sait cependant pas encore que les obstacles que sa connaissance de la situation, sa lucidité et son expérience lui permettent d’identifier, ne sont rien au vu de ceux qui surgiront deux mois plus tard.


Premier coup de massue : la dissolution Macron


9 juin au soir : les résultat des élections européennes sont connus. Gilles Simeoni et ses partisans savent que Femu a Corsica ne sera plus présent au Parlement Européen (entre 2019 et 2024, le parti siméoniste y était présent en la personne de François Alfonsi qui avait été élu sur la liste d’Europe Écologie Les Verts). Ne plus disposer d’un eurodéputé est fâcheux car cela réduit la présence et la parole du parti siméoniste au niveau européen. En revanche, rien n’indique que l’issue du scrutin européen va influer significativement sur le processus de révision constitutionnelle. Même le fait que la liste du Rassemblement National conduite par Jordan Bardella triomphe en Corse (40,76 % des voix à l‘échelle de l’île ; en tête dans la plupart des communes), n’est a priori pas de nature à changer les choses.
Mais le président de la République annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale. Un vrai coup de massue ! En effet, pour Gilles Simeoni et partisans, cela représente au moins deux mauvaises nouvelles : la première est que Femu a Corsica va devoir se battre pour conserver les deux sièges au Palais de Bourbon obtenus deux ans plus tôt et qu’une âpre bataille est à prévoir dans la deuxième circonscription de la Haute-Corse (Jean-Félix Acquaviva ne l’avait emporté que d’une cinquantaine de voix contre François-Xavier Ceccoli, le candidat Les Républicains) ; la deuxième est que le processus parlementaire devant conduire à la révision constitutionnelle va prendre du retard. La survenue de problèmes, c’est bien connu, réveille les problèmes dormants. Cela ne va pas être démenti. Le scrutin législatif inattendu tire deux problèmes de leur sommeil. D’une part, Jean-Félix Acquaviva doit encore compter avec le fait qu’une partie de la mouvance nationaliste le considère comme étant le principal instigateur de l’explosion de la coalition Per a Corsica avant les élections territoriales de juin 2021.
D’autre part, ce qui n’est pas de nature à faciliter la tâche des deux députés siméonistes sortants (Michel Castellani, Jean-Félix Acquaviva), la gestion de la Collectivité de Corse par la majorité siméoniste est contestable et durement critiquée. Il lui est en premier lieu reproché un grave risque budgétaire. Cette situation délicate avait d’ailleurs été implicitement reconnue par le Conseil exécutif, quelques semaines plus tôt, à l’Assemblée de Corse, lors du débat budgétaire. Alexandre Vinciguerra, conseiller exécutif et président de l’ADEC (Agence de Développement Économique de la Corse), avait présenté le projet de budget primitif 2024 de la Collectivité de Corse en le qualifiant « d’alerte » car devant conserver un niveau convenable d'investissement et ne pas creuser démesurément la dette malgré des dépenses de fonctionnement en augmentation et des recettes en berne. Gilles Simeoni avait de son côté affirmé : « Nous avions les moyens budgétaires de ne pas présenter un budget d’alerte […] Nous avons fait le choix inverse qui est le choix de la sincérité, de la transparence et de l’alerte anticipée ». En second lieu, il est reproché à la gestion de la majorité siméoniste de procrastiner. Un élément est particulièrement inquiétant pour les députés Femu a Corsica sortants : les critiques nationalistes ont été aussi féroces que celles de la droite.
Le groupe Un Soffiu Novu a dénoncé un dérapage des dépenses de fonctionnement, une absence de programmation pluriannuelle de l’investissement, un envol de l’endettement, un effondrement de la capacité de remboursement de la dette, une constante procrastination. L’opposition nationaliste n’a pas été plus tendre. Paul-Félix Benedetti (groupe Core in Fronte) a dénoncé une gestion sans vision stratégique, nourrie par un endettement croissant. Jean-Christophe Angelini (groupe Avanzemu) a relevé qu’invoquer l’effort d’investissement relevait du « trompe-l’œil », qu’il était systématiquement recouru au saupoudrage. Josepha Giacometti-Piredda (Nazione) a particulièrement mis en exergue la procrastination.


Deux autres coups de massue


30 juin au soir : les résultat du premier tour des élections législatives sont connus. Nouveau coup de massue : en Corse, tout comme dans l’Hexagone, une vague Rassemblement National a déferlé et le député sortant Femu a Corsica, Jean-Félix Acquaviva, est en ballotage défavorable. 7 juillet au soir : les résultat du second tour des élections législatives sont connus. Encore un coup de massue ! Dans la deuxième circonscription de la Haute-Corse, le libéral François-Xavier Ceccoli (54,48%, 24 458 voix) fait mordre la poussière à Jean-Félix Acquaviva (45,52%, 20 437 voix). Cette victoire est un événement. Peut-être, l’avenir le dira, un tournant. Le vainqueur apporte à la droite bien plus qu’un succès électoral majeur. Sa victoire est lourde de sens : le siméonisme, qui a essuyé sa première défaite électorale significative depuis son irrésistible ascension amorcée en mars 2014 (conquête de la mairie de Bastia), a vacillé et les oscillations vont durer. Cette première défaite est d’autant plus lourde de sens que Gilles Simeoni s’est totalement impliqué dans la campagne car Jean-Félix Acquaviva appartient à son premier cercle. Il est son bras droit politique. Il est son sniper. Il est son cousin.
Les adversaires du président du Conseil exécutif avaient d’ailleurs perçu l’enjeu. Ils ont tous participé à la curée. Des nationalistes ont pratiqué un vote-sanction « per fà paga » la rupture de la coalition Per a Corsica. La droite a fait campagne à fond. Des élus et des soutiens de ce qui reste du giacobbisme se sont investis contre le député sortant. « Des forces qui étaient opposées entre elles se sont aujourd'hui fédérées contre Acquaviva et Simeoni. Cette stratégie électorale a visiblement fonctionné » a d’ailleurs déclaré Jean-Félix Acquaviva. Le coup de massue représenté par la défaite de Jean-Félix Acquaviva, outre avoir fait très mal le 7 juillet, est ressenti depuis comme étant très préoccupant. Gilles Simeoni et ses partisans savent que la famille libérale dispose désormais, en Haute-Corse, d’un leader capable de la réunir, de la dynamiser, de la galvaniser et de la conduire vers de grandes victoires. Le camp siméoniste est d’autant plus préoccupé que le nouveau député a annoncé la couleur : il ambitionne d’initier et structurer une plate-forme politique qui aura pour vocation de transcender les partis et les idéologies, de réunir les volontés et les talents, afin de proposer une alternative au siméonisme et au delà, au nationalisme ; il préconise une autonomie pragmatique (reconnaissance par l’Etat des intérêts spécifiques économique, social et culturel de la Corse et des Corses, possibilité renforcée d’adaptation législative, refus d’un pouvoir législatif de plein exercice).
La victoire de François-Xavier Ceccoli représente donc la possible émergence d’une alternative au siméonisme qui sera porteuse d’un blocage de la revendication d’autonomie de plein exercice. Autre source de préoccupation pour Gilles Simeoni et ses partisans : la victoire de François-Xavier Ceccoli qui en fait l’homme fort de son camp en Haute-Corse, peut permettre à la droite d’avoir deux têtes et donc deux listes lors du premier tour du prochain scrutin territorial (liste Ceccoli, liste Marcangeli) ; une telle configuration suivie d’une fusion au second tour a, dans le passé, quasiment toujours été un facteur de victoire de la droite. Pour parer au danger révélé par les élections législatives, et ce, tout comme d’ailleurs les autres principales composantes de la mouvance nationaliste, Gilles Simeoni et ses partisans ont évoqué la nécessité d’un aggiornamento. Dès le lendemain du premier tour, le président du Conseil exécutif avait d’ailleurs déjà déclaré (Corse Matin) : « Trois candidats que personne ne connaît et qui ne connaissent rien de la Corse sont tout de même parvenus à faire d'énormes scores. Cela veut dire que le corps électoral et la Corse ont changé. Cela veut aussi dire que leur discours a trouvé un écho important chez les électeurs, ce qui nous oblige à remettre en question notre façon de défendre nos idées. Il y a certainement une angoisse ou une colère qui s'est exprimée à travers ce vote. Il faut tirer des conséquences sur notre façon d'expliquer notre projet politique, notre rapport aux Corses et à la société corse ».
Mais, à ce jour, l’aggiornamento reste à faire. Le siméonisme, tout comme d’ailleurs le reste du nationalisme, fait du surplace.


Retour d’espoir


Durant la réunion de l’Assemblée de Corse des 26 et 27 septembre derniers, la présidente de l’Assemblée de Corse puis le président du Conseil exécutif ont mis de côté les coups de massue et ont positivé. Pour rassurer leurs partisans et aussi les conseillers de Corse. En effet, ils ont fait valoir que rien n’était perdu concernant la révision constitutionnelle car la parole du Président de la République était engagée et le crédit de l’État en jeu. Marie-Antoinette Maupertuis a affirmé que « L’État ne peut se dédire ! » et rappelé les propos tenus par Emmanuel Macron lors de sa venue à l’Assemblée de Corse en septembre de l’an passé : « Pour ancrer pleinement la Corse dans la République et reconnaître la singularité, son insularité méditerranéenne, ce rapport au monde et son rôle dans l'espace qui est le sien, nous devons avancer, et il faut pour cela l'entrée de la Corse dans notre Constitution. C'est votre souhait, je le partage et je le fais mien, car je respecte et je reconnais l'histoire, la culture, les spécificités Corses dans la République, ce lien entre cette terre, cette mer, cette ambition enracinée.
La vocation de la Corse ne peut pas s'enfermer dans un texte, mais l'inscription dans un texte et en particulier celui de notre Constitution, désormais la plus vieille et la plus durable de notre histoire, est ce geste de reconnaissance indispensable et de la construction d'un cadre respectueux de la singularité insulaire et méditerranéenne ».
Gilles Simeoni a abondé dans le sens de la présidente de l’Assemblée de Corse. Faisant valoir que le projet de texte relatif à la révision constitutionnelle avait été validé par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et par les élus de la Corse, il a dit avoir espoir que le Président de la République le soumette dans un délai raisonnable à l’Assemblée Nationale et au Sénat, et qu’il était possible de convaincre des majorités suffisantes - majorités simples à l’Assemblée Nationale et au Sénat, trois-cinquièmes des parlementaires lors de la réunion du Congrès - du bien-fondé d’une évolution de la Corse vers l’autonomie.
Quelques semaines plus tard, un peu d’espoir a été apporté par deux interventions. Fin octobre, lors de sa venue en Corse, Catherine Vautrin, la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, a exprimé une volonté que le métier soit remis sur l’ouvrage : « Aujourd’hui il y a un travail effectué par le Sénat, qui sera terminé dans les jours qui viennent. Il fera ensuite l'objet d'un examen de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Au premier semestre 2025, un travail sera fait pour écrire un texte de loi, qui passera au Conseil d'État puis au Conseil des ministres. Nous discuterons de ce texte dans un an, à l'automne 2025, pour un congrès avant la fin de l'année 2025 ».
Fin novembre, l'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a demandé au Premier ministre de soumettre au plus vite au Parlement la révision constitutionnelle, évoqué une volonté du Président de la République que cela soit fait et affirmé qu’il existait une majorité pour la voter (Corse Matin): « Il faut désormais que cette proposition soit présentée par Michel Barnier au Parlement le plus rapidement possible. C'est ce qu'Emmanuel Macron a dit au président Simeoni qu'il a reçu récemment […] Une question se pose dorénavant, la représentation parlementaire peut-elle adopter la proposition constitutionnelle ? La réponse est oui […] Il faut que la Corse incarne la fin d'un État jacobin ».


Dernier coup de massue et place au doute


4 décembre : le gouvernement de Michel Barnier est tombé. La motion de censure déposée par le Nouveau Front populaire (NFP), en réaction au recours à l’article 49.3 de la Constitution sur le budget de la Sécurité sociale, a été approuvée par 331 voix sur 574. Ceci, a minima, va encore reculer de plusieurs mois le processus parlementaire de révision constitutionnelle prévoyant un statut d’autonomie de la Corse. Et va grandir le risque qu’avec l’approche des élections municipales (mars 2026), le gouvernement et beaucoup de parlementaires jugent plus prudent de ne pas traiter ce dossier sensible pour ne pas froisser les électeurs jacobins (il y en a dans tous les partis). Dernier coup de massue en date, douloureusement ressenti par Gilles Simeoni et ses partisans, et bien d’autres Corses. Et, place au doute. 2024, en définitive, sale année pour le siméonisme.


Pierre Corsi
Partager :